Sarah Roshem

Comme les parties de mon corps forment ensemble un système, le corps d’autrui et le mien sont un seul tout, l’envers et l’endroit d’un seul phénomène et l’existence anonyme dont mon corps est à chaque moment la trace habite désormais ces deux corps à la fois. Cette perception d’autrui à travers mon corps existe également pour lui dans le dialogue. Il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu’un seul tissu, mes propos et ceux de l’interlocuteur sont appelés par l’état de discussion, ils s’insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n’est le créateur. Je suis attirée par la matière des choses qui se transforme. Le toucher, la température, la plasticité ou encore la texture. C’est cet aspect sensoriel qui  me pousse à œuvrer avec passion. C’est comme un corps à corps qui nécessite une conscience de la tension qui se joue avec le matériau. Un corps à corps dans lequel le désir et l’intention sont constants et l’interaction fluide. Pour cela, il faut se laisser aller, adopter une posture de laisser agir : nos mains sont les artisanes expérimentées.” a-t-elle confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Une médiation physique peut être perçu comme un « objet » relationnel support d’une expérience psychique – mais le champ artistique dans lequel il se développe lui donne sa dimension esthétique et symbolique. Les échanges – gestes, postures, lignes – donnent forme à l’œuvre. C’est une forme mouvante qui se constitue grâce à la créativité des échanges ; un imaginaire de l’être ensemble, l’espoir d’une mobilité possible à plusieurs. La création se révèle ainsi au contact du matériau. Je recherche, je répéte et renouvelle des formes qui m’apparaissent et me reviennent. Je suis surprise d’être ainsi habitée par des structures, des usages, des textures de l’univers marin qui sont ancrés en moi, comme un ADN. Filets, noeuds, mousquetons, cordes,  phosphorescence, flottaiso ,  accordage,  tanguer, suivre le courant, trouver l’équilibre, s’immerger …  Ce langage métaphorique, pour certains, je l’entends comme un univers inconnu que je trouve en moi et découvre tout en faisant….où mon esprit habiterait…” Avant de poursuivre ainsi : “S’ouvre alors un champ d’expérimentation de notre co-présence : notre intersubjectivité, l’échoïsation de nos gestes, la synchronisation de nos désirs. Les participants témoignent que cette interaction met au travail leurs zones de confiance, de recentrement et de lâcher-prise dans un va-et-vient entre activation intentionnelle et réceptivité corporelle. Cette construction élaborée ensemble met en évidence ce qui est commun entre nous grâce à une forme d’empathie kinesthésique créant un laisser aller confiant avec l’autre. Cette invitation des “Corps Communs” – entre nécessaire confiance en soi et accueil de l’autre – serait une promesse d’espoir ; une façon d’aborder le “prendre soin” non simplement dans l’art mais grâce à l’art. Jeune femme, je m’imaginais dévouée à la cire toute ma vie d’artiste. Partie dans l’aventure de l’art et du soin avec SR Labo puis des Corps Communs à ma maturité, je m’apprête  à  me lancer dans l’exploration des corps flottants ... Les changements de cap font partie de la vie lorsque l’on cherche à  demeurer animé par l’envie : libre et  en accord avec soi.  L’art est notre moyen de traverser la vie   -  accoster  les rivages et découvrir des mondes -  avec toujours autant de conviction, de bienveillance et d’allégresse.” A la fois objets incarnés, objets transitionnels et objets d’interdépendance, ses créations saisissantes expriment une intersubjectivité conductrice d’une empathie fondée sur le mouvement partagé. Elles nous parlent du pouvoir du groupe dans un lien matriciel du portage et du bercement cultivant une relation dialogique où la sensation se fait douce et prône l’entraide. En effet, la démarche artistique de Sarah Roshem ( Photo ci-dessus Crédit : DR) fait se croiser la force de la coexistence, l’intimité érotique de la latence et les premiers instants de la chute, dans un processus troublant effaçant les distinctions. Elle appelle un état de discussion où mimiques et gestes entrent en miroir dans une tolérance de la différence atteignant des points de stabilité sécurisants. Le regardeur appréciera ici ces dispositifs où la conscience du corps vécu et du corps vivant témoigne de réseaux, d’images et d’humeurs libres renvoyant à une phénoménologie de la perception vers des zones de recentrement encore vierges ou inconnues. Il découvrira ces équilibres de force et de fragilité qui réinvestissent l’objet dans des opérations de sublimation pour mieux souligner la puissance signifiante de temps reculés affichant d’incommensurables béances. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui présente l’être dans des états de grâce au-delà de son existence dans des univers parfois fabulés comme celui des anciens botanistes amoureux de curieuses métamorphoses nous faisant perdre pied entre l’intelligible et le sensible. Mais aussi ce rôle d’intercesseur conféré à la cire dont l’artiste rappelle la fascinante ductbilité, la plasticité et la déroutante capacité à muter. De la performance émane l’action, celle en mesure de qui dire non à la mort et questionne l’objet de connaissance tout en gardant à l’esprit que le mystère retourne toujours à l’informe pour mieux dire la vraisemblance, l’évanouissement ou encore ces comportements du vivant à prendre dans l’essence même des choses. Là où la première et la dernière image demeurent invariablement en creux !

Exposition Symfolia visible dans le hall de la Cité de la Musique au 221, avenue Jean Jaurès 75019 Paris. A voir du 31 mai au 8 septembre 2024 (entrée gratuite). Artiste : RACHEL MARKS

J’ai toujours considéré, dans mon enfance, que le papillon Monarque était lié à mon état d’origine … Et mon père, qui collectionnait et adorait les insectes, m’a raconté le moment venu, leur histoire. Je me suis alors posé de nombreuses questions afin que savoir comment ils pouvaient savoir où se rendre, comment ils pouvaient écouter et suivre cette voix intérieure qui les amènent à faire la plus longue migration du monde, à aller, le temps d’un instant, vers l’inconnu… Puis, j’ai effectué à mon tour, ma propre migration en Europe, sans but particulier mais uniquement avec cette étincelle venue de cette force naturelle surpuissante qui m’a amenée jusqu’ici en France. Et c'est seulement plus tard, que je me suis rendu au Mexique, auprès du monde des papillons et que j’ai compris que leur migration venait de l’inexplicable force de la nature : cette magie de la vie que j’ai le devoir de partager aujourd’hui avec le plus grand nombre, avec ma communauté de visiteurs et de petites mains autour de moi. De la même façon que le papillon Monarque retrouve lui aussi sa propre communauté, au coeur de la forêt en harmonie avec les siens. Depuis, j’ai compris pourquoi j'avais en moi cette pulsion de créer. Pourquoi je suis artiste. Désormais, mon travail invite, à chaque fois, des personnes autour du projet à participer, comme une performance collective qui raconte une expérience à la fois intime, et qui nous ouvre le livre de l’histoire de notre humanité, et qui questionne notre rapport avec cette belle planète !” a-t-elle confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Un jour, en Chine une femme m’a expliqué que sa famille s’est trouvé malheureusement totalement divisée et que personne ne se parlait plus en son sein. Ils se sont réunis alors autour de leur table de cuisine, en suivant mon protocole consistant à fabriquer des mini cernes d’arbres à partir de pages de livres. Et à la fin, ils sont parvenus à retisser une histoire ensemble…” Avant de poursuivre ainsi : “ Je pense aussi à cette autre histoire singulière et fascinante… En Italie, dans la région ces Abruzzes, un homme agé, que j’ai rencontré dans un café et qui disait qu’il possédait une château abandonné avec plein de livres, des piles de livres partout… Quand on s’est rendu sur place, ce fut comme une conte de fée, avec des chauve- souris qui volaient partout dans tous les sens. Et il y avait aussi cette pièce, un peu à l’écart, avec tous les ouvrages de sa famille, au sol, tombés après le tremblement de terre d’ il y a dix ans. Mais je pense surtout à un infime faisceau lumineux caressant une feuille de lierre rentrant doucement comme une apparition dans ce lieu échappant au temps, comme dans un rêve. De mémoire, les livres portaient tous sur la région, sur la cuisine locale, les paysages environnants.. Quand j’ai eu les livres en main, j’ai ressenti leur charge énergétique, comme des cadeaux précieux et surtout une forme de poésie vibratoire.” Donnant le sentiment de toucher la matière même du temps, ses œuvres renvoient à des corps parlants et à des façons d'habiter le monde en intrégrant une part de hasard d'où jaillit l'image sensible. Déjouant la relation entre sculpture, performance et dessin, ses oeuvres expriment une perméabilité et une porosité en traversant les nuances dans un acte existentiel total. En effet, la démarche artistique de Rachel Marks (Photo portrait ci-dessus. Crédit : Pauline Rousille) déploie une énergie ondoyante en ouvrant un désir jamais comblé, via une immersion en soi-même où impulsion et impulsivité se donnent la main. Elle nous apprend à penser contre nous-même face à un feu qui éclaire sans jamais tout consumer. Au cœur de cette installation matricielle, le regardeur appréciera cette force de la narration et du récit nous plongeant dans un royaume invitant à la dimension mystique du langage faisant barrage à la dévastation pour lui préferer la liberté et le champ de bataille de la pensée. Il appréciera ce déploiement des mots soutenus par des sons originels, venus de peaux de bêtes dévenus percutions, dans une délivrance nous arrachant au néant dans une vélocité se déployant comme celle d'un fauve avançant la nuit au coeur de la forêt. On aime tout particulièrement cette pratique qui s'approprie, dans l’énigme, les polarités et des silences vibrants convoquant des respirations pleinement vécues transmettant l'expérience du vivant. Ces dernières faisant s'accorder acuité et vertiges pour nous faire voir l'ivresse de cette danse venue de temps immémoriaux. Face aux pages et aux partitions, on réalise que l’amour de la musique mène toujours à la musique de l’amour. Mais aussi cette capacité à partager une vision du monde où chaque idée touve place dans des tableaux dévoilant des métamorphoses intimes. Nos paupières brûlent face à un horizon conversant avec l'ébulliton du monde et la contingences des choses ! 

Jeanne Held

Quand on observe le monde en profondeur, un outil à la main, on peut douter de son existence en propre et être tenté par la disparition. On oublie sa propre image pour devenir en plein le faisceau d’un regard. C’est ce qui me fascine dans l’art, cette faculté qu'ont les artistes à faire l'expérience, à être acteur et spectateur avant d’être des passeurs auprès d’autres spectateurs. Aussi le réel m'apparaît d'abord comme un phénomène physiologique ; je me passionne pour cette image rétinienne qui se forme en chacun, vibrante et parfois mal accordée, dense et immatérielle, flottante, car toujours dans l’apparition, le surgissement, ou déjà sur le seuil de la disparition. Devenue adulte, je me leste en dessinant des cailloux, en tentant de me plonger dans leur matérialité, convoquant notre sens de l’haptique, notre envie de toucher ce qui n’est en réalité qu’une image pour y trouver un ancrage. La figure s’observe comme un paysage, à distance. Nous sommes spectateurs, relégués de l’autre côté du quatrième mur, face à une vitre imaginaire, espace de projection partagé par le peintre et par le regardeur, sur lequel s'impriment des souvenirs personnels et collectifs.” a-t-elle confié un jour. Et d’ajouter aussi ceci : “Dans ma pratique, l’observation de spécimens naturels est conduite par cette pulsation, puisque contrairement aux objets manufacturés, la nature n’a pas d'échelle à priori, mon regard peut s’y plonger indéfiniment et souvent s’y perd. Je dessine alors non plus à l'échelle de l’objet, mais à l'échelle de mon attention, et la pierre devient grande, le dessin se fait espace.” Avant de poursuivre ainsi : “Ma démarche s’ancre dans le réel : employant des outils simples et de forte plasticité comme le fusain, j’engage un face-à-face avec un “spécimen” que j’observe à l'œil nu, volontairement longuement. Cette relation au minéral ou à l'animal me propose une logique autre, dans laquelle les jeux de hiérarchie opposant le fond à la forme, les espaces positifs aux espaces négatifs se brouillent, une logique où le un peut être dans le même temps multiple. C’est une logique de forme davantage que de mots, qui se construit dans le grain, dans le rhizome, dans la faille et la microbrisure. Je cherche alors à créer des images qui sollicitent physiologiquement le spectateur, l’obligeant à se rapprocher, à plisser les yeux ou encore à compléter mentalement une image à la limite de l’absence. Le trop net comme le flou m'intéresse, je cherche à construire des images qui décentrent, qui nécessite d'être découvertes dans l’espace et dans le temps.” Fragments d’énigmes visuelles et de tâtonnements métaphysiques, ses oeuvres troublantes nous font part de la puissance de la rémanence tout en donnant une ultime forme à l’informe. Exprimant une empathie sous-jacente au monde, elles libèrent l’inconscient dans des hasards objectifs s’abandonnant en filigranes derrière le masque des mots. En effet, la pratique artistique de Jeanne Held (Photo ci-dessus Crédit : @Alex Page) compose de longues lignes de sens où viennent se jeter des filets de significations à travers lesquels la figure s’observe comme un paysage, à distance. Elle tente de dire l’abandon et des états de guerres intérieures dans des points d’équilibres où attraction et déstabilisation cultivent un même secret. Le regardeur appréciera, face à ces travaux singuliers, des vibrations évoquant parfois des marches de somnambule ou encore des tournoiements conduisant à une anamnèse profonde. Il constatera la volupté d’un temps ouvert dans une capacité de dépassement venue d’une langue inconnue plongée dans une rumination limpide et foudroyante. On aime tout particulièrement cette pratique qui brasse, en tous sens, une myriade d’obsessions sans racine sommeillant en nous au coeur de paysages oscillant entre tonitruance et empreintes chargées de vie. Mais aussi ces présences et ces échantillons de songes, auprès desquels on se laisse surprendre pour mieux nourrir la nuit des images !

Anthony Barlouis

J'ai commencé à dessiner des personnages de bande dessinée qui étaient ma seule culture livresque. J'apprenais les bases, le canon du corps humain, seul, sans aide extérieure, et je suis resté un autodidacte encore aujourd'hui. Puis, j'ai reçu le choc esthétique qui a bouleversé ma vie et ma vue, c’est l'art des musées. Des portraits réalistes, plus réels que moi même et qui me regardaient dans leur cadre doré. Une autre société parallèle à celle que je connaissais, s'offrait à ma vue. Cela a été pour moi une révélation, une révolution même dans ma façon de créer mes propres images. J'étais obsédé par les portraits en pied de Velasquez, et, très vite, j'ai fait des autoportraits, souvent ratés, que je recommençais sans cesse. Parfois toute la journée, maladroitement, mais avec une joie et un orgueil inexprimables. J'avais un miroir...” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ceci : “C'est le regard qui prime dans ma vie. Le visage aussi. Auerbach et Bacon le défigurent, moi je le chante comme Levinas. Un visage, parfois chante faux : les traits principaux s'opposent, se contredisent, comme les yeux et le sourire grimaçant sont en disharmonie. Quand nous sommes témoins de cela, de cette trahison à soi-même, à l'autre, à l'humanité toute entière, la surface de notre cœur se trouble comme l'eau d'un miroir. Le miroir de l'autre. Je crois fondamentalement en ma musique des sphères ou des astres humains devant rester à la place qui leur est assignée, en harmonie avec les autres de façon ordonnée, ne pas créer ce phénomène d'éclipse et devoir de rayonner sur les autres.” Avant de poursuivre ainsi : “Je peins à partir de photos puisées dans une banque d' images gratuites sur internet, pas de photoshop, je décide, très vite, de l'image que je veux rendre, je copie en essayant d'être fidèle, mais tout en me sachant incapable d'atteindre le niveau et la froideur de l'hyperréalisme . Quand je veux démarrer un tableau, pas de dessin préparatoire, ni de jus, je dessine en peignant ou je peins en dessinant, d'abord les yeux, point focal de mes portraits, puis le reste du visage, enfin le reste du corps. Je prends beaucoup de risque, car, à tout moment, je peux rater une ligne, une forme, les proportions. Je me comporte comme un équilibriste sur la toile. Comme je fais souvent des erreurs , il y a des repentirs et donc des empâtements. Pas de glacis. Je n'ai pas le temps, je peins dans l'urgence, je finis un tableau au bout d'une ou deux semaines. Je suis incapable de peindre lentement. Il m'arrive ainsi des accidents, des ratages, et quand c'est irrécupérable, je détruis mon tableau. Si je passe trop de temps, si je m’éternise, je sais que c'est fichu. Et comme un dessin, je reprends une nouvelle toile et je recommence. Du portrait unique, je me suis lancé dans des compositions à plusieurs personnages, comme dans ma série sur le thème de la violence, qui est omniprésente, depuis l'aube de l'humanité et qui est éternelle , quotidienne." Portées par la farce, l’obscénité et la terreur, autant que par les notions de sidération et de domination, ses oeuvres nous parlent de la mise à nu fondamentale dans le feu de l’existence. Elles creusent un trou dans le réel et évoquent un langage presque dévitalisé. En effet, la démarche artistique de Anthony Barlouis ( Photo ci-dessus. Crédit : DR) fait du lyrisme ardent une brûlure tout en nous faisant tituber dans l’ivresse d’un temps immobile. Elle alimente des soupirs anxieux nous faisant ressentir un chaos et un désordre faisant écho à une ferveur esthétique dans une procession de rythmes sourds. Le regardeur appréciera, face à ses oeuvres animées par des révolutions intérieures, des paysages hantés de figures et de félicités comme une énonciation livrant un désir profond de justice. Il éprouvera aussi une allégresse et un effroi venus d’un théâtre de l’intime et d’un art de la fugue. On aime tout particulièrement cette gestuelle exprimant de manière acre, amer et âpre une possibilité de salut dans une écoute fine de la parole. Mais aussi ce regard nourri de références picturales où dévoilement et apparition se donnent la main pour mieux traduire cette beauté qui mène à la liberté !

Anne Beigbeder Sollis

Mon premier grand format (3,20 m x 2 m), présentait une déchirure naturelle qui m’a plu pour son aspect plastique. C’est un polyptyque qui fonctionne très bien avec cette déchirure pour montrer que la vie est hachée et que c’est une succession d’instants. C’est une réflexion sur le temps et le rapport au temps, l’instantanéité de l’image, mon temps de réalisation, le temps de lecture du spectateur. Tous les morceaux sont entiers.... Mais certains le sont plus que d'autres. Lorsque l'on se lance dans une expérience, le domaine est tellement vaste que la mise en place d'un dispositif qui resserre le champ de l'infini possible permet non pas de réduire la liberté mais de la stimuler. Une règle du jeu, un programme une chronologie préétablie sont le moyen de se libérer de la forme. Dans mon cas, la forme est associé au matériau et à l'outil choisi. Quand je veux consciemment quelque chose je ne l'obtiens pas mais si je me laisse porter, j'arrive à mes non-fins. J'ai donc eu besoin d'un outil très familier avec lequel on joue, comme le Bic 4 couleurs, qui marque un état régressif, en retrait. J'utilise également des papiers cartonnés de 100 par 70cm que j'accroche par des pinces à dessins sur des grilles que l'on trouve dans le bâtiment : une photo puisée dans des journaux, des magazines d'art, ou des photos d 'autres que moi, puis je la reproduis, morceau par morceau , sans vision d'ensemble avant de les assembler. Je pousse la densification du trait au maximum. Les œuvres semblent être sur le point de se défaire ou de se faire…” a t-elle confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “ Ma recherche est basée sur le regard. Plus on regarde, plus on voit. C’est l’attention au réel, et aux mille et un détails. C’est de l’ordre physique, philosophique, méditatif aussi. J’aime voir apparaître tous ces reliefs, toutes ces images. Après, il y a le travail de dessin qui choisit de mettre justement en relief certains motifs. La question est de savoir ce que l’on voit dans ce que l’on regarde. Je m’absorbe totalement dans la contemplation de l’image. Et peu à peu, l’image s’efface pour laisser apparaître des motifs, qui deviennent d’autres images. Si l’on me donnait une feuille blanche, je serais en peine de trouver quoi en faire. J’ai besoin du réel, de l’observation. Je ne dessine pas d’imagination parce que cela ne m’intéresse pas, ce n’est pas ce que je cherche. Je suis vraiment dans le rapport au motif. Je veille à ne pas trop dessiner parce que mon intention n’est pas de faire de l’hyperréalisme au Bic. L’enjeu est la part d’inconscient dans une œuvre d’art. J’avais besoin d’un objet très familier avec lequel on joue, comme le Bic 4 couleurs, qui marque aussi un état régressif. Quand je veux consciemment quelque chose, je ne l’obtiens pas ; en revanche, si je me laisse porter, j’arrive à mes non-fins. J’ai donc réfléchi et travaillé à ces moments d’absence. Je recherche l’extraordinaire dans les choses ordinaires, la part infinie dans ce qui est censé être fini.”. Avant de poursuivre ainsi : “Dans mes peintures, le dessin était très présent, mais il était masqué ou il disparaissait. Je faisais plusieurs peintures en une peinture et je pouvais me battre durant des mois avec un visage qui apparaissait, puis que je détruisais… La peinture offre ce pouvoir de destruction immédiate, on recouvre tout, d’un coup. Le dessin est au contraire un moyen de retenir tout, retenir ces différents portraits, par exemple. Dans une peinture, il y a plein de peintures, toutes ces étapes que l’on perd et que l’on retrouve. Et en fait, ce qui m’intéresse le plus, c’est ce travail de recherche puis de perte de l’image. La peinture est une lutte qui apporte beaucoup de frustration dans cette quête d’une image qui apparaît, puis disparaît. J’avais écrit sur le mur de mon atelier « l’image est l’impossibilité de…” Portées par une empathie avec la lumière et de sylvestres apparitions, ses oeuvres saisissantes semblent délivrer une parole cadencée qui ne se consume jamais. Elles appellent l’invention d’un langage dans une image offerte à la nuit dans des scansions aux extrémités de la pensée. En effet, la pratique artistique de Anne Beigbeder Solis ( Photo ci-dessus. Crédit : Courtesy de l’artiste ) innerve une sonorité intérieure et des rotations d’idées comme venues d’un espace dans lequel on aurait séjourné et été dépossédé. Elle déblaie les obstacles en ne cessant d’affronter l’impossible tout en ouvrant en nous des régions restées parfaitement intactes. Le regardeur appréciera, face à ses travaux, des torrents d’étincelles n’interrompant jamais la poésie, cette clarté convoquant la charité en nous aidant à passer le gué. On aime tout particulièrement cette pratique dénouant les obscurités dans une ascension vers une compréhension aimante où chaque détail trouve sa réflection dans une autre. Mais aussi cette dénudation troublante infléchissant la substance et conduisant vers une révélation fondée sur l’oralité. Dans une effusion restituant une écriture environnée d’un monde jamais hostile. Et sans jamais rechercher aucun bénéfice !

La sculpture Wave d’Urs Fischer sera installée place Vendôme à Paris à partir du 14 octobre jusqu”au 30 novembre 2023. Cette œuvre monumentale de l’artiste représenté par la galerie Gagosian fait partie du programme de Paris+ par Art Basel.

J’ai appris à aimer l’art, et je l’ai appris en cherchant ce qui me parle plutôt qu’en réfléchissant à la façon dont une œuvre pourrait se conformer à une vision ou à un discours. Il n’y a rien d’autre à retirer de l’art que son propre plaisir. C’est quelque chose que j’ai appris assez récemment. Avant, quand j’arpentais les galeries de Chelsea, j’avais tendance à tout détester. Je me posais les éternelles mêmes questions. Maintenant, chaque fois que l’art m’apprend quelque chose d’une façon ou d’une autre, j’essaie de me concentrer sur ce que j’ai appris. Cela demande des concessions : on ne se glisse pas facilement dans un nouvel état d’esprit…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Le monde de l’art est l’un des univers les plus conservateurs qui soient. La plupart des artistes suivent en définitive des chemins très semblables, tout en se pensant très libres. Selon moi, la dernière génération artistique qui a réellement célébré la vie, c’était celle de Basquiat….”. Avant de poursuivre ainsi : “Même moi, je ne sais pas vraiment comment je fais. Certaines choses, je sais très bien ; d’autres, je ne comprendrai jamais. J’ai besoin d’un gros chaos, puis d’un ordre strict. J’ai besoin de la surabondance, puis du tri…” Portées par l’impermanence et la destruction créatrice, ses oeuvres saisissantes nous disent que tout doit et va disparaître en nous plongeant dans une extraordinaire tension née des notions de collectif et d’individualité. Elles évoquent la métamorphose en convoquant le temps, le hasard et la vie sous le prisme d’une matérialité archaïque qui oscille entre hyperréalité et autoportrait. En effet, la démarche artistique de Urs Fischer ( Photo ci-dessus Crédit : Robert Banat Courtesy the Artist and Gagosian ) fait vivre l’expérience physique du processus de création dans un monde où se mêlent logique, absurde et réel mais aussi l’éternité, l’humour et l’éphémère. Elle nous invite à vivre l’inquiétante illusion dans une intertextualité et un espace provoqué et troublé dans son fonctionnement. Le visiteur appréciera ici, la puissance évocatrice de cette sixième sculpture stupéfiante de la série Big Clays, composées de dix œuvres toutes réalisées en aluminium. Cette dernière, troublante, répond à un processus venu d’un geste sensuel et répétitif, comme un mouvement corporel, s’arrêtant avant toute intervention consciente. Contrairement à une forme moulée ou à une réplique numérique, l’œuvre finale préserve la tactilité nuancée de la maquette originale, amplifiant ses détails, jusqu’aux empreintes digitales de l’artiste, pour en faire un monument. Il appréciera aussi, dans un second temps, cette matière douée de vie qui concordent aussi avec la fascination de l’artiste pour la figure transformée. On aime tout particulièrement cette empreinte d’irrévérence à l’égard de la tradition esthétique dans des imbrications où l’argile se fait bronze et où née l’émotion du relief. Mais aussi cette sorte de simulacre visuel dans ce mouvement entropique rappelant qu’une oeuvre peut parfois en cacher une autre !

A la Galerie Lelong&Co au 13, rue de Téhéran 75008 Paris /// Du 7 septembre au 7 octobre 2023 /// Exposition : My Best - RICHARD TUTTLE

 Voir un travail, pour moi, représente une forme d’énergie, que ce soit moi qui vois le dessin et qui l’exécute, ou bien le spectateur qui le voit et qui l’appréhende ; il n’y a aucune différence. D’une certaine façon, mon dessin intègre l’idée du spectateur. Puisque le dessin est déjà là, le spectateur n’a pas besoin de le dessiner, mais il peut l’appréhender sans le dessiner. Il y a une grande similarité entre la réalisation physique, concrète, d’un dessin et son appréhension mentale. Faire une chose qui ne ressemble qu’à elle même, c’est là le problème, c’est là la solution. Faire quelque chose qui soit son propre dénouement, sa propre justification, cela ressemble au rêve. Il n’y a là aucun paradoxe, car ceci n’est qu’un adieu au réel. Nous n’avons pas d’esprit, nous n’avons que son rêve d’existence, un rêve de substance quand il y en a une. Mes petites œuvres, aussi petites soient-elles, sont très liées, par exemple, à la hauteur où elles se trouvent par rapport au sol. La précision est telle qu’à trois millimètres près ces œuvres fonctionnent ou ne fonctionnent pas” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je n’ai pas vraiment de stratégie en tête quand je travaille : je travaille en fonction de ce que je ressens, et non pas en fonction de telle ou telle raison spécifique. A posteriori, on se rend compte que les travaux à grande échelle se rattachent à l’idée d’un univers en expansion, l’idée d’une énergie centrifuge ; mais, pour moi, la question est de savoir s’il n’y a pas d’autre type d’énergie, une énergie centripète, aussi importante que l’énergie centrifuge. En réalité, j’utilise les matériaux de l’œuvre pour mettre en relation les matériaux de l’artiste et ceux du regardeur. Quand j’exécute un dessin et que le spectateur l’appréhende, je crois qu’il s’établit une espèce de communication. C’est un aspect passionnant de la nature humaine. La question reste posée : sommes-nous, oui ou non, capables d’appréhender qui nous sommes ? Sur un dessin, au moins, on peut dire qu’on l’a appréhendé de façon immédiate.” Avant de poursuivre ainsi : “Mes questionnements sur la relation entre vie et langage, fondement de notre sociabilité, me conduisent à cette conclusion : seule l'oeuvre d'art révèle la nature profonde de l'être humain. Mes pièces ressemblent à des mots pour mieux se libérer du langage, principalement de l'écriture. J'aime la poésie et la littérature, cependant. Mais ce que je veux exprimer ne peut être écrit.” Convoquant le sentiment du paradoxe, des combinaisons de signes et l’alphabet, ses oeuvres nous font voir des éléments excédant le cadre du support. Elles font appellent à des matériaux inusités animant la surface dans des assemblages primitivistes procédant d’un assentiment donné au réel dans une indifférenciation entre art et existence. En effet, la démarche artistique de Richard Tuttle ( Photo ci-dessus Crédit : FFC ) fait advenir la présence à travers l’absence dans un dialogue constant entre esthétique et morale tout en rappelant sans cesse que l’art vient de l’art, que l’art recherche une unité mais que cela est contradictoire. Elle nous confirme que l’oeuvre agit sur l’espace et qu’il y a cette dynamique à travers laquelle chaque pièce pose des millions de questions. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition magistrale, cet ensemble saisissant de vingt-six oeuvres semblant nous susurrer à l’oreille que quelque chose existe, peut exister quand bien même l’aspect de ce qui est montré est parcimonieux. Il appréciera également, dans un second temps, ces vibrations venues du désert, non loin de Abiquiu au Nouveau-Mexique terre des Indiens. Chaque pièce est pensée comme une lettre de l’alphabet, pour mieux contester et combattre l’ordre du secret et pour mieux souligner l’énigme du monde. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui dévoile la création d’une pièce par une autre et où le langage célèbre, dans son retour à l’origine, toute l’humanité. Mais aussi cette visualisation de la pensée qui passe, dans une expérience pré verbale où l’on cherche à flairer les traces des mots que l’on a sur le bout de la langue sans que que l’on puisse les nommer exactement !

A la galerie Priska Pasquer au 6, rue des Coutures Saint-Gervais 75003 Paris /// Du 15 juillet au 20 août 2023 /// Exposition : Inside / Outside

C'était pendant la phase initiale de la guerre en ex-Yougoslavie. J'ai fait 24 de ces aquarelles, et chacune d'elles affichait une cruauté de guerre. J'étais complètement fasciné par ces photos d'une manière sombre, schizophrène. Je veux dire, ces photos montraient des soldats donnant des coups de pied au visage de femmes âgées sans défense et d'autres scènes horribles. Mais en même temps, ces images semblent montrer des situations comme des parenthèses. Des choses horribles se produisent pendant la guerre, et celle-ci s'est déroulée juste devant ma porte, dans mon pays d'origine. C'était incroyable. J'avais 12 ans quand la guerre a éclaté. Mais pour le dire très clairement : je ne copiais pas lorsque je peignais des versions aquarelles des photos de Haviv. Mes peintures sont de nouveaux originaux qui font explicitement référence aux photos de Haviv, mais ce ne sont pas des copies. Ce sont peut-être des traductions. Les peindre était comme les étudier et les traduire très intensément…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Mon approche de la peinture est basée sur le pigment noir et le papier blanc, les aquarelles basées sur des photos documentaires, le photojournalisme, les vieux journaux, les cartes postales, les affiches, les films documentaires et autres archives de propagande. Ma pratique d'artiste a toujours été fortement influencée par l'idée que notre rapport au monde et à son histoire est largement déterminé par le flux ininterrompu et continu d'images qui documente le monde…” Avant de poursuivre ainsi : “Pour moi, le rôle, la nature de l'Image aujourd'hui est crucial, surtout à l'ère de la révolution numérique, aussi je suis très intéressé à comprendre le statut de l'image aujourd'hui comme fait politique. Les utiliser et les construire comme de nouvelles versions d'histoires. Cette relation est devenue encore plus importante avec l'expansion des réseaux sociaux et des nouvelles technologies de l'information. J'ai placé au cœur de mon activité de peintre la question de ce que pouvait être une peinture à l'ère du temps numérique et de l'accessibilité permanente aux images. Ce corpus global d'images, impossible à embrasser mentalement dans son intégralité, aussi vaste qu'il soit devenu, est l'un des éléments fondamentaux de notre imaginaire, qu'il soit individuel ou collectif.” Nous parlant tantôt de panoramas historiques illustrant des thèmes géopolitiques, des idéologies et des catastrophes du XXe siècle à nos jours, tantôt d' événements survenus le jour même, lié à l'histoire moderne et contemporaine, ses oeuvres saisissantes nous parlent d’épisodes pouvant être politiques, liés à des conflits, à la vie des idées et des arts, au progrès scientifique ou technologique. Elles nous disent le traumatisme de l'après-guerre en Bosnie-Herzégovine en soulignant à quel point un paysage, à travers l'image, rencontre celui d'autres comme si chacun pouvait s’identifier à une grande fresque collective. En effet, la démarche artistique de Radenko Milak (Photo ci-dessus Crédit@ Courtesy Priska Pasquer) traduit des obsessions, des recherche de dates comme d'événements et d'événements historiques en nous faisant voir l’indicible comme cette photographie représentant un des soldats d'Arkan frappant brutalement du pied une femme blessée et mourante, sur le trottoir de Bjeljina en 1992, au tout début de la guerre et qui a fait le tour du monde. Le regardeur appréciera au coeur de cette magnifique exposition collective cette oeuvre troublante et imposante de la série "Musica Universalis" (également connue sous le nom de "Music of the Spheres") explorant le cosmos ainsi que les structures mathématiques et géométriques sous-jacentes qui régissent l'univers. Cette dernière incorpore des motifs complexes, des symboles et des diagrammes scientifiques, créant un langage visuel à équidistance de l’art et de la science. Il appréciera, dans un second temps, cette capacité à reconstruire l’existence préalable de l’image dans un cinéma mentale de souvenirs qui questionne la perception subjective dans des touches libres traduisant le regard porté sur l’espace public. Il plongera dans cette profondeur irréductible de champ qui se confronte jusqu’à plus soif à une diversité de sources et à des écarts esthétiques aptes à dire le sadisme, la langueur, l’inertie, l’écoeurement, la morosité ou encore l’acte violent gratuit le plus cynique hantant à jamais nos consciences. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui détourne ces poussières d’images faites de fantômes nous renvoyant à la condition humaine et à des promesses d’éternité et de réconciliation. Mais aussi cette manière de s’approprier le continent visuel de la toile dans l’épanchement diabolique de l’aquarelle qui nous confronte aux interdépendances du monde à travers ce fascinant concept venu de temps immémoriaux : les corps célestes tels que les planètes et les étoiles émettent leurs propres fréquences uniques et créent une musique céleste harmonieuse lorsqu'ils se déplacent dans les cieux. On sait que ce concept philosophique, attribué à Pythagore a influencé divers domaines, dont l'astronomie, la musique et la métaphysique. Radenko Milak l’intègre à sa narration sous forme de lavis et en fait des récits fictifs aux lignes acqueuses et opaques pour mieux dire l’abomination des conflits et les travers de l’existence !

A la galerie Lelong&Co au 13, rue de Téhéran 75008 Paris /// Du 7 septembre au 7 octobre 2023 //// My Best - RICHARD TUTTLE

Mes petites œuvres, aussi petites soient-elles, sont très liées, par exemple, à la hauteur où elles se trouvent par rapport au sol. La précision est telle qu’à trois millimètres près ces œuvres fonctionnent ou ne fonctionnent pas. J’aimerais restituer le monde mystique, ce qu’il est, un monde plein de couleurs, un monde où le corps est le plus lui-même, est le plus à l’aise. Voir un travail, pour moi, représente une forme d’énergie, que ce soit moi qui vois le dessin et qui l’exécute, ou bien le spectateur qui le voit et qui l’appréhende ; il n’y a aucune différence. D’une certaine façon, mon dessin intègre l’idée du spectateur. Puisque le dessin est déjà là, le spectateur n’a pas besoin de le dessiner, mais il peut l’appréhender sans le dessiner. Il y a une grande similarité entre la réalisation physique, concrète, d’un dessin et son appréhension mentale. Quand j’exécute un dessin et que le spectateur l’appréhende, je crois qu’il s’établit une espèce de communication. C’est un aspect passionnant de la nature humaine. La question reste posée : sommes-nous, oui ou non, capables d’appréhender qui nous sommes ? Sur un dessin, au moins, on peut dire qu’on l’a appréhendé de façon immédiate…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Faire une chose qui ne ressemble qu’à elle même, c’est là le problème, c’est là la solution. Faire quelque chose qui soit son propre dénouement, sa propre justification, cela ressemble au rêve. Il n’y a là aucun paradoxe, car ceci n’est qu’un adieu au réel. Nous n’avons pas d’esprit, nous n’avons que son rêve d’existence, un rêve de substance quand il y en a une. Il m'importe que le rapport à la surface sonne juste.” Avant de poursuivre ainsi : “Ce qu’il y a de naturel dans l’homme doit trouver un moyen de s’accorder avec la “nature”. La matière est la nature. Peut-être que moi, je suis l’environnement. L'apparente fragilité des matériaux renvoie le visiteur à sa propre mortalité et le connecte à sa vie intérieure. Ainsi peut se créer un échange intime, puissant. Je souhaite nourrir la vie intérieure de chacun. En ce sens, mon travail devient politique. Il tente de nous libérer d'une forme d'esclavage moderne, tendant à nous persuader que notre existence se joue à l'extérieur de nous-même. Au contraire, seul le juste équilibre entre l'ouverture sur le monde et l'analyse du soi profond permet d'atteindre une vie de plénitude.” Décentrement heureux des enjeux esthétiques, ses oeuvres saisissantes expriment autant une respiration du regard que de l’esprit dans une expérience pré-verbale. Elles épousent un lexique singulier mettant en évidence une réalité de frôlements faisant écho à une sorte d’écriture pré-mémorielle. En effet, la démarche artistique de Richard Tuttle ( Photo ci-dessus Crédit@Melissa Goodwin, courtesy Pace Gallery) met en place des combinaisons ouvertes nous parlant de la relation troublante qu’entretiennent le mur et le tableau dans une présence essentielle où des matériaux peu orthodoxes permettent de traverser des espaces fragmentaires. Elle clame la présence ineffable des matériaux dans un assentiment donné au réel. Le regardeur, appréciera, au coeur de cette exposition immanquable, ces oeuvres multiples réunissant petites constructions sur toile, des dessins au fil de fer, des assemblages primitivistes en bois, des sculptures de toiles libres et quelques tasseaux. Il éprouvera cette réfutation complète de la notion d’image dans des passages d’un monde à un autre. On aime tout particulièrement cette gestuelle libre qui parvient à convoquer tous les constituants de l’oeuvre et où l’artiste utilise les matrices de cette dernière pour mettre en relation ses propres matériaux et ceux du regardeur. Mais aussi cette sémantique à coups de badigeons, au caractère un peu boiteux, apte à imposer le silence au langage pour mieux dire cette densité et cette multitude qui sont la trame même de la vie !

A la galerie Priska Pasquer Paris au 6, rue des Coutures Saint-Gervais 75003 Paris /// Du 14 mai au 18 juin 2023 /// Exposition : MISCHA KUBALL - Eclipse and Beyond

Mon premier domaine de recherche principal a été - en raison d’une paternité précoce - la pédagogie sociale mettant l'accent sur la théorie des médias et l'éducation aux médias, axée sur le développement de l'enfant au cours des trois premières années. Je me suis occupé de recherches concernant les effets intra-utérins du son, des vibrations, de la lumière en 1980. Aujourd'hui, nous savons qu'aucun son ni aucune lumière ne peut nous atteindre sans avoir un impact. C'est pourquoi même le bruit actuel de la couture dans la pièce voisine peut affecter négativement notre conversation. Mon travail révèle généralement une certaine tendance à l’infraction. Les conventions et les arrangements limitent en réalité les espaces. Faire face à ces limites, c'est aussi développer une certaine curiosité pour ce qui est au-delà. Quand je travaillais en Corée du Sud, les gens m'ont dit que je pouvais aller à Pyongyang en Corée du Nord pour y réaliser un projet – je n'ai même pas hésité cinq secondes. Dans des situations de ce genre, je ne pense généralement pas aux dangers possibles, mais j'essaie de trouver la meilleure possibilité d'intervenir…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Quand un problème me touche, je suis ce chemin et j'espère toujours que ce ne sera pas trop facile. Au départ, j'ai besoin d'une sorte de suspicion ou d'une intuition au moins. J'aime me débattre avec mes sujets et c'est aussi ce que j'essaie de dire à mes étudiants: Devenez de grands lutteurs intellectuels ! Abordez vos sujets étape par étape - tout le monde n'aime pas entendre cela. Je n'apprécie pas la tendance à mettre les interventions artistiques dans l'espace public dans un musée. Cela inclut également les actions qui tentent d'empêcher la fermeture de certaines institutions. Je m'intéresse à l'activisme depuis 1978. À l'époque, je ne savais pas pourquoi je me couchais dans la rue, je pensais juste que c'était bien. Aujourd'hui, je sais mieux ce que je fais et pourquoi, donc je sais par exemple pourquoi je proteste contre la fermeture de la bibliothèque des arts de Cologne ou pourquoi je me bats pour le maintien de la dernière galerie d'art publique dans la ville bosniaque de Bihac….» Avant de poursuivre ainsi : “Je voudrais rappeler l'adage selon lequel le privé est politique. Cela a pour moi une signification particulière : si j'ai commencé à travailler avec la lumière et la projection, c'est aussi parce qu'habitant dans des maisons occupées je n'ai jamais pu lutter directement contre la capitalisation croissante de l'espace habitable. À mon avis, l'Allégorie de la Caverne de Platon anticipe les problèmes de la politique des médias : par exemple, la relation entre un objet et son ombre ainsi que notre façon de nous comporter face à cette relation sont des problèmes de politique des médias. Cela soulève également des questions sur la compréhension de Platon de l'État telle qu'elle est développée dans le septième livre de la République”. Ouvrant des espaces scéniques à des récits alternatifs, ses oeuvres questionnent la puissance symbolique du monde de l’abstrait, le vide substantiel comme celui du cosmos dans des effacements parfois tragiques révélant une forme de troublante atonie. Interrogeant, sans schéma arbitraire, les dogmes autant que l’hérésie, la résistance, la révolte, l’archive et l’inquisition, elles se situent au coeur de la science de l’image et d’un monde invariablement habité. En effet la démarche artistique de Mischa Kuball (Photo ci-dessus Crédit@ Daniel Biskup Courtesy Gallery Priska Pasquer) convoque lettres, signes et mots à travers l’usage de la lumière projetée et réfléchie dans des renversements hypothétiques se déployant dans l’espace et le temps. Elle nous invite à entendre les conditions du dialogue où opèrent un défilement du temps ainsi que sa défragmentation historique n’échappant jamais à la perception du monde par l’homme. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition magistrale, ces sujets touchant notamment à la connaissance extensive du monde, l’étirement du temps sous les catalyseurs de la poésie et de la philosophie. Il éprouvera, au coeur de ces dispositifs de lumière, ces visions éclatées nous renvoyant à des questionnements sur le multiculturalisme allemand, sur les impacts socio-politiques de l’immigration mais aussi des expériences personnelles autour de la préservation de la mémoire collective. On aime particulièrement cette gestuelle qui entretient cette conscience aiguë vis-à-vis de l’Histoire tout en revenant continuellement aux cavités platoniciennes. Mais aussi cette capacité héroïque à avancer sans simulacre ni dessein pour mieux dire, dans le spectre de l’image, la substance du monde. Au-delà de tout seuil conceptuel et mental !

A la galerie Gagosian, Le Bourget /// Du 10 juin au 22 décembre 2023 /// Exposition : TAKASHI MURAKAMI : Understanding The New Cognitive Domain

“Je suis atteint d’un dysfonctionnement psychologique : j’ai peu de mémoire, je suis nul en calcul et lire n’est pas mon fort. Pour déchiffrer les écrits, généralement je fais des dessins. C'est par le biais des mangas que je suis arrivé dans l'art. Quand j'étais étudiant, je voulais faire des mangas, comme tous les grands créateurs à cette époque-là. Mais comme je n'avais pas suffisamment de talent, j'ai décidé d'étudier des thèmes et techniques plus classiques. Et ce n'est qu'une fois devenu artiste que j'ai pu revenir aux mangas en travaillant à partir d'eux. Il ne faut pas oublier qu'après la Seconde Guerre mondiale, qu'il a perdue, le Japon était complètement dévasté. On a alors cherché à mettre au point des moyens d'expression faciles à lire et c'est ainsi que le manga est apparu et s'est popularisé…” a-t-il expliqué un jour. Avant d’ajouter ceci : “Les Arhats sont les disciples clairvoyants de Bouddha, qu’un artiste comme Kano Kazunobu a représenté après le tremblement de terre de Edo Ansei en 1855. J’ai commencé à peindre les Arhats pour deux raisons. La première est due à Nobuo Tsuji un grand historien de l’art que je vénère. Chaque mois, il écrivait un article et chaque mois, je traduisais son essai en peinture. Et puis trois fois de suite, il a traité des Arhats. Je me suis dit que si cet éminent professeur considérait que les Arhats méritaient d’être étudiés, il fallait que je m’y intéresse aussi…” Avant de poursuivre ainsi : “ Après le tsunami de 2011 qui a fait des dizaines de milliers de victimes, j’ai pensé que l’être humain avait besoin de religion. Il se trouve que chacun de ces 500 Arhats a une qualité particulière : certains soignent les corps, d’autres l’esprit. Je pensais que tout cela était pure invention, comme dans les mangas ou les films de fantasy. Mais face à tant souffrance, celle causée par la perte d’un enfant ou de parents, les Japonais se sont laissés envahir par la tristesse et la colère. Comment l’évacuer ? Comment s’en libérer quand on ne sait pas contre quoi se rebeller ? A ce moment là, je me suis dit : « Pourquoi ne pas s’en remettre aux Arhats puisqu’ils sont capables de nous soigner ? ». Croire m'est apparu nécessaire, j’ai donc décidé de les peindre pour mieux les comprendre.” Nous rappelant que l’art est fondé sur des règles hors normes, pas très adultes établies par l’égoïsme de chacun, ses oeuvres aux contours désordonnées contestent tout système perspectif dans une forme d’indignation poignante. Clamant que la société japonaise est immature, elles lui présente son reflet absurde et dérisoire. En effet la démarche artistique de Takashi Murakami ( Photo ci-dessus Crédit : ©Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved.Photo: Claire Dorn Courtesy Gagosian) invente, dans un écosystème complexe, un langage ne faisant aucune distinction entre le numérique et l'analogique. Elle creuse l’irréel en convertissant des acteurs marginaux en superstars, et des gestes et des styles en images médiatiques. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition immanquable, ces travaux saisissants soulevant un régime sémiotique au sein duquel des relations inconscientes favorisent la démultiplication subjective. Il éprouvera également imparfaitement cette idée que les arts plastiques encombrés d’interdits deviennent soudainement un moteur de recherche portant les êtres et les choses au-dessus du sol dans un effacement de l’emprise du temps. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui fait jaillir l’être dans l’éclosion de formes multiples sans jamais restreindre le champ des possibles. Mais aussi cette primauté de l’existant sur l’oeuvre d’art qui exhausse la projection d'un inconscient collectif l'emportant sur l’individualité. On transcende la frontière historique dans des variations de désarroi, d’effroi, d’amusement et d’angoisse. En acceptant finalement sans en souffrir l’absence de toute découverte de soi.

Au Musée Guggenheim de Bilbao /// Du 27 juin 2023 au 8 octobre 2023 /// Exposition : Yayoi Kusama : de 1945 à aujourd’hui

“ Chaque jour, la pensée du suicide m’envahit. Mais je peux dire, au final, que naître a été une bonne surprise. J’ai couvert des dizaines et des dizaines de cahiers. C’était surtout des pois et des filets, répétés à l’infini. Ce que je voyais dans mes hallucinations correspond à mes premiers pas en tant qu’artiste et m’a guidé toute mon existence. Je traduis mes visions en tableaux, en sculptures, en installations… Selon mes psychiatres, je souffre de troubles d’intégration et de dépersonnalisation. Un jour, après avoir vu, sur la table, la nappe au motif de fleurettes rouges, j’ai porté mon regard vers le plafond. Là, partout, sur la surface de la vitre comme sur celle de la poutre, s’étendaient les formes des fleurettes rouges. Toute la pièce, tout mon corps, tout l’univers en étaient pleins. Une autre fois, à New York, alors que je peignais des réseaux de lignes et des pois sur toute la surface de la toile, sans présupposé de composition, mon pinceau a quitté, en dehors de ma volonté, les limites de la toile et a commencé à recouvrir de pois, la table puis le sol pour aller partout dans la pièce (c'était certainement une hallucination). Avec stupéfaction, j'ai vu mes mains se couvrir de pois rouges… J’avais l’impression d’avoir commencé à m’auto-oblitérer, à tourner dans l’infini du temps sans fin et l’absolu de l’espace et à être réduite au néant. a t-elle confié un jour. Avant d’ajouter ceci : “Je traite la maladie mentale qui me tourmente depuis mon enfance en utilisant l’art comme thérapie et en la transformant en une source d’énergie. Je me considère comme la Alice aux pays des merveilles. Le pois a la forme du soleil, il signifie énergie masculine, source de la vie. Le pois a la forme de la lune, il symbolise le principe féminin de la reproduction et de la croissance. Les pois suggèrent la multiplication à l'infini. Notre terre n'est qu'un pois parmi les millions d'autres... Nous sommes plus que de misérables insectes dans un univers incroyablement vaste…” Avant de poursuivre ainsi : “ Les pois de polka ne peuvent rester seuls. Ils sont une voie vers l'infini. Lorsque nous effaçons la nature et nos corps avec des pois de polka, nous faisons partie de l'unité de notre environnement. Ils indiquent le mystère, la beauté et la magnificence de la vie. Ma vie est un pois au milieu de ces millions de particules qui sont des pois. Pour un art comme le mien, le Japon était trop petit, trop servile, trop féodal et trop méprisant pour les femmes. Mon art avait besoin d’une liberté plus illimitée, et d’un monde plus vaste. Quand je suis arrivé à New York, l’action painting faisait fureur. Je voulais m’en détacher complètement et lancer un nouveau mouvement artistique…” A la croisée de l’éxutoire, du raz-de-marée et du vertige, ses oeuvres évoquent les champs de courges de son enfance autant que la peur des typhons. Elles laissent entrevoir des objets biomorphes, des mers de noirceurs ou encore des zones mystérieuses de dentelle. En effet, la démarche artistique de Yayoi Kusama (Photo ci-dessus Crédit : @Retrato de Yayoi Kusama Cortesia de Ota Fine Arts©YAYOI KUSAMA) laisse deviner des filets monochromatiques faits de vide et d’hypnose. Elle associe les galaxies à des miroirs réfléchissants sans fins puisées dans des visions et des hallucinations en quête du symbole ultime de l’univers. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition magistrale, ces travaux saisissants qui feront écho parfois à l'époque reculée où l’artiste enfant confectionnait des parachutes et des uniformes militaires à l’usine ou encore celle où sa propre mère déchirait ses dessins pour la détourner de ce qui devait être un destin. On aime tout particulièrement cette gestuelle obsessionnelle qui fait du tourbillon sensoriel, de la dépression et de la névrose une route de vulnérabilité vers de belles causes contribuant à créer, selon, les mots de l’artiste, un monde en admiration devant la vie en embrassant tous les messages d’amour, de paix et d’univers. Mais aussi cette capacité à faire apparaître l’écume des choses avec quelques cucurbitacées cernées de séduisants motifs psychédéliques dans ce désir constant de prédire et de mesurer l’infini d’un univers sans limite, depuis sa propre position et à l’aide de petits pois !

A la galerie Martine Aboucaya au 5, rue Sainte Anastase 75003 Paris /// Du 1er avril au 20 mai 2023 /// Exposition : Raised Voices - ANTHONY MC CALL

Les formes projetées sont des objets sculpturaux. Mais ce sont des objets sculpturaux qui ont été modifiés par une structure temporelle : les formes changent et évoluent avec le temps. Il est avéré, c’est très important, que la vitesse à laquelle les changements se produisent est toujours lente. Cela garantit qu'un spectateur explorera l'objet comme un objet sculptural, en se déplaçant autour de lui. Si cela est trop rapide, et que vous restez ancré sur place, cela frustre complètement l'apparence mobile. Bien sûr, un mouvement rapide n'est pas un problème avec un film ordinaire, mais vous regardez un film avec vos yeux, pas avec votre corps….” a-t-il expliqué un jour. Avant d’ajouter ensuite ceci : “Les pièces horizontales, avec le spectateur, le projecteur et la forme projetée étant toutes à peu près à la même distance du sol, font directement référence au « cinéma ». Cependant, les œuvres verticales, avec le projecteur à dix mètres au plafond projetant la forme directement sur le sol, semblent plus proches de la sculpture et me suggèrent le corps debout. L'expérience d'une œuvre horizontale est quelque chose comme être immergé dans l'eau ; une œuvre verticale, au contraire, qui s'élève au-dessus de votre tête, peut être parcourue tout autour, et donc peut être occupée..” Avant de poursuivre ainsi : “Mon installation en lumière solide, Coming About (2016), n'est ni horizontale ni verticale ; il repose sur deux formes orientées en diagonale qui convergent vers le sol. En tant qu'expérience, c'est très différent des pièces précédentes. Je suis encore en train de comprendre comment cela fonctionne, mais les faisceaux convergents et inclinés semblent se désorienter à un degré surprenant…” Questionnant l’immatériel dans des champs immersifs, ses oeuvres radicales convoquent le geste de la projection autant que l’expérience totale elle-même. Elles mettent en relation en les notions de vitesse, de format et le son du tonnerre ou de la pluie. En effet, la démarche artistique de Anthony Mc Call (Photo ci-dessus Crédit@Anthony McCall. Raised Voices, galerie Martine Aboucaya, 1er avril 2023. Photo Célia Rozec. Courtesy Antony McCall et Martine Aboucaya) nous parle de chemins invisibles entre cinéma et sculpture, de dispositifs séminaux portés par la lumière solide, de pleine visibilité et de temps réels. Elle exprime ces basculements saisissants d’une image à l’autre, ces tournoiements sourds autour des figures mais aussi ces chiens et loups absorbés dans des géométries de flammes. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition immanquable, ces deux oeuvres fascinantes plaçant le visiteur dans un rapport d’élucidation face au pouvoir indompté du faisceau. Il éprouvera au coeur même du film la forme circonscrite entre vagues, cônes et tangentes. Le brouillard impalpable se fait soudainement symphonie de brumes qui se mue à son tour en transcendance. On aime particulièrement cette gestuelle à la dimension spirituelle où règne l’ambivalence établie entre matérialité et dématérialisation et où la forme sculpturale se fait ouverte et par instant pénétrable. Mais aussi les périodes de transition laissant place à des cycles aux sons liquides venus de ports plonges dans la nuit tout en accueillant l’ellipse et le vocabulaire musical d’un David Grubbs. Les sculptures mobiles structurent, par voie de halos, le vide apparent dans des glissements sémantiques où se tisse la réversibilité des échanges et des vecteurs. On sort définitivement du monde de l’écran pour entendre l’ordre irréductible de la mutation et de la combinaison. Celui qui est apte, en somme, à entendre les formes multiples de l’art, ses évolutions et plus largement l’ordre inaltérable du progrès !

Au Kunstmuseum Schloss Derneburg /// Du 21 octobre 20222 au 16 avril 2023 /// Exposition : Versions of Chuck, Revisited (Solo Show) - JULIAN SCHNABEL

Au départ, en tant que jeune peintre, je n'ai pas réellement perçu qu'il y avait une bataille entre figuration et abstraction. Je ne pensais pas qu'il fallait nécessairement peindre un tableau sans figure pour être abstrait. Et je savais aussi qu'on peut utiliser la figure et faire un tableau abstrait. La seule chose abstraite dans l'art, c'est la manière dont nous l'appréhendons. Car ça, c'est invisible…Quand on utilise des matériaux existants on établit un niveau d' “ethnographicité” dans l'oeuvre; c'est-à-dire qu'on apporte un lieu et un temps réels à la réalité esthétique. Pour moi, l’art ce n’est pas de l’auto-expression. Le fait de peindre ses entrailles n’a jamais constitué une idée intéressante et n’a jamais donné de tableau valable. Le sentiment ne peut être séparé de l’esprit. En ce sens, le Néo-expressionnisme n’existe pas et n’a jamais existé. Et si le fait de s’exprimer fait de vous un expressionniste, alors tous les artistes le sont…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “J'aime beaucoup, par exemple, travailler dehors car il y a une influence directe de la météo. Et même sous la pluie car celle-ci change la manière dont la peinture tient sur la toile. Lorsque je peins sur de grands formats, j'utilise toutes sortes d'objets, des cheveux emmêlés, des assiettes cassées, une nappe trempée dans la peinture que je jette sur la toile, qui donne l'apparence d'une gravure. Je peux aussi accrocher une toile derrière la Jeep pour que l'asphalte y trace des traits plus grands. Mais il y a toujours cette idée de dessin, de distance et de familiarité avec une espèce de subjectif collectif sur les matériaux qui appartiennent à ce que nous pensons être le monde moderne, et finalement notre monde. A mon avis, plutôt que d'être constitué de plusieurs petites parties, mon travail est une tranche d'un tout plus vaste. Et chaque fragment qui le constitue ne représente pas ce tout, mais il en est l'emblème…” Avant de poursuivre ainsi : “Lorsque vous regardez un bâtiment, il a une certaine échelle. Les gens l'ont construit de cette taille pour produire une impression. Il en est de même avec un tableau. D'autre part, je ne veux pas que mes peintures soient prisonnières de leur bordure extérieure, mais qu'elles débordent, qu'il y ait une continuation, qu'on ne soit pas intimididé par le cadre. C'est la raison pour laquelle j'ai quelquefois besoin de faire des polyptyques, qui pour moi ne sont chaque fois qu'une seule oeuvre, de jouer sur plusieurs panneaux pour poursuivre sur ma lancée. Quand on se déplace devant, il se passe beaucoup de choses, on assiste à une sorte de transformation de l'image.” Exprimant une sorte de désaccord entre l’énergie du geste et l’aspect pictural, ses oeuvres nous disent que l’inquiétante violence du monde ne pardonne pas. Elles nous indique que peindre, c’est en quelque sorte comme jouer du saxophone parce que l’on a besoin de personne. En effet, la démarche artistique de Julian Schnabel (Photo ci-dessus Crédit@©Holger_Niehaus) livre des gestes amples et un débordement de signes qui ne s’attardent pas sur le détail pour mieux s’emparer des sources multiples où règne l’absence d’une quelconque forme triomphante. Elle souligne également l’inexistance de la hiérarchie dans l’ordre des images pour mieux questionner la finalité de la peinture et sa matérialité. Le regardeur appréciera, face à ces oeuvres saisisantes, cette force singulière faisant entrer la peinture dans l’image en mouvement et où les correspondances se tissent de toutes parts. Il observera aussi ce monde peint, monde à part, s’écrivant dans un présent perpétuel sans connaître aucune frontière. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui nous invite à observer le tableau avec le moins d’informations possibles en gardant les yeux grand ouverts et clamant que la seule chose abstraite dans l’art c’est la façon dont nous l’appréhendons. Mais aussi cette troublante pensée sous-jacente face à ces oeuvres totémiques nous donnant le sentiment d’être à la fois étranger et en prise totale avec le monde. Et l’artiste de dire à ce sujet : “Si l'un de mes amis meurt et que son nom trotte dans ma tête, je l'inscris sur la toile. Il en a été de même lorsque mes enfants sont nés. Lorsque quelque chose me touche, je ne fais aucune différence hiérarchique entre les noms, les matériaux, l'échelle, les sources de ce qui pourrait être des sujets. C'est tout cela cumulé qui fait la signification de ma peinture. Faire de l'art, c'est juste être en rapport avec le monde, c'est comme respirer”. Comme pour signifier que hurler, rester silencieux ou chuchoter et bien c’était à peu près la même chose !

A la galerie Thaddaeus Ropac Seoul Fort Hill /// Du 9 mars au 15 avril 2023 /// Exposition : Miquel Barcelo

L' Afrique a été l'unique endroit où j'ai repris goût à la vie. Auparavant, pendant la période où je me trouvais à New York, je ne peignais que les trous, les craquelures, les engelures de la peinture, c'est-à-dire le néant des choses, leur négatif. Le négatif d'une pomme de Cézanne, ce serait un trou. C'est ce que je faisais. «Du monde je n'aime guère que la terre et les pierres», disait Rimbaud. Certes on peut peindre des pierres, des femmes, des chèvres ailleurs qu'en Afrique, on peut en trouver partout, mais c'est là que j'ai retrouvé tout ce qui m'entourait dans mon enfance. Dès le départ, je me suis très vite débarrassé de tout exotisme. Maintenant, l'Afrique fait partie de ma vie et Paris me semble plus exotique que le Mali. Là-bas, il y a cet aspect sacrificiel, tout est poussé à l'extrême, la vie, la mort, les conditions de vie. Il n'y a aucune donnée préétablie, chaque fois il faut tout remettre en question. J'aime travailler dans ces situations limites, avec le vent, la chaleur, les termites, la lourdeur, les fièvres, et tout à coup une sorte de bonheur traverse la moelle épinière comme un éclair…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “ Ma peinture s'est toujours signalée par un excès de matière. Avec ces bosses, le support est devenu aussi important que la matière picturale et il accentue le relief. Maurice Denis disait: «La peinture, avant d'être un champ de bataille, est une surface plate recouverte de couleurs disposées d'une certaine façon.» Cette définition était valable au XIXe siècle. Aujourd'hui, on sait que l'unique réalité vraiment plate, c'est la cybernétique et la réalité virtuelle. Il y a belle lurette que la peinture n'est plus cette surface plate et qu'elle est tout à fait autre chose. J'ai aussi, évidemment, pensé au rapport avec les grottes d'Altamira et de Lascaux. Et puis, j'ai commencé ces tableaux après six mois passés sans peindre, pendant lesquels je n'ai fait que des sculptures. J'avais besoin de cette espèce de tabula rasa pour redémarrer “. Avant de poursuivre ainsi : “La peinture a toujours été pour moi la métaphore de la chair, de la nourriture, du désir. Ce n'est pas une discipline froide, c'est organique. Cela dit, ce n'est pas un choix qu'on fait. J'aurais pu décider d'être réalisateur de cinéma, mais j'étais peintre avant même de savoir prononcer le mot artiste. J'y suis condamné, ce qui me plaît énormément. Car j'aime cette extrême simplicité de la peinture, cette pulsion primitive qui est la même depuis des lustres. C'est un langage archaïque et, paradoxalement, encore très vivant. Il n'est plus question d'images ni de représentation, mais de quelque chose de bien plus profond. C'est la raison pour laquelle je prends plaisir à peindre une tomate, une orange, des sujets très modestes, car il s'agit de faire une transmutation. Sa force est là, dans sa capacité à toujours établir de nouveaux rapports avec le monde.” Soulignant le rapport à l’abondance autant qu’une forme de renaissance, ses oeuvres nous parlent de trésors enfouis et de scènes suspendues dans le temps. Elles mettent le renouveau et la décadence au coeur de sujets touchant à la plénitude et à la précarité. En effet, la pratique artistique de Miquel Barcelo ( Photo ci-dessus Crédit@CharlesDuprat) nous parle d’un homme en prise avec la matière dans la terrible noirceur de récits aux contours dilués. Elle s’incarne dans des forces incontrôlables et des soleils noirs qui reçoivent un écho dans des céramiques fumées ou des couches d’argile aux figures souvent dérisoires. Le regardeur, appréciera au coeur de cette exposition magistrale, ces oeuvres évoquant l’aura de la suie ou de la chaux se confrontant à la lumière et à l’air. Il fera face également aux tourments de l’accident et du hasard comme au pied de fresques fantastiques. On aime tout particulièrement cette gestuelle conversant avec des matériaux informes propres à dire les cycles de la vie dans une conception magique de l’art. Mais aussi ce plaisir secret éprouvé au sein de grottes où l’on peut parfois retrouver, en cachette la langue de Kafka !

A la galerie Michel Rein au 42 rue de Turenne 75003 Paris France /// Jusqu’au 18 mars 2023 /// Au sein du Showroom à l’étage de la galerie : FRANCK SCURTI

Présenter un packaging vide plutôt que l'objet lui-même c’est une façon de retracer l'évolution entre la valeur d'usage, la valeur d’échange et la valeur d'exposition qui s'est produite dans la culture depuis le ready-made. Les détritus architecturaux sont pour moi une forme de négation de l’aspiration de la sculpture à l’architecture. Leurs réunions forment un récit allégorique qui parle du monde d’aujourd’hui, de l’obsolescence des objets, de l’architecture et des hommes. J’ai toujours porté un regard écologique sur la société de consommation et un engagement en faveur d'une rédemption esthétique de la valeur d'usage des matériaux et des objets…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “J’ai mis en place une économie de travail qui me permet d’être agile et de créer avec n’importe quoi et n’importe où. Mon oeuvre ne dépend pas de moyens de production pour exister. Jen n’ai d’ailleurs jamais adhéré à cette idée de l’artiste comme entrepreneur. J’ai même refusé ce rôle, très tôt, à un moment où plusieurs personnes de mon entourage auraient aimé que je m’y conforme soit développer mon oeuvre. C’est l’énergie et l’envie de créer, coûte que coûte, qui m’a toujours fait avancer. Lorsque j’ai choisi d’être artiste, je n’ai pas choisi un métier, j’ai décidé d’être un homme libre". Avant de poursuivre ainsi : “ Il n’y a pas de différence entre l’art et la vie, ces champs sont étroitement liés dans mon travail, ils s’influencent mutuellement. C’est vrai que la question de la valeur est importante dans mes œuvres mais pour moi c’est un peu comme une modulation de fréquence. Quand un signal culturel est trop élevé je le mets à terre et lorsque il est trop faible je le revalorise. C’est quand même quelque chose de très jouissif d’essayer d’élever un déchet à la contemplation.” En prise directe avec le réel, ses oeuvres s’orientent sur le statut des choses immédiatement identifiables niant tout modèle social exogène. Mettant en scène l’analogie dans des contraintes structurelles et la parole de l’artiste au premier plan, elles célèbrent sans vergogne le rebut visuel dans un protocole manifeste. En effet, la démarche artistique de Franck Scurti (Photo ci-dessus Crédit : C.Scurti) donne aussi bien la voix à des fragments de briques, qu’à un couple d’oreillers, à des emballages alimentaires ou une simple boîte de sardine à la façon de reliquaires dans des procédés empiriques renvoyant à l’existence et aux petits riens du quotidien. Elle reconstitue en somme des cultes dans des terrains de fouille et des énigmes anonymes de façon délibérément lacunaire. Le regardeur, appréciera au coeur de cet intrigant showroom, ces oeuvres saisissantes et grinçantes qui jouent d’allusions et d’humour pour mieux dire le grotesque des choses, la vanité et le chaos à l’oeuvre. Il pensera par moments également au poète Francis Ponge dans la subversion et la dérision mais aussi via d’humbles élément historiques. On aime tout particulièrement cette gestuelle, sans hiérarchie de genre, qui interroge la représentation des déterminismes dans une entreprise d’auscultation de l’époque contemporaine. Mais aussi, cette libération du désir revendiquée qui se formule dans des pas de cotés et une dialectique de l’absence. On pense soudainement à cette oeuvre plus ancienne de l’artiste, L’enroulement du ciel, composée de grandes affiches publicitaires à dos bleu décollées de leurs supports. Posant l’ultime sujet, celui de la dissolution des limites entre l’œuvre d’art, son autonomie et le contexte environnant. Murmure ou écho au détail de la fresque de Giotto à la Chapelle Scrovegni de Padoue, ce non-projet nous renvoie en quelque sorte à une fable laconique en mesure d’approcher toujours davantage, pas à pas, les grands mystères de la peinture faisant, qu’à un moment précis, survient cette sonorité qui traverse l’image et ébranle tout !

Au Centre Pompidou 75004 Paris /// Du 16 novembre 2022 au 27 février 2023 /// Exposition : Christian Marclay

J’ai fait quatre ans d’internat à Lausanne dans un collège très strict, dirigé par des chanoines de l’ordre du Grand-Saint-Bernard, où j’étais complètement à l’écart de toute culture populaire. Le week-end, je rentrais à Genève dans ma famille. Ma sœur avait quelques 45 tours de chanteurs comme Elvis Presley, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan. Mais au collège nous n’avions aucun accès à la musique, alors j’ai organisé des soirées d’écoute de musique classique avec l’aide d’un chanoine qui connaissait bien ce sujet. On a oublié comment c’était avant les téléphones portables et Internet : nous n’avions même pas de cassettes, nous étions vraiment isolés. Pendant ces soirées, nous écoutions des disques dans une salle de cours et le chanoine nous donnait quelques informations afin de contextualiser ce que nous écoutions. Pas très excitant, mais j’aimais bien la musique et j’ai pris à ce moment-là des cours de piano. J’ai arrêté au bout de quelques mois car mon prof était nul – il voulait que je fasse sept ans de solfège avant de jouer. J’étais trop impatient. Je me souviens qu’il y avait une rangée de cabines de répétition avec dans chacune un piano, et quand je passais j’entendais derrière les portes fermées tous ces pianos se mélanger pendant que je me déplaçais. Je me souviens encore du grand plaisir que j’avais à déambuler dans ce couloir. Un week-end, un copain m’a fait écouter sur la super chaîne hi-fi de ses parents le White Album des Beatles. À la fin du disque, avec « Revolution 9 » et son collage sonore à la Stockhausen, j’ai vraiment eu un choc. Je devais avoir 14 ans. Donc j’ai été très tôt attiré par une musique inhabituelle…” a-t-il confié un jour. Avant d’ajouter ceci : “Ma première expérience mémorable avec John Cage a été l’écoute d’un disque que j’avais acheté à Boston lorsque je m’y suis installé en 1977. Je ne sais plus de quel disque il s’agissait, mais il a eu un effet dont je me souviendrai toujours. Un jour, je faisais la vaisselle en écoutant cet enregistrement qui contient des sons provenant d’objets en verre. Les sons que je produisais avec la vaisselle étaient en harmonie parfaite avec ceux du disque. Cela m’a enchanté…Le minimalisme m’intéressait beaucoup quand j’étais encore à l’École des beaux-arts de Genève. Mon dernier travail avant de quitter l’école consistait en une série d’installations dans une usine de crayons Caran d’Ache abandonnée. Avec un camarade, nous avions squatté les lieux et créé des installations très minimalistes avec les objets trouvés sur place. Mais ces objets portaient encore la mémoire de leur fonction antérieure ; il ne s’agissait pas de formes pures et abstraites – par exemple des boîtes en carton dans lesquelles des crayons de couleur avaient laissé des traces. De loin cela ressemblait à du Donald Judd, mais l’intérieur était recouvert de traces colorées et de dessins abstraits complètement aléatoires.” Avant de poursuivre ainsi : “J’ai cherché dans le cinéma des actions et des sons à partir desquels créer une composition musicale, comme un DJ, mais avec des images sonores. Les rapports entre le son et l’image m’ont toujours beaucoup intrigué.” Marquées par l’idée d’appropriation et de l’image en mouvement, ses oeuvres oscillent entre détournements et métamorphoses. Elles s’étendent à l’ensemble des registres des arts visuels en nous rappelant que l’avant-garde et l’esthétique populaire se confondent parfois. En effet, la pratique artistique de Christian Marclay ( Photo ci-dessus Crédit@Christian Marclay, 2018, photo by Dan Burn-Forti.Courtesy White Cube and the artist) souligne que l’art a le pouvoir de s’infiltrer dans le quotidien et qu’inversement la culture populaire inspire l’art. Elle nous dit que certaines pochettes de disques sont comme des palimpsestes et que certaines circonstances fortuites conduisent à de bons sujets de réflexion. Le regardeur appréciera, au coeur de cette exposition magistrale bâtie comme une sorte de panorama, ces oeuvres saisissantes nées d’observations chirurgicales conduisant à des mystères cachés et un sentiment intense de prévisibilité. Il éprouvera cette impulsion de la pensée à travers laquelle le son et l’image sont traités de la même manière. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui livre cet état troublant de déjà-là où l’improvisation de batterie croise l’onomatopée d’une détonation sur fond de guitare trainée par un camion. Mais aussi ces images prises comme des notes ou des matières auditives que l’artiste tord et traficote à sa guise. L’image surannée, anodine trouve ici droit de cité dans des moments de paix et de réconciliation par le biais de voix mécaniques, de carillon suspendant l’illusion narrative. La perception de la disparité s’estompe alors sous cette phrase de Robert Smithson : “ Quelque part, au fond de ma mémoire, gisent les restes engloutis de tous les films que j’ai vus…

A la galerie Dvir au 13, rue des Arquebusiers 75003 Paris /// Du 8 décembre 2022 au 15 janvier 2023 /// Exposition : SCHLAFBROCKEN - Miroslaw Balka

Je viens d’une famille très religieuse. Pas dans le sens d'étudier méticuleusement la Bible, mais de pratiquer la religion. Ce n'était pas une famille d'intellectuels, c'était plutôt des gens normaux, des paysans et des ouvriers. La foi avait pour eux la même place qu'au Moyen Âge. Vous allez à l'église pour chercher une audience avec Dieu, puis vous écoutez le prêtre parce que ce sont les règles. J'ai aussi suivi les règles jusqu'à mes 18 ans, c'est à ce moment-là que j'ai dit que je n'irais plus à l'église. Néanmoins, j'ai acquis ce puissant carburant pour mon art en raison de tout ce temps passé à l'église, et l'iconographie catholique, en particulier la représentation des saints, est devenue l'objet de mon interprétation. Mon grand-père était un graveur de tombes très célèbre. Tous les dimanches avec ma grand-mère, ils invitaient à dîner le prêtre local de l'église principale de la ville. C'est ainsi que j'ai pu observer le prêtre dans la vraie vie, assis à table, dînant, buvant. Il n'était plus un tel "saint"... Cela a également affecté l'opposition qui émergeait en moi à la religion comme une forme d'hypocrisie…” a-t-il expliqué un jour. Avant d’ajouter ensuite ceci : “Dans beaucoup de mes œuvres, les êtres humains et leur perception du monde sont au centre. Je veux attirer l'attention sur la délicatesse d'un être humain et sur la délicatesse des sentiments entre les gens. Je m'intéresse au thème du corps, sa présence physique et symbolique : physiologie, fragilité, traces. Dans des sculptures, des œuvres et des dessins, je regarde la nature humaine, ses instincts endormis, sa fugacité et sa mémoire”. Elégiaques et dépouillées, ses oeuvres saisissantes sont marquées par des associations textuelles et historiques vives tournées vers des histoires fracturées. Elles questionnent des mémoires domestiques comme des tragédies nationales dans des traumatismes subjectifs faisant apparaître cendre, feu, sel, cheveux et savon. En effet, la pratique artistique de Miroslaw Balka (Photo ci-dessus Crédit@AlessandoMoggi) poursuit une quête faisant entrer en résonance de puissants rituels embrassant la peur et des sculptures convoquant la ruine et des berceuses lointaines. Elle fait appel à des souvenirs honteux cachés et à des malaises étourdissants qui placent le spectateur en témoin face aux aspects les plus sombres de notre existence. Au coeur de cette exposition magistrale, le regardeur appréciera ces bouts de ruines d’architectures nazies dans une tension palpable et une précarité inflexible de l’Humanité. Il éprouvera aussi, dans un second temps, ses différents passages symboliques et ces fugacités sidérantes émanant des visions déchirantes profondément allégoriques. On aime tout particulièrement cette gestuelle en mesure de traduire l’idée de mesure, de désalignement et de déviation jusqu’au dernier millimètre dans des images brouillées privées de clarté ou dans des significations culturelles nous obligeant à regarder sans cesse au-delà de l’opacité. Mais aussi ces incitations à entendre la finitudes des choses dans l’apparente simplicité des matériaux. On se confronte à des structures irrésolues jusqu’au point aveugle. Chaque oeuvre nous renvoie à Paul Célan et nous dit, sur le territoire de la peinture, qu’un tableau n’est jamais une chose finie et que l’iconoclaste est certainement le seul véritable artiste. Une sorte de musicalité sourde et une écriture contre les ténèbres prennent alors le dessus pour mieux dire que le poète est parfois obligé de détruire les mots pour les aimer davantage et dire l’inexprimable. Aucune langue n’apportant le réconfort, face à des terres d’angoisse, le poème se fait autodivination !

Au Musée d’Art Moderne de Paris /// Du 1er décembre au 13 mars 2023 /// Exposition : Pierre Dunoyer - Rétrospective en 14 tableaux Direction : Fabrice Hergott Commissariat : Benjamin Couilleaux

Il y a près de 35 ans que je travaille dans l’essentialité du tableau, c’est à dire dans la faculté plastique à faire du tableau un porter à manifestation. Je n’ai jamais pensé mon travail en termes d’évolution, mais en termes de certification. En effet le tableau, tel que je le peins, se fortifie à la fois dans son exécution - plan, matière, couleur - et dans sa différence accusée d’avec le tableau qui précède et le tableau qui succède….Le tableau détermine dans un cantonnement plastique l’a priori éclos de la couleur. Ainsi révélée, la pluralité instante des couleurs manifeste la raison du monochrome. Il faut rappeler que la couleur est une structure permettant un poids de matière. Ce poids maintient la fructification des proximités liant couleurs et formes dans la primauté du plan. On pourrait dire plus simplement que la matière est, au plan du tableau, une grâce topologique de la couleur…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Mon travail est fondamentalement une abstraction. Le fait qu’il soit abstrait m’intéresse peu. La représentation évidemment n’a plus cours, il y a un véritable statut de résistance à l’interprétation. Indépendamment de la représentation, la figure peut être envisagée comme vérité du lieu. En tout cas, si il y a une oeuvre, il y a mise en oeuvre de la vérité, et, dès lors nous avons affaire à quelque chose qui se nomme figure. Le tableau est un rassemblement de structures, un fruit structurel. Mais comme étant il implique plus un monde qu’une structure. Je peux dire le minéral, le végétal, l’animal et je peux dire que le verbe être ne relève d’aucun. Par contre, avec le tableau je peux dire l’objectal. Nous sortons de l’anthropologie pour rejoindre onthologiquement le passage de la raison d’espèce à la raison d’être à l’aide d’un lieu qui dit cela pour tous”. Avant de poursuivre ainsi : “La première instance phénoménologique consiste à établir les composantes de ce qu’est le tableau : comment il est fait, son mode de manifestation, ses matériaux, son destin. Par exemple la matière, la couleur, le plan, et les outils, le pinceau. D’abord, ils doivent dire la parfaite comptabilité avec la parole de l’être, la considération, l’affection, l’être autre qui n’est pas un sujet supposé savoir. Je ne suis pas indépendant à l’histoire de l’art. C’est un rapport d’autorité : je reconnais à l’art une histoire sans laquelle le tableau ne pourrait avoir lieu”. Soulignant que le tableau vient de rien, que le véritable objet reste à produire et que la proximité avec le tableau est fondamentale, ses oeuvres nous disent que le tableau est le compagnon de la trajectoire des vivants. Elles indiquent que le tableau n’a rien à voir avec une quelconque causalité et ne répond apparemment de rien. En effet, la démarche artistique de Pierre Dunoyer (Photo ci-dessus Crédit@LaurentLecat) conçoit la possibilité phénoménale du tableau dans un engagement à la monstration et un monde né du monde. Elle affirme que la signification n’est pas importante et que seule compte la proximité étrange et fauve avec le tableau dans une pluralité éblouissante des couleurs. Le regardeur, appréciera ici, aussi de cette exposition magistrale mettant en dialogue des oeuvres saisissantes des années 80 comme des années 2000, ce désir d’espace clamant que si la peinture s’arrête ce n’est qu’en raison de l’existence des bords que l’artiste n’a pas à dépasser mais à vivre en profondeur. Le visiteur constatera aussi que le tableau ne préexiste pas à l’acte et qu’il advient comme objet, parole et entendement. On aime cette gestuelle qui fait entrer en conversation l’intelligence objectale et l’intelligence humaine et qui atteste que le tableau est une tolérance généralisée. L’oeil devant la couleur, le plan du tableau rappelle le plasticien habite et trouve le repos !

A la galerie Martine Aboucaya au 5, rue Saint-Anastase 75003 Paris /// Du 15 novembre au 10 janvier 2023 /// Exposition : MICHAEL SNOW - Autour de son nouveau livre

Enfant, j'ai passé de nombreux étés dans un chalet construit par mon grand-père, Elzéar Levesque. Le chalet est situé sur une île au milieu du lac Clair, près de Chicoutimi. Bien que le chalet n'appartienne plus à ma famille, le propriétaire actuel, Gilbert Gravel, m'a invité à séjourner quelques jours dans le chalet de l'île en 2011. J'en ai profité pour tourner Autour de l'île…..” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ceci : “J'ai réalisé plusieurs films qui impliquent des mouvements de caméra, comme Wavelength (1967), qui est construit sur un seul mouvement de zoom, Back and Forth (1969) où la caméra fait exactement cela et La Région Centrale (1971) est construit sur un mouvement sphérique . Autour de l'ile fait partie de cette famille de travail. L'installation de l'œuvre demande au spectateur de se déplacer autour de l'île d'images comme je me suis déplacé autour de l'île en réalisant la vidéo….” Avant de poursuivre ainsi : “Jétais tombé sur une liste de tous les maires de Québec depuis sa création. La liste était une histoire extrêmement intéressante sur la nature multiculturelle de la ville depuis la conquête britannique des Français en 1759 en ce sens que les noms des différents maires étaient français, français-anglais, irlandais et anglais. Beaucoup de noms sont orthographiés de la même manière en français et en anglais mais se prononcent différemment. Il existe également de nombreux noms français archaïques. J'ai demandé à vingt-deux personnes de lire la liste des trente-quatre noms, et j'ai enregistré leurs lectures. J'ai utilisé des anglophones qui ne parlaient pas le français, des anglophones qui parlaient un peu le français, un franco- ontarien, des francophones (québécois) qui parlaient un peu l'anglais, des purs québécois, et deux francophones du français, l'un de Provence et l'autre de Bordeaux. Ces lectures ont ensuite été utilisées en studio pour faire des "choeurs" de différentes lectures, des constructions antiphoniques pour comparer, l'une après l'autre, toutes les différentes prononciations et contre-prononciations d'un même nom, Elzéar Bédard, par exemple qui fut le tout premier (1833).” Repensant l’art par rapport au processus et plaçant la dualité comme principe directeur de son système perceptuel, ses oeuvres accordent aux notions d’allure et d’improvisation un rôle crucial. Elles clament un attachement persistant à la peinture autant qu’elles font fondre figures, objets et décors. En effet, la démarche artistique de Michel Snow ( Photo ci-dessus Crédit@Courtesy Michael Snow and Martine Aboucaya) questionne la distorsion visuelle et matérielle tout autant que l’idée d’absences à travers lesquelles regarder. Elle symbolise la transition de la peinture à la photographie dans une puissance transformatrice sidérante. Le regardeur, appréciera au coeur de cette exposition majeure son nouveau livre intitulé "La collection de photographies de ma mère" reprenant fidèlement l'album photo familial. A coté de cela, il découvrira l’hypnotisante video couleur de 8mn 28 Cityscape (2019), la troublante installation sonore (construction vocale) Sinoms, 1989, l’ installation vidéo couleur, son sur 4 moniteurs Autour de l'île (2011) ainsi que Snow (De, A, Pour Thierry), janv. 2002-oct. 2007 magnifique video couleur, muette et Un plan fixe cadeau / dédicace à Thierry Kuntzel... Non loin de là il trouvera En Haut (2016) : ces sublimes photographies couleur contrecollées sous diasec mat en œuvres uniques. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui nous fait voir et deviner le mouvement des bateaux sur la rivière Saguenay et le fleuve Saint-Laurent, cette seigneurie près de la ville de Québec à Berthier-sur-mer ou encore ces arpenteurs de la région du Lac Saint-Jean. Mais aussi ces zooms obsessifs, ces explorations “en coopération”, cette peau sur la toile trouvant sa réponse dans la lumière venant illustrer ces mots de l’artiste : “Mes peintures sont faites par un cinéaste, mes sculptures par un musicien, mes films par un peintre, ma musique par un cinéaste, mes peintures par un sculpteur, mes sculptures par un cinéaste, mes films par un musicien, ma musique par un sculpteur... qui parfois travaillent tous ensemble. En outre, mes peintures ont été en grand nombre faites par un peintre, mes sculptures par un sculpteur, mes films par un cinéaste et ma musique par un musicien. Il y a une tendance vers la pureté dans chacun de ces media en tant qu'entreprises séparées”. On pense alors à ces panoramiques horizontaux vibrants sous Walking Woman ce morceau de jazz écrit par la musicienne Carla Bley et à ces images bi dimensionnelles épuisant et éclatant le sujet dans les domaines du tangible !

A la galerie Gagosian au 4, rue de Ponthieu 75008 Paris /// Du 19 octobre au 22 décembre 2022 /// Exposition : Confidences - JAMES TURRELL

Dans les années 60, il régnait une grande liberté dans l’Ouest Américain. C’était une terre d’expérience. J’ai toujours voulu créer une lumière semblable à celle que nous voyons dans nos rêves, reproduire la façon dont la lumière filtre à travers nos songes, colore l’atmosphère ou révèle l’aura d’une personne. Ce n’est pas une lumière que nous voyons dans nos vies quotidiennes, mais nous la connaissons tous. Il ne s’agit pas d’un territoire inconnu. Cette lumière est très spéciale parce qu’elle nous rappelle un ailleurs, un lieu que nous connaissons déjà. Lorsqu'on mélange une peinture bleue avec un jaune, on obtient un vert. Mais si l'on fait la même chose avec la lumière, on se rapproche du blanc. Mon oeuvre consiste à orienter cette lumière blanche et je ne pense pas avoir de couleurs favorites. A travers les années, j'ai en fait utilisé tout le spectre lumineux. J'explore un territoire visuel, je le cartographie en quelque sorte, et j'essaye d'en ramener tout ce qu'on peut y voir. Je travaille donc non seulement avec les différentes formes de lumière, les différentes couleurs, mais également beaucoup avec les différentes intensités de lumière. J'ai constaté que l'on voit mieux, notamment les couleurs, lorsque l'intensité est plus faible. La pupille s'écarquille davantage quand on est dans la pénombre et la sensation de l'oeil devient quasiment tactile, comme s'il s'agissait d'un organe du toucher. Nous en faisons l'expérience dans ces situations de pénombre qui nécessitent un temps d'adaptation..” a-t-il expliqué un jour. Et d’a’jouter ensuite ceci : “ Je me sers de la lumière comme matériau principal et le support sur lequel je travaille est la perception. Raison pour laquelle il n'y a ni objet ni image, ni pensée associative dans mes oeuvres. Alors que reste-t-il ? Eh bien justement, l'examen, le spectacle de la lumière en tant que tel. Car elle n'est pas là pour révéler quelque chose d'autre, selon sa fonction habituelle. C'est la lumière elle-même qui est source de révélation. Mon but est qu'on en ressente son aspect physique, qu'on la perçoive comme une matière, qu'on éprouve de plein fouet tout l'éclat, toute la force, résultant de l'affrontement à la lumière. C'est un peu la sensation qu'on a lorsqu'on laisse son regard se perdre dans le feu de la cheminée. Avec l’oeuvre du Cratère, j’ai voulu créer un espace qui soit entre deux, entre le physique et l’immatériel, entre la terre et l’espace, c’est cette jonction entre ces deux états que l’on retrouve dans mon travail, un espace regarde un autre, en influence un autre. Mon travail se focalise sur l’espace et la lumière qui l’habite. C’est un travail sur la façon dont vous vous confrontez à cet espace et la manière dont vous le sondez. Il s’agit de votre vision…” Avant de poursuivre ainsi : “La lumière est le matériau que j‘utilise, la perception le médium, mon travail n‘a pas de sujet, la perception est le sujet, il n‘y a pas d‘image car la pensée associative ne m‘intéresse pas. A travers la lumière, je cherche à révéler certains aspects qui y sont associés. Ainsi, nous avons une relation physique avec elle, nous la respirons comme nous respirons l'air et nous l'assimilons sous forme de vitamine. Nous avons aussi avec elle une relation psychologique qui affecte nos humeurs, notre sensibilité. Et enfin une relation spirituelle - et ce, sur de nombreux aspects: expériences religieuses, domaines du rêve…Travail saisissant et patient de sondage, ses sculptures-sans objet se soustraient à la définition d’objets spécifiques, font se mêler la présence et la transparence. Elles explorent de manière sensitive la lumière électrique ou naturelle pour exprimer la construction de la présence phénoménale du spectateur face à l’oeuvre. En effet, la démarche artistique de James Turrell ( Photo ci-dessus Crédit ©James Turrell Photo : Florian Holzher Courtesy the artist and Gagosian ) nous engage dans une investigation où l’intervention se situe dans l’intégralité de l’espace et vers un abandon définitif de la peinture. Au coeur de cette exposition immanquable, le regardeur appréciera cet ensemble de deux nouvelles œuvres, une de grande taille en forme de diamant aux couleurs vibrantes (Ariel, 2022) et une seconde de taille moyenne en forme d’ellipse aux teintes rosées (Jeu, 2022) dont la couleur s’affirme de plus en plus pure, presque hypnotique. A la fois présentes et impalpables, elles sèment le doute au cœur d’un dispositif où le temps semble radicalement suspendu. Il constatera cette architecture “en acte” en faisant apparaître soudainement du lointain le cratère Roden, le cône du volcan éteint, situé à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Flagstaff dans le Nord de l’Arizona. On aime cette gestuelle qui revendique une double appartenance à la culture scientifique et technique mais aussi à la culture atlantique et pacifique. Mais aussi l’idée de ce cratère-environnement créé pour contempler la lumière et l’espace du ciel qui renvoie aux structures à ciel ouvert créées d’abord par les Égyptiens, puis utilisées par les Grecs, et que l’on retrouve également dans le Panthéon romain, où le ciel fait partie de l’architecture. Chaque installation présente des surfaces lumineuses qui se déplacent lentement les unes contre les autres, derrière un diaphragme qui génère une impression alternée de platitude totale et de profondeur quasi-infinie. Ces combinaisons jouent avec notre perception de l’espace et évoquent des œuvres picturales antérieures d’Ad Reinhardt et Mark Rothko. Ces dernières connectent le visiteur à une multitude de corps célestes que nous pouvons voir depuis la Terre et à la lumière qui nous parvient depuis l’origine des temps. Bien que l’empreinte visuelle sur le paysage naturel extérieur soit minime, les cendres rouges et noires sont transformées en une série de tunnels alignés, de portails et d’ouvertures sur des cieux immaculés. Se produit alors l’expérience de la lumière isolée et intensifiée laissant place à lapparition d’objets. On pense alors à cette tradition quaker, secte protestante rejetant toute idée de représentation et dont l’artiste Turrell a gardé cette quête de la « lumière intérieure ». De ce protestantisme strict excluant l’engagement séculier, l’usage de la force, Turrell a probablement conservé un idéal de tolérance dans une démarche initiatique apte à “saluer” la lumière !

Au Musée Unterlinden, Pl. des Unterlinden, 68000 Colmar /// Du 1er octobre au 27 mars 2022 /// Exposition : Le Chant des étoiles - FABIENNE VERDIER /// Commissariat : Frédérique Goerig-Hergott

Cette réflexion sur la nature fougueuse du vide a débuté à Sils Maria dans un ermitage de montagne avec mon ami astrophysicien Trinh Xuan Thuan. Je découvre alors que le vide n’existe pas et que notre univers est rempli d’énergies, d’une multitude d’atomes en mouve- ment perpétuel qui oscillent, frémissent, vibrent... Je me suis mise alors à la recherche d’une écriture spontanée pour peindre le vide fécond à l’origine de tout. Comment rien peut-il être la source vive de toutes manifestations ? Le vide serait plein. Plein de potentialités improbables et très actives. Je me sens effectivement proche de lui dans l’idée de peindre des « paysages du mental », des « matériologies »...Une même attention nous guide dans un réel refusant le débat de la figuration ou de l’abstraction, refusant aussi les modèles d’art de peindre établis, pour une gestuelle plus spontanée et plus juste, plus originelle et plus vraie dans son expression.” a-t-elle expliqué dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : “Quand le centre de gravité des choses et du monde coïncide avec le centre de gravité de notre propre corps, surgit alors une forme cosmogonique tournant sur elle-même, fluide, sorte de propagation en auto-rotation qui génère dans l’esprit du public comme une turbine d’énergie constante. Ce cercle est alors comme une matière agissante, il possède un esprit vitaliste. On est frappé par l’immédiateté de notre perception de l’« ici et maintenant » là total. Et puis, il continu de tourner en créant finalement une ligne infinie. Il est parfaitement vide, mais il est aussi parfaitement plein. Là, pour moi, ici se trouve un espace sacré. Cette forme symbolise alors le vide fécond où tout et l’infini peuvent advenir.” Avant de poursuivre ainsi : “Grünwald m’a inspirée car dans une sorte de transmutation de l’espace, il nous fait entrer dans un lieu qui ne partage plus rien de notre vision avec la perspective euclidienne. Le tourbillon ascendant du drapé soutenant le corps du Christ changeant, corps humain qui brûle, se consume, se dissout lentement dans les anneaux d’une sphère de lumière immatérielle et vibratoire, nous ouvre à une tout autre dimension. Ce qui m’intéresse, c’est ce corps d’énergies en lévitation qui flotte, s’anéantit et s’ouvre à l’espace cosmique. J’ai tenté de peindre cette grande rêverie de la Transfiguration, ce passage de la dissolution du corps matériel en micro- particules, fluide gazeux, poussières d’étoiles en expansion vers le ciel étoilé. Nous sommes tous les enfants des étoiles. Tout ce qui constitue notre organisme : nos os, nos muscles, notre peau sont des tissus vivants composés d’atomes de carbone, d’oxygène, de fer, d’azote, de calcium... Tous ces éléments proviennent du cœur des étoiles. Les atomes qui composent la matière qui nous entoure, la Terre elle-même et tous les autres corps du système solaire (/tous les systèmes, qui ne sont qu’un seul/) sont produits par les étoiles (97 % de la masse du corps humain est de substance stellaire). J’ai pensé alors chaque tableau de l’installation comme le portrait d’une étoile ou d’un individu qui, dans les derniers instants de sa vie, se transforme dans une phase de sublimation, passant de l’état solide à l’état gazeux, constitué de particules qui se dispersent dans l’atmosphère. En peignant cette série de « Rainbow paintings » avec des pigments cyan, magenta et jaune, une série de sphères, d’auras, formes de halos de lumière dont les longueurs d’onde se superposent les unes sur les autres sans frontières précises, accidents vibratoires circulaires du spectre de la lumière avec des énergies blanches gazeuses, forces tourbillonnairesqui surgissent, voyagent et s’évanouissent dans l’espace.” Créant un axe générateur, une force agissante et un couloir de circulation qui nous lient à la sagesse divine, ses oeuvres s’intéressent aux structures sous-jacentes de compositions figuratives et symboliques du tableau qu’elle a tenté de transposer par l’abstraction. Questionnant la rérologie, science des écoulements et des flux de la vie, elles évoquent cette pensée de Plotin : “l’Un précède tous les existants, il est leur source. entièrement UN”. En effet, la démarche artistique de Fabienne Verdier ( Photo ci-dessus Crédit@Laura Stevens) nous dit que le trait de peinture ou de gravure devient un modèle et un canal privilégié où l’énergie et le rythme spirituel circulent. Elle nous confirme que tout être vivant existant dans le monde est à la fois image visible et vérité invisible. La ligne sonore est envisagée comme un corps physique élastique, une pensée fluide dans une écriture proche de la partita via des lignes d’une portée aléatoire. Le regardeur appréciera, au coeur de cette exposition majeure, ces travaux saisissants nous faisant voir le déploiement et la propagation du mouvement continu-discontinu de l’onde sonore dont on prévoit l’issue pris comme un lieu de figuration instable dans des déplacements-translations et des balancements intérieurs-extérieurs vagabondant hors les murs. Il constatera ce profond désarroi, ces tétanies et ces prises de conscience vertigineuses associés aux souffles vitaux animant et irrigant les choses. On aime particulièrement cette gestuelle qui recourt parfois au blanc de titane et au glacis pour sacraliser l’instant de la mort et cherchant sans cesse à concilier nature humaine et nature divine. Mais aussi ce cheminement singulier et cet esprit vitaliste nous renvoyant au mouvement de l’écorce terrestre, à l’ossature du réel comme pour mieux souligner que le monde est mesurable, figuratif, paisible et organisé. Enfin, ce crépitement et ce scintillement de la ligne de point, échappant au dolorisme nous conduit sur des forces tourbillonnaires du drapé et une génèse du visible. Chacune des oeuvres, icônes de consolation, partage ce “ici et maintenant” de l’acte de peindre dans des mouvements du corps-pinceau où s’aggrègent les couleurs douées d’une action magique. On aime ce glissando se débarrassant du cogito exprimant le vide comme source de toute manifestation et ces miroitements comme une sorte de propagation allant vers la chapelle ardente en mesure de nous conduire vers un autre état ! Le réel refuse ici le départ de la figuration, dans une lumière ascendante du peintre-charpentier du réel et une grande rêverie de la transfiguration. On pense à cette bataille à gagner avec nos humeurs, à l’énergie du pinceau sortant de la toile, à ces dissolutions flottantes mais également à Dubuffet refusant le chevalet. Ou encore cette pensée de Paul Klee : “Laisse rêver les lignes” assumant que l’art est bel et bien un instrument pour tracer les lignes de vie.

A la galerie Gagosian au 4, rue de Ponthieu 75008 Paris /// Du 19 octobre au 22 décembre 2022 /// Exposition : ED RUSCHA

« J'ai commencé à prendre des photos quand j'étais à l'école, mais sans intention sérieuse. J'aimais l'idée de pouvoir capturer ce qui est ici et maintenant, comme une réalité immédiate susceptible d'être ensuite évaluée et intégrée à une peinture. J'ai toujours eu le plus profond attachement pour tout ce qui ne pouvait pas être expliqué. Les explications ont en elles quelque chose qui annule le pouvoir de ce que l'on fait. Je suis une victime de la ligne horizontale et du paysage, qui ne sont quasiment pour moi qu’une seule et même chose. La photo m'a aidé à voir en deux dimensions, et je l'ai utilisée pour mes dessins ou mes peintures. Ce n'est qu'un moyen pour aller ailleurs. C'est comme mes livres : ce sont d'abord des livres. Il se trouve juste qu'il y a des photos à l'intérieur…" a-t-il confié un jour. Et d’ajouter aussi ceci : “Quand j'ai fait mes livres, j'ai tout fait pour évacuer le sentimentalisme... Il y a quelques années, dans un rêve, je me tenais avec un livre face au coucher du soleil. Lentement, je tournais les pages, l’une après l’autre. En faisant ça je me suis rendu compte que je commençais à comprendre l’idée de la symétrie et que les choses commençaient à se lire de la même façon dans les deux sens. A une époque, les journaux, les magazines, les livres – les mots, en somme – avaient plus de sens, à mes yeux, que n'importe quelle fichue peinture à l'huile d'un artiste….” Avant de poursuivre ainsi : “J’aime le mot gasoline et j'aime le caractère spécifique de twentysix. J'ai travaillé sur tout cela avant de prendre les photographies. Ce n'est pas que je voulais faire passer un message important concernant l'essence, le nombre 26 ou quoi que ce soit de ce genre, je voulais juste qu'il y ait une cohérence. Surtout, les photographies que j'utilise ne sont en aucun sens artistique. Je pense que la photographie est arrivée à son terme en tant qu'art, elle n'a plus d'usage que publicitaire, pour répondre à des objectifs techniques ou d'information, mes photos sont des données techniques comme dans la photographie industrielle. Pour moi, ce sont rien de plus que des clichés instantanés.” Donnant une étendue au presque rien, ses oeuvres dénuées d’effet de matière dépassent la question purement formelle du médium et font de l’usage des mots en peinture une condition nécessaire singulière. Elles questionnent, dans une exploration de la ligne horizontale, des horizons chimériques où s’entrecroisent les vocables et l’idée de paysage. En effet, la démarche artistique de Ed Ruscha ( Photo ci-dessus Crédit@Manfredi Giocchini) nous parle d’un “regardeur de mots” sensible à l’écoute d’un quotidien sans qualité et d’un monde prosaïque faisant un pied de nez à l’inspiration, la spontanéité ou la subjectivité. Elle nous dit que quand on s’attache aux choses, quand on les regarde assez longtemps, elles finissent par devenir importantes. Que c’est un retour au pouvoir des objets. Le regardeur, appréciera, au coeur de cette exposition parisienne majeure, ces nouvelles peintures saisissantes de l’artiste oscillant entre le signe et la substance en plaçant l’idée du mot au premier plan de la peinture. Il constatera également la part de sublime survenant de l’artificiel et de l’absurde autant que ce regard clinique porté sans déni sur l’Amérique. On aime particulièrement cette gestuelle qui dévoile la facture anonyme des surfaces et les opérations qui les composent dans des relevés séquentiels agencés par la suite en livres. Mais aussi ces aphorismes parcourus d’interférences phénoménologiques et de profonds silences océaniques mesurant l’opportunité de peindre !

A la galerie Gagosian au 9, rue de Castiglione 75001 Paris /// Du 8 juin au 3 septembre 2022 /// Exposition : TATIANA TROUVE

Il y a un gardien qui a un livre d'onyx ouvert où il n'y a pas de titre, mais le livre qui est en dessous, c'est un livre de Nastassja Martin, une anthropologue française qui raconte la rencontre d'un ours qui lui a dévoré une partie de la mâchoire. Et en fait c’est assez beau parce qu'elle le revisite au lieu de se placer en tant que victime, de cette expérience, elle explique comment, finalement, elle a pris quelque chose de l'ours, et l'ours, évidemment, est parti avec un peu d’elle. Et sur le livre en onyx, il y a une petite tête où il manque aussi une partie de la mâchoire. “ a-telle expliqué un jour. Et d’ajouter ceci : “Tous les livres se répondent. Sur d'autres gardiens, il y a des livres de Ursula Le Quin une autrice de science-fiction, un peu définie comme une éco féministe qui parlent beaucoup de territoires, des territoires amérindiens qui ont été dérobés, de la place de la femme, etc. Et puis un livre d'Italo Calvino qui s'appelle Les villes invisibles, un récit de villes imaginaires où toutes les villes ont le nom d'une femme et aussi toute une histoire aussi de territoire. Tous ces livres-là se renvoient et font naviguer dans des mondes différents. Des gardiens ont justement des livres qui aident cette navigation, des personnes qui pourraient habiter cette place et qui garderait aussi ces mondes. Et d'autres fois, c'est plutôt des objets de la vie commune, des sortes d'aménagements de cette chaise du gardien.” Avant de poursuivre ainsi : “La pierre se constitue de façon très, très lente. Géologiquement, ce n'est pas un matériau, est rigide et froid, mais au contraire, qui a vraiment une vie très, très longue. Ma palette, ce sont vraiment des matériaux comme le métal, le bronze, le bois, la pierre, etc. Mais ce que j'aime surtout, c'est les faire correspondre et les faire s'imbriquer les unes dans les autres et passer vraiment d'une matière à une autre qui coexistent en même temps.” Convoquant des objets de la vie commune et nous faisant naviguer entre différents mondes, ses oeuvres parlent d’hétéronymes et de territoires lointains allant du Serengeti à l’Amazonie. Elles évoquent des gardiens et des prophètes dans un art de la mémoire cultivé dans une forme de désorientation protocolaire et délibérée. En effet, la démarche artistique de Tatiana Trouvé ( Photo ci-dessus Crédit@Alastair Miller) nous dit que dans le rêve, il n’a jamais une temporalité qui est évolutive ou linéaire. Le rêve recrée sa propre temporalité. Selon l’artiste, le temps n’existe pas et les rêves en sont la preuve. Au coeur de cette exposition incontournable, le visiteur appréciera ces récits interrompus en se perdant dans des niveaux de fictions différents. Il questionnera ces pièces à travers lesquelles l’artiste s’inscrit dans une histoire. L’artiste atteste qu’il entre dans la tâche et qu’il part avec. L’invisibilité ici structure le champ du visible via des mondes qui se tiennent par la main comme des doubles identiques échappant à toute logique et se prêtant à des va-et-vient saisissants. On aime cette gestuelle inextricable qui nous fait penser à des passages de Derrida ou de Pessoa où les paysages littéraires éclosent et où les notions de dissolution croisent celles de la bifurcation. Le trait donne à voir se qu’il partage dans des gestes d’amour à l’aveugle. Mais aussi ces apories vacillantes, ces amorces inaltérables et ces décisions presque abérrantes qui court-circuitent l’entre-deux pour mieux nous livrer un champ magnétique et une gravitation qui happent l’interstice !

A la galerie Max Hetzler au 57, rue du Temple 75004 Paris /// Du 9 juin au 30 juillet 2022 /// Exposition : Gridwork : Palm Canyon Wartercolors - CHARLES GAINES

Je fais des choix comme le fait un scientifique, et on ne dit pas que les scientifiques font des œuvres d'art, parce qu'il y a un élément de rationalisme dans les choix scientifiques. J'ai un autre exemple : jouer aux échecs. Il existe un nombre exponentiel de choix que vous pouvez faire aux échecs, et personne ne qualifie ces décisions de subjectives. Je crée ou j'invente des process de la même manière que toutes les autres personnes, dans toutes les autres circonstances, inventent ou créent. Il n'y a aucune raison de séparer l'art et les artistes des autres activités humaines.” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je ne me qualifierais pas de structuraliste, mais j'ai étudié intensivement le structuralisme, la déconstruction et la sémiotique. Ces idées générales sont très influentes. De savoir quels motifs on place l'un à côté de l'autre n’est pas important, car il y a une histoire à raconter quoi qu'il arrive. En fin de compte, le sens va être produit grâce à nos connaissances culturelles. Le rôle du spectateur devient très important dans ce processus. (…) Je ne prétends pas que la subjectivité, l'intuition ou l'invention créative n'existent pas. Je ne dis pas non plus qu'elles sont sans importance dans l'expérience d'une œuvre d'art. Ce que je dis, c'est que la plupart des gens pensent que lorsque vous faites un choix, vous vous exprimez. Mais ma position est que faire un choix n'est pas un acte d'expression”. Avant de poursuivre ainsi : “Le fait d'être blanc a été considéré comme une expression universelle de l'humanité, et le racisme a joué sur ce point en marginalisant les personnes qui ne sont pas blanches. Une fois que vous avez universalisé l'idée de race, vous en faites un système, un cadre de fonctionnement de base. Le siècle des Lumières a construit une idée de la race qui ne pouvait être critiquée parce qu'elle était considérée comme universelle. C'est cette image globale que je voulais critiquer.” Etablissant la corrélation entre objectivité et interprétation, ses oeuvres déconstruisent l’idée même d’apparence via des systèmes parcourus de schémas paraboliques. Sous la forme de compositions linguistiques, elles nous renvoient sur des principes de cognition saisissants. En effet, la démarche artistique de Charles Gaines (Photo ci-dessus Crédit@KatherineDuTiel) porte sur le discours entre esthétique, politique et philosophie en prenant la grille pour prisme et tamis. Elle affirme un engagement en faveur de l’idée d’indétermination sous une approche non didactique revendiquée. Le regardeur appréciera, au coeur de cette superbe exposition, ces travaux nous confrontant indirectement à un expressionnisme politique ancré dans un art conceptuel révélant des séries qui dévoilent une préoccupation en faveur de la défense des droits humains. On aime tout particulièrement cette gestuelle plaçant, dans des réunions fortuites, l’aquarelle et l’encre dans des régimes de règles universelles et prédéfinies laissant place à des “organismes” en couches successives livrant des états méditatifs fertiles. Mais aussi ces arythmies rationnelles nous renvoyant aux mystères de la création !

A la galerie David Zwirner au 108, Rue Vieille du Temple 75003 Paris /// Du 20 juin au 23 juillet 2022 /// Exposition : ETERNITY - LUC TUYMANS

C’est très difficile pour moi de peindre des choses joyeuses. Pas mon truc. Je m’intéresse exclusivement à la condition humaine, évoquer des "choses au bord de…" Que voulez-vous, je suis un pessimiste. Sans doute suis-je ainsi moins déçu. La cruauté a produit beaucoup plus d’images que le bonheur. Quand j’arrive devant la toile, elle existe déjà sur le plan mental. Ensuite, je la réalise méthodiquement…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ceci : “Ce qui m’intéresse, c’est le résidu des choses. Ce qu’on voit une fois qu’on a fermé les yeux. Je ne veux pas faire de l’art pour l’art mais une peinture d’Histoire, ou plutôt une peinture de mémoire et de trauma. Dans les peintures, il faut toujours un point faible. La peinture a sauvé ma peau. Grâce à elle, de manière sereine et tranquille, j’ai pu enfin m’exprimer sans les mots. J’ai vécu cela comme une forme de résilience.” Avant de poursuivre ainsi : “Longtemps j’ai été détruit… J’ai commencé à parler à l’âge de 15 ans. Avant, j’étais un être silencieux, mutique qui souffrait à l’école. Un autiste, en somme. Je ne peux plus voir un groupe d’enfants sans imaginer la cruauté qu’ils peuvent user les uns envers les autres. Mais j’attendais mon heure, ma vengeance (rires). Pendant mes études, je devais bien trouver un peu d’argent pour vivre… Alors trois nuits en fin de semaine, j’étais videur. C’était schizophrène. Moi qui avais été un pestiféré, je passais du côté de l’autoritarisme. J’étais impliqué dans un système basé sur une forme de violence. Cela m’a tout de même appris beaucoup sur l’âme humaine. Ne jamais sous-estimer une personne. Un costaud n’est pas forcément un homme costaud…” Portant sur la question du signifié et cherchant à savoir ce que l’image va laisser en nous, ses oeuvres saisissantes nous indiquent que la mémoire historique diffère de la mémoire intime. Liées à l’idée de réalité et de réalisme, elles sont attachées à la notion de signification et aux conséquences des images et de l’art. En effet, la démarche artistique de Luc Tuymans (Photo ci-dessus. Crédit@OtmanQrita Courtesy of the Artist and DavidZwirner) évoque l’incapacité de rapporter la réalité en affirmant que chaque peinture est un combat où l’image supplée l’expérience. Elle nous indique que la pupille peut aussi devenir un trou noir qui nous aspire et que la peinture ne doit pas forcément être considérée comme un site de fouilles mais plutôt de construction. Au coeur de cette exposition magistrale, le visiteur appréciera ces oeuvres qui osent témoigner que sans la violence et l’obsénité il n’y pas d’impact visuel. Il constatera que la nécessité psychologique et politique à l’oeuvre entend aussi l’espace a-poétique. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui nous rappelle, dans un regard clinique sur le monde et cette relation spéculaire, que ce qu’il y a de plus profond finalement dans l’homme c’est la peau, selon les mots de Paul Valéry, et que la peinture ne se formule pas dans la tête mais bien dans le geste vif et ce double mouvement d’approche sans trop mettre à distance le sujet et les ingratitudes qu’il comporte. En entraînant le secret incertain et l’explicite flouté de la trahison des images, du fond jusqu’à la surface, dans un esprit de confrontation tout en se débarrassant de l’érudition pour arriver à l’oeuvre. L’artiste parvient à donner corps à la terreur de l’image et à produire un effet de vide qui lui apparaît à lui aussi comme un corps étranger. Dans une volonté manifeste de rejet et d’incomplétude !

A la galerie Max Hetzler au 57, rue du Temple 75004 Paris /// Du 30 avril au 4 juin 2022 /// Exposition : Somatic Transmission & Qualiascope (Recent Paintings) - CAROLL DUNHAM

Je lis de la science-fiction depuis que je suis enfant, et mon imagination m'emporte vers l'espace. J'ai eu l'idée de représenter un blob au milieu d'une vaste toile, pensant qu'il serait intéressant de voir ce qu'il se passait avec cette grande forme jaune. Puis, j'ai commencé à dessiner dessus et à y peindre toutes ces choses, et c'est devenu une sorte d'image du monde. Cela m'a donné l'idée que je pouvais y représenter un ensemble de motifs. Alors je l'ai fait. J'ai fait beaucoup de peintures autour de cette idée de corps célestes et d'étoiles. Puis je suis passé à autre chose : J'ai commencé à peindre et à dessiner des images de paysages et de femmes, dont certaines que je nommais « les baigneuses » afin de peupler et remplir ce monde. Mes figures sont presque comme des icônes - vous savez, comme le soleil." a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ceci : “J'ai toujours aimé l'idée que le processus de création devait être transmis ou compris d'une manière ou d'une autre, et fait partie de l'expérience du regard. Mais ce n'est que relativement récemment que je me suis concentré sur ce genre d'archéologie dans mon travail. J'ai donc fait évoluer mon travail. C'est ce que je fais dans mon studio - je m'efforce de trouver comment obtenir des couleurs vraiment riches et profondes mais transparentes. Tout ce que je dessine sur ces tableaux est à peu près visible une fois le tableau fini. C'est effets de transparence ont donc un réel intérêt pour moi. La datation est probablement née d'une impulsion me poussant à montrer tout ce processus. Mais je n'y ai pas pensé de cette façon depuis des années. J'y pense beaucoup plus concrètement que ça dernièrement. J'aime vraiment pouvoir regarder les choses et savoir quand je les ai faites, et connaître l'ordre dans lequel je les ai faites. Les gens qui me connaissent et qui ont été dans mon studio le savent bien et m'ont vu noter tout le processus d'évolution de l'oeuvre.” Avant de poursuivre ainsi : “Qualiascope est un appareil imaginaire dont les philosophes et les neuroscientifiques ont débattu ; ce n'est pas une chose réelle, mais l'idée qu'il y aurait une sorte d'appareil qui pourrait mesurer l'état et le degré de conscience des êtres vivants. La transmission somatique est un terme qui m'est venu à l'esprit pendant que je travaillais parce que, comme je l'ai dit plus tôt, j'ai beaucoup réfléchi à la façon dont l'art est transmis à l'artiste, mais aussi Somatic fait référence à la relation entre l'esprit et le corps.” Montrant des figures hirsutes, des arbres texturés ou encore des formes biomorphiques, ses oeuvres développent un langage singulier où le rapport au corps prend un aspect archétypale. Elles nous dévoilent une sorte d’Arcadie baignée de motifs abstraits et des figures stéréotypées saisissantes. En effet, la démarche artistique de Caroll Dunham ( Photo ci-dessus Crédit@LaurieSimmons) place l’Humanité face à des vortex en la plongeant dans un surréalisme fait de traits schématiques parfois naïfs ou neutres. Elle interroge des vies intérieures où le visage est toujours absent. Le regardeur, appréciera ici, au cours de cette exposition immanquable, ces travaux faisant écho à une sorte de futur ancestral caché quelque part dans le cosmos et dans des volutes systémiques. Il constatera ce repli volontaire interlope de l’artiste sur les choses dans une logique où l’art est avant tout un exercice philosophique. On aime tout particulièrement cette gestuelle, à travers laquelle les actes de copulation épousent des contours caricaturaux et des symboles répétitifs dans une opacité quasi biblique livrant des rituels obscurs. Mais aussi ce vocabulaire très réducteur, sans sensationnalisme gratuit, qui nous dit qu’à un moment donné, “la vie commence à s’infiltrer”. Et qui nous rappelle que l’Art permet à des choses que nous n’utilisons pas dans notre espace social quotidien de se comprendre, de se catégoriser. Et qu’il est une sorte de zone libre !

Au MAMC+ Saint-Etienne Métropole - rue Fernand Léger 42270 Saint-Priest-en-Jarez /// Du 14 mai au 28 août 2022 /// Méta-Photographie - THOMAS RUFF /// Commissariat : Alexandre Quoi

“Mon travail est une réflexion sur l'image. Depuis l'origine de l'art, que le portrait soit peint ou photographié, l'artiste a toujours le désir de faire ressortir une personnalité, souvent par le biais d'éclairages qui dramatisent le visage. Au contraire, je veux que le spectateur soit conscient qu'il regarde une photographie et non un sujet. Ainsi mes portraits ne disent rien de la personne. Ils sont en très grand format, frontaux et cadrés serré mais il est impossible de percevoir les sentiments du modèle, s'il va se marier la semaine prochaine par exemple. Mon portrait n'est qu'un parmi des milliers de versions possibles. Avedon, par exemple, croit que la photographie peut mettre à nu une psychologie. Ses portraits sont « attractifs », mais c'est de la propagande. J'essaie de montrer l'impossibilité qu'il y a à prendre un portrait.”a-t-il expliqué un jour. Avant d’ajouter ceci : “En 1980, quand j'étais étudiant à Düsseldorf, j'étais influencé par la tradition documentaire, avec Sander, Renger-Patzsch, Blossfeldt, mais aussi la photographie américaine héritée de la Farm Security Administration et Walker Evans comme référence. Mes premières images, les Intérieurs, viennent de là. Quand mes amis étudiants venaient chez moi, ils ne reconnaissaient pas ce que j'avais photographié. Et pourtant je ne faisais aucune mise en scène. C'était la preuve qu'une image quelle qu'elle soit, portée par le cadrage et la lumière, ne restitue pas la réalité. Elle n'est qu'une construction, une fiction. Tous les photographes qui prétendent faire du documentaire usent d'artifices. Leur perception est façonnée par différents éléments, comme l'éducation du photographe ou celle du spectateur.” Et de poursuivre ainsi : “En règle générale, pendant les cinq premières prises, je n'ai même pas besoin de mettre un film dans l'appareil, parce que la personne est encore, non pas angoissée, mais déconcentrée. Les flashes se mettent tout juste à crépiter, c'est une situation nouvelle. La bonne photo se trouve parmi les cinq prises suivantes. Finalement, je dirais que mes photographies ont relativement peu à voir avec la personne photographiée. Je dirais qu'il est très difficile d'interpréter les portraits que je fais: quel âge a cette personne ? Quelle profession exerce-t-elle ? Qui est sa mère, son père, combien de frères et de soeurs a-t-elle? C'est vraiment absurde de demander à une photographie de livrer toutes ces informations.” Montrant que toute image est une construction et d’une certaine façon une fiction, son oeuvre sonde la photographie dans un questionnement de l’illusion analogique et le désir d’identification. Elle redéfinit les possibilités conceptuelles du médium en remettant en cause son essence comme moyen d’expérience visuelle. En effet, la démarche artistique de Thomas Ruff ( Photo ci-dessus Crédit@Thomas Ruff, Selfportrait, 1991, Collection de l’artiste© ADAGP, Paris 2022 ) se tourne vers le sujet des manipulations de l’image en s’interrogrant sur les informations qui subsistent lorsque l’image est isolée de sa fonction. Elle livre une sorte de terrain de “néant” visuel dans un goût pour la procédure visuelle, la méthodologie et l’inventaire. Le regardeur appréciera, au coeur de cette exposition magistrale, ces travaux où l’homme est une métaphore et où les interprétations symboliques n’ont pas lieu d’être. Il constatera que l’élaboration des séries rend possible la comparaison par le regard et que l’artiste explore de nouvelles manières de voir s’intéressant à ce que les autres ne regardent pas. On aime particulièrement cette gestuelle qui brouille toutes les formes d’érotisme et rappelle que Mao est une image du pouvoir et que cette image a un impact plus fort que celui de la publicité tout en incarnant une forme de nostalgie . Mais aussi cette capacité à révéler derrière l’appareil le peintre dans des compositions où apparaît la trame au sein d’une expérience physique faisant émerger autant notre monde technologique que l’apogée de la nature !

Bertrand Lavier

Tout notre rapport au réel est lié à ce rapport que l’on a avec le langage qui à la fois vient préciser les choses et à la fois vient les disséquer, les déliter. Aujourd’hui, les critères esthétiques qui viennent valider une œuvre d’art arrivent souvent en 2ème ou 3ème position, ils ne sont pas essentiels. Ils ne le deviennent qu’après 10, 20 ou 30 ans. Le monde de l’art est une sorte de western, le marché de l’art est extrêmement prescripteur, très toxique et totalement injuste. Il y a des artistes de très haut niveau qui sont dans l’ombre, des artistes de niveau extrêmement faible qui sont dans la lumière. Mais paradoxalement cette injustice-là n’est pas forcément négative, car si on voulait rendre les mérites, il faudrait définir des critères…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je suis allé, comme disait Malraux, de Mallarmé à Villon, et c'est avec l'art de mon temps que j'ai remonté l'histoire, si je puis dire. L'art est un principe de vie. Ce qui me plait, c'est la pensée qui traverse une œuvre, mais c'est aussi la manière d'y arriver. Ce qui a été très sensible pour moi, c'était de voir qu'être artiste faisait qu'on avait une manière de traverser le quotidien qu'on pouvait choisir soi-même. Ce domaine là me semblait propice à mon rêve d’aventure extrêmement libre, à ma dérive personnelle. On doit être choqué par les choses que l'on produit. C'est très rare que des œuvres plaisent d'emblée. En général, il y a un choc positif qui déstabilise vos certitudes. Et l'artiste n'est pas à l’abri de ça. Il faut être persuadé du bien fondé de son travail pour continuer à l'assumer et l'exposer ensuite. Et il faut un peu de naïveté pour aller sur des chemins non battus techniquement.” Avant de poursuivre ainsi : “Une œuvre, c'est une idée que l'artiste se fait de l'art et, à la fois, c'est une autre manière de l'aborder. Implicitement, l'artiste dialogue avec ce qui l'a précédé. Le supermarché est pour moi aussi intéressant que le Musée d'Art Moderne, je vais de l'un à l'autre de manière assez libre. L’art est un territoire singulier, en perpétuel mouvement, et les artistes en redessinent constamment les frontières. Une pierre posée sur un frigo, on peut effectivement trouver cela scandaleux mais aussi très beau. On ne peut pas nier que c’est une sculpture. Il s’agit bien d’un objet posé sur un socle. Ça répond précisément à la définition élémentaire de ce qu’est une sculpture..”. Nous disant que faire de l’art est un jeu de l’esprit et une mise en abîme, ses oeuvres rappellent que l’artiste essaie de rendre poétique des choses familières et qu’il a un seul devoir : faire ce qu’il veut. Opérant des greffes en reintroduisant de la chair, du tragique et de l’émotion, elles nous montrent que le bon accord de couleurs ou le bon accord des objets, c’est pareil. En effet, la démarche artistique de Bertrand Lavier (Photo ci-dessus Crédit@CourtesyArchivesKamelMannour-détail) nous confirme que la peinture fait passer le regardeur dans le reflet et qu’elle tricote les univers du culturel et du populaire pour mieux tourner le dos à la dépression et au désenchantement. Questionnant les mécanismes d’attribution de valeur qui innervent le monde de l’art, elle soulève ces questions essentielles : Comment peut-on nommer une couleur ? Comment peut-on encore la distinguer à l’intérieur de différentes nuances ? Le regardeur appréciera, au contact de ses oeuvres saisissantes, un espace de prolifération et de liberté échappant à tout système prédéfini où l’artiste se dit symptôme de la société. Il constatera face à ces “solutions” plastiques et ces allers-retours de rupture et d’élasticité que la poussière transforme la sculpture en épave. On aime tout particulièrement cette gestuelle, qui révèle de temps arrêtés et d’arrêts forcés au sein desquels un simple panneau devient un tableau, quitte son installation in situ pour rejoindre le mur d’un musée. Mais aussi ces coïncidences permanentes, sans être de la pensée magique, forçant les connivences entre des mondes où des objets ne sont pas faits pour se rencontrer. Mais pourtant si beaux ensemble !

A la galerie Lelong&Co au 13, rue de Téhéran 75008 Paris /// Du 17 mars au 7 mai 2022 /// Exposition : Ex nihilo - ARNULF RAINER

Au cours des années 1968 et 1969, j’ai commencé à me rendre en soirée à la gare presque toutes les semaines. Il y avait une cabine qui permettait, en plus des photos d’identité, de faire des portraits en format carte postale. Durant le jour, les gens qui s’impatientaient devant la cabine ou jetaient un regard curieux dans l’entrebâillement du rideau me dérangeaient souvent. Certains cherchaient même à voir certains exemplaires des 10 ou 15 cartes postales que j’avais imprimées et en détruisaient la plupart car la qualité n’était pas assez bonne. Je revenais plus tard, lorsque les derniers trains étaient passés et que la gare allait bientôt fermer. J’éclusais rapidement un verre de vin sous l’oeil suspicieux des policiers au comptoir, et j’allais travailler. J’avais besoin d’un peu d’exaltation, d’une profusion d’expressions transmises par les muscles et les nerfs de mon visage…” a-t-il confié un jour. Avant d’ajouter ceci : “Les peintres ne sont pas des stars médiatiques parce qu'ils ne veulent travailler que "seuls". Les expositions sont un travail à temps partiel pour eux. Mais je suis heureux quand une exposition est bien organisée et visuellement passionnante. Je ne le fais jamais moi-même. Tout comme expliquer cela au public… Un clown ne commente pas sa performance ou un poète ses poèmes.” Et de poursuivre ainsi : “Les handicaps liés à l'âge augmentent. La vigilance diminue. J'ai donc dû me replier sur des formats plus petits et ne plus me soucier de la communication et de l'organisation. La mémoire et la pensée cohérente rétrécissent, votre dos vous fait mal. Les regards mauvais des autres sursautent, et la fatigue se répand de plus en plus. La peur de laisser derrière moi de mauvaises images me tourmente. La vieillesse, c'est aussi le repli sur soi, ou le regard « au-delà », on crée de la distance ou, dans la mesure où la santé le permet, on s'enfonce dans encore plus de travail ou simplement on réfléchit. Mais tant que je suis encore en assez bonne santé, je travaillerai et travaillerai. Un coup de pinceau réussi est pour moi la chose la plus importante dans la vie.” Expiatoires et sacrificielles, ses oeuvres souvent grimaçantes et ruisselantes nous parlent de frontières liquéfiées mais aussi de radiations paisibles et de réclusions. Dans une fascination de la symbolique de La Croix et une fureur envers le monde, elles se montrent à la fois hargneuses et véhémentes pour mieux exprimer le repentir et une forme de honte face à un monde corrompu où la rage croise l’anéantissement. En effet, la démarche artistique de Arnulf Rainer ( Photo ci-dessus Crédit@JavierGutierrez) nous montre finalement que l’artiste peint pour quitter un jour la peinture et que le recouvrement fiévreux évoque des sous-couches où gisent les significations. Elle confrontera l’oeil aux balafres du geste, à des images flagellées soulignant que ce qui a absolument disparu devient le contenu du tableau. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition immanquable, ces travaux obsessionnels saisissants ayant cette singulière capacité d’évasion en sollicitant l’esprit et les modes d’expressions picturales puisés chez les aliénés. Il se confrontera par ailleurs à ces séries d’estampes préférant l’énigme à l’élucidation dans des sortes de rituels révélant, sous des griffonnages irrévérencieux, une peur atavique du vide. On aime tout particulièrement cette gestuelle parcourues de passerelles invisibles entre une démarche d’accumulation et d’altérations d’images prééxistantes, l’art brut, les masques mortuaires et le crucifix. Mais aussi ces investigations corporelles et ces compositions automatiques marquant l’existence de la peinture par sa négation et son effacement !

A la Galerie Lelong&Co au 38, avenue Matignon 75008 Paris /// Du 17 mars au 7 mai 2022 /// Exposition : Le tourment de la ligne d’horizon - MARC DESGRANDCHAMPS

On pourrait détourner une formule célèbre en écrivant que la main est la continuation de l’esprit par d’autres moyens. C’est une action transitive. Dans le même temps, il est très difficile de décrire, les rapports entre main et pensée au sein d’une pratique picturale. Pour moi, dans son acceptation première, la main demeure un outil, et tout discours tendant à la sacraliser m’est indifférent. Je crois néamoins que la phrase de Focillon est juste et qu’il y a identité entre main et esprit…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “J’avoue une fascination pour la nudité en peinture. Très jeune, quand je tombais sur des reproductions dans mon livre de français, j’étais éberlué de voir une femme en train de déjeuner sur l’herbe avec deux hommes en tenue de ville, ou bien une madone dépoitraillée entraînant une foule sur une barricade; un cadavre d’homme à ses pieds en renforçait l’étrangeté….” Avant de poursuivre ainsi : “La seule utopie dans mes peintures est une utopie subjective dans le sens où plutôt que le monde tel qu’il aurait pu être, il s’agirait du monde tel qu’il me plaît, me sollicite ou m’intéresse. D’où la récurrence de certains motifs, certaines anatomies, une façon particulière de peindre les corps…” S’appuyant sur des fragments de réalité à partir d’une perception parcellaire et changeante, ses oeuvres nous disent qu’avant d’être un “sujet heureux” le motif est une présence, la configuration spatiale d’un instant sous une certaine lumière. Elles nous parlent de l’engloutissement de l’histoire, ce qui arrive ou ce qui est - sur la toile ainsi que de l’impossibilité soudaine de la susciter en peinture. En effet, la démarche artistique de Marc Desgrandchamps ( Photo ci-dessus Crédit@ClémentSauvoy) souligne que l’artiste ne décortique pas le réel et ses représentations mais qu’il le vit avec plaisir ou déplaisir et au travers de son regard le restitue au visible par les traces de sa main. Elle nous livre aussi que la coulure, comme toute trace a quelque chose d’involontaire et qu’elle se fraye un chemin à la surface de la toile entre les irrégularités et les scories de la couche picturale. Le regardeur, appréciera ici, au coeur de cette exposition magistrale, ces travaux renvoyant aux notions de copies, de gestes élémentaires, de mimésis et de mondes perdus. De plus, constatera, au cours de sa déambulation, que l’homme partant pour la guerre porte en lui la figure du deuil et de sa représentation et que les figures parfois se manifestent dans un délitement qui les maintient à l’état de lambeaux ou de guenilles. Certaines des toiles exposées le renverront indéniablement à des passages du livre 35 de l’ouvrage Histoire Naturelle de Pline l’Ancien en le questionnant sur la définition de la persistance et de ce qui doit forcément disparaître. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui nous renseigne sur l’idée de délaissement en clamant que cette dernière implique aussi l’idée d’une absence car s’il y a délaissement c’est que quelqu’un délaisse en s’absentant. Mais aussi cette notion d’indétermination, cette “présence étrange” qui est la trace sur la toile de la dilution des couleurs. On pense enfin à cette toile, en deux panneaux, où apparaît un cheval comme surligné par une blancheur faisant office de seconde peau sacrée et dont on attend la ruade qui ferait fuir les oiseaux !

A la galerie Ceysson & Bénétière - Wandhaff, Luxembourg /// Jusqu’au 7 mai 2022 /// Exposition : Salmon Rivers of the Maritime Provinces - FRANK STELLA

Quand j’étais étudiant en histoire et histoire de l’art à l’Université de Princeton, il existait déjà ce débat pour savoir qui, de Franz Kline ou de Pierre Soulages, avait été le premier… J’étais assez au fait de la peinture européenne et nous avons aussi beaucoup vu à New York des artistes comme Vieira da Silva ou Zao Wou-Ki. Mais à l’époque, il faut se remémorer que tout le monde voulait être américain car cette peinture d’après-guerre, qui a même débuté dès 1935 quand les Européens sont arrivés ici, était tout en haut de l’échelle. Auparavant, les artistes regardaient de manière assidue Pablo Picasso, Henri Matisse, Joan Miró, Piet Mondrian, Kasimir Malevitch ou Vassily Kandinsky… et tentaient de poursuivre ce travail sans apparaître comme des copistes ou des suiveurs. Car la peinture américaine, et certains m’en voudront de dire cela, était alors un peu… provinciale. L’afflux des Européens émigrés a rendu les artistes d’ici motivés et ambitieux, puis tout s’est développé de manière admirable…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Si je me réfère souvent au Caravage, c'est parce qu'un jour, au Musée du Capitole, à Rome, j'ai été confronté brutalement à l'une de ses toiles, son Saint Jean-Baptiste, et que cette rencontre a été déterminante dans ma réflexion. Je n'aimais pas ce tableau, j'ai voulu savoir pourquoi. Voilà comment a commencé mon histoire avec le Caravage, qui a été pour moi très instructive. J'éprouve pour lui une immense gratitude, pour toutes les voies qu'il a ouvertes…” Avant de poursuivre ainsi : “Mon travail est basé sur le fait que ce qui peut être vu est là. Il est réellement comme un objet. Ce que je veux que l’on trouve dans mes peintures et ce que je veux qu’il s’en échappe, c’est que l’on puisse tout voir sans confusion. Ce que l’on voit est Ce que l’on voit. La couleur possède sa propre substance picturale. L'art exclut le superflu, ce qui n'est pas nécessaire. La lumière c'est la vie. La seule chose que je souhaite que l'on tire de mes peintures et que j'en tire pour ma part, est que l'on puisse voir le tout sans confusion. Tout ce qui est à voir est ce que vous voyez.” Confrontant des volumes virtuels, des fictions picturales et des enchevêtrements faits de détails insaisissables, ses oeuvres livrent une tridimensionnalité fonctionnelle non physique n’obéissant pas à une mise en perspective. Evoquant des séquences scéniques dans le mariage de surfaces bosselées et de surfaces planes, elles conduisent à la lutte des émotions ambiguës et triviales navigant entre les bords, la paroi, le support, le point et la ligne tout en confirmant que l’oeuvre doit emprunter en quelque sorte un autre dehors. En effet, la démarche artistique de Frank Stella ( Photo ci-dessus Crédit@KristineLarsen) livre une invisibilité nécessaire au regard sous l’hypothèse d’un monde autre. Elle affirme l’envie de peindre la sensation devant les choses tout en prouvant que la forme se trouve dans le champ du monde. Le regardeur, appréciera ici, au coeur de cette exposition magistrale, ces travaux déplaçant la frontière fond-forme se trouvant visuellement gommée. Il fera face à ces neufs variantes sculpturales saisissantes - sous des dispositifs de suspension aux airs d’établis - portant le nom d’un lieu-dit, d’une rivière ou d’un lac de la Gaspésie, cette région du Québec, terre des Algonquins, des Micmacs puis des Acadiens. Puis, constatera cette chasse à l’illusion en étant questionné par des atmosphères où le constrate figure-forme est aussi celui de la valeur. On aime tout particulièrement cette gestuelle marquée par la décantation du regard et cette construction de fictions associées à un illusionnisme spatial. L’image et la forme du canevas sont ici consubstantielles dans une conception sacrée de la peinture. Mais aussi cet aura et ce devenir contenu mêlant pouvoir de séduction et magie de la peinture en mesure de faire apparaître une chasse à l’illusion que l’artiste traquerait comme on traque un animal dans une lutte obsessionnelle ritualisée par un Melville ou un Hemingway. Et posant alors cette terrible question : Lorsque la peinture atteint sa réalité, le symbolique et la sauvagerie attenante peuvent-ils quitter l’homme ?

Philippe Ramette

C’est ennuyeux d’avoir toujours le même point de vue sans jamais se remettre en question. Et dans l’éloge du pas de côté, il y a aussi le fait de ne pas se contenter de la réalité. La réalité est telle qu’elle est mais on peut aussi porter sur le monde un regard plus poétique, plus contemplatif… Je dirais que mon personnage est pudique, impassible face à des situations complètement irrationnelles. Il est parfois tellement pris dans ses pensées qu’il semble avoir oublié les règles élémentaires de la rationalité. Ce personnage a basculé dans une forme de poésie. Je suis d'abord un sculpteur, j'espère que ce n'est pas pris comme un déni de la photographie. C'est difficile d'identifier ce qui précisément m'a mené à l'art….” a-t-il confié un jour. Avant d’ajouter ceci : “J’aime les positions non démonstratives où la gestuelle n’est pas très développée, la contemplation, un certain regard mental bien plus qu’une présence physique. Un tableau de Caspar David Friedrich m’a beaucoup inspiré, le voyageur contemplant une mer de nuages. Je me suis beaucoup nourri de la pose énigmatique de ce personnage qui nous tourne le dos et contemple ce paysage en hauteur. Je pars toujours d’un dessin purement imaginaire qui va provoquer une image mentale de ce que je veux réaliser. Le dessin est pour moi le signe du passage à l’acte même si le temps de repérage peut être relativement long parce qu’il faut passer du lieu imaginaire au lieu existant, bien réel. Je fais aussi l’éloge de la lenteur et de l’attentisme, je ne suis pas quelqu’un de pressé. Cela peut conduire à de longs moments d’inactivité par contre !” Avant de poursuivre ainsi : “Je portais déjà un costume quand j’étais étudiant à la Villa Arson à Nice. Je mettais un point d’honneur à venir en costume quasiment tous les jours. J’avais ce désir, dans les années 80, de me démarquer de manière provocatrice de l’idée entendue du costume que serait normalement le costume d’un étudiant en art. Bon le costume n’est pas le plus pratique pour un travail de peinture ou de sculpture en atelier. Je trouvais juste qu’il y avait quelque chose de sympathiquement provocateur. J’étais devenu reconnaissable à mon costume”. Préférant la mise en contexte et la pédagogie à la destruction, ses oeuvres nous parlent de repentance, de paresse, de contemplation et de méditation. Elles mettent en exergue un processus rationnel conduisant à un résultat irrationnel propice à des moments de poésie. En effet, la démarche artistique de Philippe Ramette (Photo ci-dessus Crédit@DR) est un éloge d’une transgression évoquant la langue et la tonalité du souvenir. Elle soulève une mémoire diffuse commune dans des résonances métaphysiques où des images décalées et des avatars sur le fil font circuler les ombres tout en refusant le systématisme et l’ennui. Le regardeur appréciera, face à ses oeuvres saisissantes, ce caractère désinhibiteur déjouant les périmètres de sécurité pour mieux révéler des révolutions silencieuses individuelles. On aime tout particulièrement cette gestuelle ajoutant le sacrilège à l’étrangeté et au paradoxe sous de nouvelles possibilités d’expérimenter le monde. Mais aussi cette vision sans dessus dessous des choses via des leurres prodigieux et des artifices percutants pointant du doigt l’absurde sous des basculements de la figure et de l’image. Enfin, on s’attache à ces dispositifs refusant pas d’humour, à mi chemin de la fiction et du fantasme, à travers lesquels une voix semble nous enjoindre à toujours … Vivre l’oeuvre !

Au Centre Pompidou et à la Pinault Collection - Bourse de Commerce /// Du 16 février au 20 juin 2022 /// Expositions : CHARLES RAY - Commissariat : Jean-Pierre Criqui et Caroline Bourgeois

LA a été un endroit idéal pour me perdre et m'évader. J'ai navigué presque tous les jours au cours des dix dernières années. Mon mode de vie, le fait de profiter de l'extérieur, de me lever tôt, de me coucher tôt, de penser à des choses, l'ouverture de l'espace - toutes ces choses ont influencé mon travail. Mais je ne suis pas tellement lié à la scène. Je me vois davantage comme un sculpteur que comme un artiste de Los Angeles. J'ai fait de la sculpture en Europe et je trouve cela plus difficile, à cause des problèmes de langue et des problèmes pour se déplacer et obtenir ce dont j'ai besoin. Je suis très à l'aise à Los Angeles, parce que j'y vis et que je sais où aller et comment trouver les choses. Pour ce qui est de la fabrication, c'est vraiment utile d'être ici, si près de mes fabricants, et de pouvoir travailler en tête-à-tête plutôt que par téléphone….” a-t-il expliqué un jour. Avant d’ajouter ceci : “J”ai utilisé les hallucinogènes dès la fin des années 1960 ou le début des années 1970. Ce n’était pas tant lié à cette époque, qui découvrait les hippies et leur goût pour les ambiances festives, qu’au fait que j’étais dans une école militaire très dure, un pensionnat, et que je ne rentrais à la maison qu’une à trois fois par an. Je dormais dans une pièce avec quarante autres garçons. Vous vous levez et faites votre lit au carré, une marche avant le petit déjeuner avec une arme pour l’exercice, vous vous faites tabasser. Nous avions des casiers en métal, et rien de doux…” a-t-il expliqué récemment.“ Et de poursuivre ainsi : “Les sculptures sont comme les personnes, en ce sens que vous les voyez plus complètement avec le temps. Certaines des choses que vous saviez au début, qui fonctionnaient, peuvent finir par ne plus être importantes à la fin. Ou les choses que vous avez aimées, qui sont souvent banales, peuvent vous faire fuir plus tard. C'est très délicat. Mais plus on prend conscience de son vocabulaire sculptural, plus le danger de perdre l'urgence de sa direction devient évident. Je n'essaie pas de nier le sujet, car le sujet est important.” Ne tendant pas à abolir les frontières mais plutôt à en montrer leur fluidité, ses oeuvres s’interressent davantage aux impressions qu’elles procurent qu’à une rigoureuse exactitude. Elles nous disent que la surface est la forme car la surface d’une forme n’existe pas et que la surface est à la fois psychologique et philosophique, si tant est que cette distinction est valable. En effet, la démarche artistique de Charles Ray (Photo ci-dessus Crédit@Charles Ray, Portrait, 2020Photo Joshua WhiteJWPictures.comCourtesyCharles Ray Studio) affirme que la surface de la figure est peuplée d’évènements qui ont à voir avec l’espace-temps aussi bien qu’avec l’art de la sculpture. Elle nous indique aussi que la simplicité folklorique d’un personnage est une illusion dans la mesure en ce qu’elle relève de l’imagerie. Le regardeur appréciera, au coeur de ces deux exceptionnelles expositions travaillant de concert et en parallèle l’une de l’autre, ces pièces soulevant l’émergence d’une nouvelle relation au corps à travers cette torsion des conventions révélant des pulsions émanant de théâtres visuels extensifs sous une dialectique matérielle saisissante. Il observera, dans un second temps et sous son propre déplacement, la dimension temporelle qu’implique l’appréhension de sculptures dans des échos personnels et historiques en résonance constante. On aime tout particulièrement cette gestuelle marquée, dans sa musicalité, par la figuration de la statuaire où apparait autant la stupeur désincarnée qu’un certain processus évocatoire questionnant sans relâche cette kinesthésie du désir autant que le pouvoir spectral de la sculpture. Ce dernier pénètre ici, de manière dynamique et sidérante dans sa trame, les éléments constituants de l’oeuvre. Enfin, on reste happé parfois par ces états de pureté divine qui mettent en exergue l’intentionnalité persistante de présences humaines et des existences singularisées dans leur être même. Et sous des constitutions abstraites méréologiques aptes à signifier cette grande inconnue : la sculpture est “un noeud qui vous entraîne, un drame sans âge qui se joue en représentation puis dans la réalité” !

Le Plateau - Frac Ile-de-France au 22, rue des Alouettes 75019 Paris /// Du 27 janvier au 24 avril 2022 /// Exposition Pour la vie - BRUNO SERRALONGUE

Le pasteur Harry Joseph officie et habite une petite localité, Saint James, située le long du fleuve Mississipi entre New Orleans et Bâton Rouge. Cette zone géographique entre ces deux villes est appelée « Cancer Alley » car on y trouve la plus grande concentration d’usines pétrochimiques des USA. L’environnement est extrêmement pollué; le fleuve Mississipi sert de voie de navigation aux super tankers qui chargent et déchargent du gaz et du pétrole acheminé depuis les sites d’extraction jusqu’aux terminaux maritimes par des oléoducs. On trouve là le plus fort taux de leucémie parmi la population, une population souvent africaine-américaine qui n’a pas d’autre choix que d’habiter à proximité des usines pétrochimiques car les loyers y sont bas. Le pasteur Harry Joseph lutte contre le plus récent des oléoducs à avoir été construit, le Bayou Bridge Pipeline, dont le terminal arrive à Saint James…” a-t-il confié récemment. Avant d’ajouter ensuite ceci : “Contrairement à la photographie conceptuelle, généralement en noir et blanc et de petit format, je suis conscient que mes photographies en couleur, d’assez grand format, réalisées avec un appareil de prise de vue grand format et des films positifs, encadrées sous Plexiglas (depuis 2007) peuvent séduire, ou qu’au minimum un style reconnaissable s’en dégage. Le style est la reconnaissance d’un écart entre ce qui est vu (a été vu) et sa restitution. C’est essentiel. Toute photographie est une opération de réécriture du réel.” Avant de poursuivre ainsi : “Aujourd’hui je dirais que je suis avant tout un citoyen engagé. Et là où je m’engage, j’emmène mon appareil photographique. Mais ça a plutôt commencé en sens inverse. C’est bien à la pratique de la photographie que je dois d’avoir rejoint des luttes politiques et sociales, en France comme à l’étranger. Je suis parti en 1996 dans le sud-est mexicain, au Chiapas, faire des photographies lors d’une rencontre internationale organisée par les indien.ne.s zapatistes alors en révolte contre le gouvernement fédéral mexicain. Je me souviens très bien que le déclencheur pour partir n’a pas été le fond du mouvement zapatiste mais l’incarnation de celui-ci dans les médias français et internationaux à savoir la figure du sous-commandant Marcos.” Ses clichés nous rappellent que la photographie n’est pas première, qu’elle est médiatisée et qu’elle arrive dans un second temps, après une réflexion, après la mise en place d’un cadre opératoire et de règles. Ils traitent des thèmes de la problématique de la représentation de l’information dans sa périphérie et ses coulisses. En effet, la démarche artistique de Bruno Serralongue (Photo ci-dessus Crédit@DR) remet en question l’autosuffisance supposée de l’art autant qu’elle se démarque de la “photographie plasticienne”. Elle développe une critique du statut de l’image d’actualité en révélant la complexité du réel plus qu’elle n’en épuise les formes. Le regardeur appréciera, au coeur de cette exposition magistrale, ces travaux livrant une retranscription distanciée saisissante de l’image ainsi qu’un anti-reportage à la méthode immuable dans des portraits puissants d’hommes et de femmes en lutte. On aime tout particulièrement cette gestuelle prenant acte de réalités qui nous font percevoir ce sentiment d’ insupportable né des expropriations en Louisiane, du cercle- vicieux des migrants de Calais ou encore les questions identitaires dans la région du Kosovo. Mais aussi ces trajectoires individuelles croisant l’énergie du collectif dans des à- rebours de destins unis par ce désir de justice et de liberté dans des zones d’humanités mouvantes et douloureusement contrariées !

Pascal Convert

La question du panoramique, associée à la question de la perception du temps, préexiste dans mon travail. Je m'étais déjà intéressé à ce format il y a presque trente ans. J'avais fait une très grande fresque en verre gravé inspirée de la culture japonaise. La source des images représentées étaient des images de végétation sur l’eau. Dans un panoramique, il est question du temps, dans l’horizontalité, mais aussi dans la profondeur. Le panoramique permet de raconter une histoire et de creuser une dimension symbolique…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter aussi ceci : “L’empreinte est à la base de mon travail sur la mémoire. En fait, je conjugue souvent la question de l'histoire, une temporalité exacte, une chronologie, et la question de la mémoire, une temporalité qui est le montage entre des événements parfois discontinus. Dès qu’on articule deux dates, par exemple le 11 mars et le 11 septembre, on est à la fois dans l’histoire, ce qui s’est passé à telle et telle date, mais on sent aussi qu’il y a une opération de remontage du temps : ces deux dates nous disent un autre temps que le seul temps chronologique.” Et de poursuivre ainsi : “Comme vous le savez, dans ma pratique artistique, le verre est le premier matériau de prédilection. Depuis Marcel Proust nous savons que le plus important n’est pas ce que l’on voit au dehors, au travers de la fenêtre, ce n’est pas le paysage et qu’« il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle.” Rendant hommage à l’idée que les dates auraient un visage et s’appuyant sur le procédé de la cristallisation, ses oeuvres nous parlent de restes calcinés, de transmutations et de résistances. Ellen évoquent la transsubstantation dans des mémoires superposées questionnant les désordres du monde et les figures de la fatalité. En effet, la démarche artistique de Pascal Convert (Photo ci-dessus Crédit@EricSander) nous met face à l’informe, au blanc sommeil et aux tremblements des coeurs, comme lorsque l’on écrit dans un serment faisant appel à des centaines de légendes semblant sans cesse rappeler qu’il ne peut y avoir d’existence sans raison. Elle nous font voir des continents natifs tout en nous disant que, selon des rites antiques, les chevaux accompagnent toujours leur cavalier dans la mort. Le regardeur appréciera ces travaux portants les survivances de l’Histoire aptes à évoquer ces ombres qui nous regardent inlassablement et affirmant que le XXIème siècle pourrait bien être entré dans un monde en négatif. On aime tout particulièrement cette gestuelle en mesure de dire combien il est difficile de détruire des sculptures et des corps puisqu’il reste toujours des traces. Mais aussi cette capacité à nous faire voir le fleuve Araxe charriant des jours durant les « khatchkars » : ces pierres tombales anciennes gravées de croix votives !

A la galerie Max Hetzler au 57, rue du Temple 75003 Paris /// Du 15 janvier au 26 février 2022 /// Exposition : DAVID NOVROS

Mes premiers travaux sont souvent mal compris et écrits comme s'il s'agissait de sculptures. Je n'ai jamais eu aucune intention que ce soit de la sculpture - j'ai toujours pensé à mes oeuvres comme une façon de faire des peintures qui seraient sur le mur. J'avais vu les papiers découpés de Matisse à Nice, et j'ai eu l'idée de réaliser cela d'une autre manière. C'était une façon de les moderniser, parce que vous pouvez les monter, les démonter, les déplacer. Vous pouvez utiliser le mur et vous retrouver avec une sorte de peinture murale…Je pensais que je pouvais faire ça avec des toiles, c'est pourquoi j'ai commencé à fabriquer des toiles en pièces séparées pouvant être accrochées ensemble. Je n'essaie pas de faire mon travail avec un processus minimaliste. Les différentes « règles » de la peinture abstraite du 20e siècle disparaissent en présence de la peinture de grands peintres. J'essaie d'identifier la réalité poétique des peintures. Je n'utilise pas de système particulier. Parfois, je peins une partie d'un tableau pendant des années, essayant de trouver la "bonne" lumière. Je continue à travailler jusqu'à ce que la peinture me donne la permission d'aller de l'avant….” a-t-il confié un jour. Avant d’ajouter ensuite ceci : “J’ai appris que la peinture pouvait être autre chose qu’un rectangle accroché à un mur. J’ai compris pour la première fois qu’un tableau n’avait pas même besoin d’être fait de peinture. L'image est une seule partie de la peinture et si c'était la seule chose, il serait facile de la "terminer" mais la totalité est plus compliquée et semble me prendre plus de temps. Je pense que je comprends de plus en plus ce que j'essaie de faire et cela me permet de continuer.” Avant de poursuivre ainsi : “D'abord, j'ai utilisé du cuivre d'Alburquerque et des outils d'orpaillage, de la soudure, etc., et je les ai emmenés dans la remise de mon voisin. Il m'a aidé tout au long du processus, qui a commencé par un dessin à l'encre sur le cuivre. J'ai coupé le cuivre suivant les lignes du dessin et nous avons soudé différentes parties et les outils ensemble. Nous pensions tous les deux que la meilleure façon de se servir d'explosifs était d'utiliser une «charge de ligne» (une ligne principale et une batterie de camion). Il s'agit d'un explosif sous forme de ficelle ou de corde - comme une mèche. La charge devait être scotchée au cuivre suivant l'image dessinée (grossièrement) puis attachée à une ligne principale conduisant à une batterie de camion.” Etablissant une relation avec l’architecture ou un site donné, ses œuvres font se croiser l’expérience du temps et de l’espace. Elles s’appuient sur les qualités techniques du Dacron, les pouvoirs de la poudre de Murano, les effets de couches d’acryliques et les vertus d’outils rustiques pour atteindre la planéité du mur. En effet, la démarche artistique de David Novros ( Photo ci-dessus Crédit@© 2022 David Novros / Artists Rights Society (ARS), New York. Courtesy Paula Cooper Gallery, New York. Photo Adam Bartos.) nous parle d’expérimentation mais aussi de l’opacité et de la régularité des matériaux en mesure de réfléchir et de réfracter la lumière dans un rapport spectateur-oeuvre saisissant. Elle recourt pour cela à l’usage de plaquettes de plomb tout comme de la laque acrylique ou encore de la technique d’explosion de dynamites contrôlée. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition magistrale, ces travaux évoquant des peintures murales portatives bi partites et des fresques murales nous disant que c’est le bâtiment dans un paysage qui relie la peinture au lieu physique lui-même. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui souligne ceci : L’œuvre échappe de manière salutaire à l’immortalité traditionnelle de l’œuvre d’art. Comme tout objet, elle peut et doit s’user !

Delphine Grenier

Nous étions jadis “les jumelles”. Le pronom « je » n’existait pas et nous dormions dans le même lit, nous cachions dans la même armoire. Mystérieuses créatures, nous portions en nous le fantasme de l'indivisible… Une situation  qui fut un socle, un soutien et aussi une entrave. Dans les sculptures en porcelaine de la série « Find the lady », les personnages aussi vont par deux. Mais le socle qui les relie, en même temps les morcelle…” a-t-elle confié un jour. Avant d’ajouter ensuite ceci : “Dans ma famille il y avait beaucoup de violence. Mais cette réalité n’était pas exprimable et se cachait derrière un discours formatif. « On s’aime ». Trop d’intelligence, il fallait effacer l’émotion. Rentrée aux Arts Déco, il me fut impossible de dire par les mots. Les images et le dessin furent alors l’issue pour extérioriser et verbaliser mon ressenti. De cette instabilité surgit la radicalité, et c’est le dessin et notamment le noir et blanc qui en furent l’outil et le vecteur. Je le déclinerai sur le papier, la céramique pour raconter des portraits, des gens, des animaux …” Et de poursuivre ensuite ainsi : “Ma série « Les Allongés » s’est initiée lors des premiers confinements. Alors que nous faisions face à une alerte mondiale sans précédent, il nous fut imposé une immobilité soudaine. J’ai alors ressenti deux émotions contradictoires : d’une part le soulagement, d’autre part la culpabilité face à l’inaction et à la chute déjà programmée de notre civilisation. Rester à rêver, est-ce ne rien faire ? Est-ce construire un pont sensoriel entre soi et le vaste monde ? Les Allongés sont-ils une vision d’un repos extatique ou vision d’un gisant prophétique ?” S’emparant de supports multiples, ses oeuvres nous parlent de l’incommunicabilité des êtres mais aussi de la force des symboles et de mises en abîmes autour du thème du double. Elles évoquent un écheveau complexe dans une suite méthodique où le fantasme de l’indivisible trouve écho dans de nombreuses créatures rappelant l’inéluctable existence. En effet, la démarche artistique de Delphine Grenier (Photo ci-dessus Crédit@AdrianMeier) dit à travers des installations composites les liens indéfectibles et les nombreux secrets qui unissent les êtres. Elle livre des visions parcellaires et souvent fragmentées d’un univers mémoriel échappant à la logique dans des fictions courtes aptes à prolonger le rêve dans les tréfonds et jusqu’au sanctuaire. Le regardeur appréciera, dans ses travaux saisissants, ces narrations graciles nées d’éclats de faïence clamant le déclin du jour et l’apparition inopinée d’un yack serpentant le long d’un chemin rocailleux au Tibet sur les flancs de l’Himalaya . On aime particulièrement cette gestuelle forte et pudique à la fois faisant naître la radicalité de l’instabilité à partir d’un pinceau passé délicatement sur une plaque d’argile crue puis émaillée par la suite au moment de la cuisson. Mais aussi cette grande amplitude temporelle que l’artiste impulse sans outrance accompagnant la transformation progressive par le feu de la surface brillante. En mesure de traiter alors des questions de l’aliénation et de la vulnérabilité dans une sorte de périphérie psychique faite d’idoles, de tactilités récalcitrantes et de singulières coïncidences !

A la galerie GB Agency au 18, rue des Quatre Filles 75003 Paris /// Du 27 novembre 2021 au 15 janvier 2022 /// Exposition : Surplus - OMER FAST

Je n’ai jamais choisi entre l’art et le cinéma. Je n’ai jamais étudié le cinéma et je ne me considère toujours pas comme un réalisateur. J’étais inscrit en peinture mais j’ai perdu mon intérêt pour elle et arrêté la peinture bien avant de commencer mes études. Sans médium défini, je me suis laissé porter pendant quelques semestres, essayant la sculpture, l’installation et la performance avant de terminer en vidéo juste à temps pour le diplôme. Et bien que toutes ces expériences aient été vraiment éphémères et plutôt terribles, elles partagaient toutes un intérêt pour le récit…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je comprends ce que Barthes disait de l’image comme un corollaire de l’allégorie de la caverne platonicienne, dans laquelle la violence inhérente à une image provient du défi sensoriel qu’elle représente et de la puissance fétichiste que nous lui accordons. Ma grand-mère découpait méthodiquement, à l’aide de petits ciseaux, son visage de toutes les photos d’elle. La violence qu’elle a perpétrée sur ces photos tout au long de sa vie peut être vue comme compensatoire de la violence qu’elle ressentait envers ce que ces images avaient fait d’elle.” Avant de poursuivre ainsi : “Je peux dire que le sujet principal de mon travail est la relation entre le verbal et le visuel. Mon œuvre n’est rien d’autre qu’une tentative de représenter cette relation au travers de contextes divers. Et puisque la mort représente l’extrême limite à laquelle le verbal comme le visuel doivent cesser – ou être allégorisés et réimaginés – la mort devient une sorte de sujet écran, de base pour une altérité radicale. Je n’irai pas plus loin dans l’abstraction, je ne suis pas un penseur abstrait. J’ai besoin que mon travail se débatte avec les questions qui me préoccupent pour les rendre plus tangibles, plus précises.” Construites à partir de différentes sources et interrogeant les schémas et symboles qui les constituent, ses oeuvres saisissantes s’élaborent à partir de stéréotypes et d’archétypes expérimentant des formats d’exposition et de formes. Elles nous disent que s’il ya quelque chose que vous ne pouvez pas montrer, le langage alors doit refléter cela. En effet, la démarche artistique de Omer Fast (Photo ci-desisus Crédit@OmerFastCourtesyGbAgency, Paris) pose la question de l’auteur et du narrateur en révélant la fonction liminale du texte. Le regardeur, appréciera ici, au coeur de cette exposition immanquable, cette indétermination entre mythe et réalité se situant dans des espaces familiers et des décors d’éffacement. Il constatera ces déplacements singuliers du langage mais aussi cette reconfiguration des matériaux audiovisuels ainsi que cette confrontation de la nature fragmentée, illusoire et séduisante de notre monde réel. On aime tout particulièrement cette gestuelle dans laquelle l’artiste parvient à réinterpréter et à épuiser l’autoportrait - sous plume et encre noire - en faisant remonter l’agitation émotionnelle sous-cutanée à la surface de son visage avec une sténographie d’une détermination envoûtante. Mais aussi ces ces tic tac brechtiens débouchant sur des états hors limite dont les propres frontières sont indéfinies. Ne permettant jamais de percevoir clairement qui est dans et qui est hors du texte !

A la galerie Danysz au 78, rue Amelot 75011 Paris /// Du 4 décembre 2021 au 29 janvier 2022 /// Exposition : Salvage Paradise - ROBERT MONTGOMERY

C'est ce que j'ai toujours voulu faire, utiliser les techniques et les formats du texte publicitaire et les appliquer à la poésie. C'est un défi de moderniser constamment la façon dont on écrit de la poésie. Lorsque j'écris des textes, j'essaie consciemment d'utiliser la façon dont nous parlons sur les médias sociaux, d'utiliser des raccourcis modernes et idiomatiques des mots. Je pense qu'il faut composer avec le langage de son époque si on le peut. Ensuite, il y a beaucoup de choses ironiques en termes de diffusion de la poésie et de l'art sur les médias sociaux…” a-t-il expliqué un jour. Avant d’ajouter ensuite ceci : “Je suis vraiment intéressé par le détournement de l'espace publicitaire pour un autre type de conversation. Je pense que c'est vraiment intéressant d'utiliser cet espace pour une sorte de voix intérieure. Une voix dans la sphère privée. Quand j'ai commencé à mettre mes œuvres sur des panneaux d'affichage, les gens m'ont dit : "Tu ne peux pas mettre cent mots sur un panneau d'affichage. Personne ne le lira." Avant de poursuivre ainsi : “J'aimais beaucoup Guy Debord en tant qu'écrivain, j'aimais son côté "cœur brisé". Contrairement à d'autres post-marxistes, il ne s'intéressait pas vraiment au monde matériel, mais plutôt à ce qu'une version extrême du capitalisme ferait à l'intérieur de nous, comment elle pourrait nous briser le cœur. Debord pouvait aussi voir l'avenir, il pouvait voir comment les médias populaires allaient envahir notre conscience, prendre le contrôle de notre conscience et tenter de remplacer le monde réel. Lorsque vous relisez "La société du spectacle", à l'ère des smartphones, vous réalisez que nous avons tous le spectacle dans nos poches, que nous vivons intimement avec le spectacle, que le spectacle est sur nous maintenant et en nous maintenant, ce que Debord craignait est devenu réalité….” Nous plongeant dans l’inconfort du chemin de la clairvoyance, ses oeuvres s’enracinent dans l’âme commune dans un lyrisme toujours saisissant. Elles nous parlent de révélations en feu, des rêveries de vandales ou encore d’impacts visuels détonnant comme des rafales de kalachnikov dans la nuit. En effet la démarche artistique de Robert Montgomery (Photo ci-dessus Crédit@DR) mêle le langage, la forme et la lumière en rappelant que la mélancolie est la création de la beauté à partir de la tristesse mais aussi que ce qui a vraiment du sens dans l’art c’est la joie. Elle délivre un effet euphorisant dans un pacifisme des coins de rue à la tombée de la nuit ou celui des routes bordées de terres sauvages se profilant dans les contours de l’aube naissante. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition magistrale, ces deux grandes toiles mise en face à face, à l’étage, parcourues de disruptions poétiques où émerge le sens en filigrane baignant dans l’huile et indirectement la technique mixte. On apprécie tout particulièrement cette gestuelle aimante écrivant la colère dans les espaces gris de l’entre deux en faisant entendre les différentes tonalités de la voix dans une poésie translucide douce-amère. Et sous la bannière d’un manifeste idéaliste où l’action trouve place dans la pesanteur de la toile comme sur le périmètre irradiant du néon !

Aurélie Galois

La peinture est un arrière-monde, l’espace d’une détonation silencieuse. Il y a trop de bruit partout, y compris du bruit visuel. Dans l’atelier, le seul lieu où je me sente à ma place, je peux tout me permettre. Je me livre à toutes les impudeurs, indiscrétions, incantations ; mais je suis également livrée à l’impossible absolu que constitue l’entreprise du peintre, rendre présente, représenter l’absence. Tout cela est contenu dans les innombrables couches de glacis et repentirs du tableau, mais j’aime qu’au final, ne reste qu’une mince surface mutique et insondable en deux dimensions. La metamorphosis qui préside au tableau se laisse saisir de manière tellement fugace. Il faut être très prétentieux pour décider d’être peintre, mais la peinture apprend à redevenir humble…” a-t-elle confié dernièrement. Avant d’ajouter ensuite ceci : “Je peins pour me souvenir et pour soutenir les regards. Je veux que mes tableaux cassent un peu l’ambiance, tel un invité imprévu, qu’ils suspendent le temps comme ces frôlements qui font basculer la vie, qu’ils tiennent le mur et y creusent un puits sans fonds. La peinture est à la croisée pour moi de l’alchimie et de l’étymologie. La mienne explore et siège dans le mystère.” Avant de poursuivre ainsi : “En italien portrait se dit rittrato, retiré. Le peintre est là pour témoigner de ce retrait, c’est pourquoi les portraits sont souvent si dérangeants : ils opèrent comme des éclipses, lieux d’apparition et de disparition simultanées.” Entre polyptyques puzzles et portiques tournants, ses oeuvres esquissent des corps à corps saisissants dans une communion avec le caché. Elles parlent de couleur aux aveugles et nous renvoient sur les parois de la caverne. En effet, la démarche artistique de Aurélie Galois (Photo ci-dessus Crédit@JohannesLeijonberg) se situe dans la traversée de sa propre existence en nous parlant des monstres de la déraison dans une dimension résurrectionnelle. Elle s’attache autant à montrer l’apparition onirique de spiritualités ancestrales, que les intrusions improbables d’un monde insaisissable ou les vides les plus vertigineux. Le regardeur appréciera ses toiles et travaux préparatoires livrant une certaine substance scintillante du monde en mesure de rappeler l’urgence de l’art et sa capacité à ébranler le monde. On aime tout particulièrement cette gestuelle et cette volonté tenace rappelant les contours mouvants de la figure de l’artiste en contredisant les chemins obligés d’un idéal artistique. Mais aussi en mesure de garder bonne distance avec des objets-sujets de prédilection pour mieux livrer la placide beauté des blancs, la joufflue rondeur atmosphérique ou encore la caresse apprivoisée du geste !

Baptiste Roux

Une bonne peinture ne doit pas se laisser faire, ce n'est pas une chose que l'on doit reconnaître et assimiler facilement. Il doit se passer un truc singulier, une alchimie qui prend à revers le spectateur et qu'il doit trouver en l'œuvre, ça peut prendre quelques secondes ou des années mais sans cela on décore….” a-t-il expliqué récemment. Avant d’ajouter ensuite ceci : “ L'art est une chose vieillissante comme un déjeuner chez grand mère dont on connaît toutes les recettes et qu'elle achète maintenant surgelé, alors il faut secouer mémé et tous ceux qui l'entourent”. Avant de poursuivre ainsi : “On a jamais su où me foutre ! Moi même je ne sais pas exactement où mon œuvre se situe, peinture ? Dessin ? Sculpture ? Numérique ? Ce n'est pas un fait exprès, je n'ai jamais su m'assimiler correctement . Attention, je sais très bien ce que je veux faire, mais je n'arrive pas à le ranger dans un classeur.” Marquées par l’outrance et l’accident ,ses oeuvres troublantes nous désarçonnent en exprimant des antagonismes radicaux nés très souvent de fragments ou de ruines. Elles nous disent, via des hybridité récalcitrantes et des discours délibérément critiques, que les vertiges sont parfois nés d’une grande humilité. En effet, la démarche artistique de Baptiste Roux (Photo ci-dessus Crédit@DR) exprime un geste échiquéen malicieux d’où émanent des plis, des expansions et des boursouflures saisissants en mesure de livrer des questionnements autour de l’écoeurement et d’un formalisme toujours proche d’une certaine forme de pataphysique. Elle fait se confronter la pulsion et le foisonnement pour mieux faire naître le grotesque et finalement l’absurde. Le regardeur appréciera ici, à travers ses travaux percutants, ces multiples éléments matriciels construits autour de la notion d’extrême réserve faisant danser des mousses en polyuréthane via la déconstruction d’images . Mais aussi ces pièces jonglant entre l’hyperséduction du cortex, la captivité de la membrane et les forces purement organiques. L’artiste nous fait partager ces brillances mutantes de la texture comme des portes d’entrées indésirables flirtant avec une idée de gigantesque pornographie incarnée dans des acryliques métallisées criant une décadence contemporaine. On aime tout particulièrement cette gestuelle libérée de haute lutte apte à dire l’apocalypse dans des “peintures-matières” extrudées singulières parlant autant aux coeurs de faux-monnayeurs éclairés que des amoureux de néons trouvés sur les zones péri-urbaines. Mais aussi cette capacité à faire entendre, de manière narquoise, le chewing-gum à la chlorophylle que l’on mâche pour sublimer une réalité marquée par un pesant sentiment de saturation et de trop-plein !

A la Galerie Thaddaeus Ropac (Marais) au 7, rue Debelleyme 75003 Paris /// Jusqu’au 15 janvier 2022 /// Exposition : Figure One - MANDY EL-SAYEG

Il existe de nombreuses formes différentes dans ma pratique – sculpture, vidéo, peinture, installation et son. Ce qui les lie, c'est un élément médical, chirurgical ou corporel reflété dans la matière. Dans les sculptures, par exemple, les tables de spécimens en acier inoxydable, semblables à des morgues, rappellent les hôpitaux. Dans les tableaux, il y a des pansements, en mousseline ou en filet, comme de la gaze sur une plaie. Dans les installations au sol, il y a une utilisation constante de latex, qui a une tache semblable à l'iode et une texture charnue. Chaque forme peut être considérée comme biographique, mais je pense que, plus largement, elles ont toutes cet élément chirurgical….” a-t-elle expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Bien que mise en évidence plus récemment, la performance a toujours été présente dans ma pratique. La peinture semble être un médium plus distinct, mais il y a toujours un élément performatif dans la réalisation de ces œuvres. Comme mes peintures sont réalisées au sol en grand format, il y a un élément corporel dans leur création, qui se reflète dans le contexte et les thèmes avec lesquels je travaille. L'inscription du corps, comprise à travers cette grille charnue, entraîne une écriture ou un rythme. Cela se traduit aussi par des installations immersives comme un déplacement intérieur. Chaque élément s'informe et la performance est toujours présente, même en fantôme…” Avant de poursuivre ainsi : “Lorsque je crée une nouvelle œuvre, je n'ai pas du tout de composition en tête. C'est tout l'intérêt de la pratique : définir des paramètres qui permettent des interactions au sein des matériaux eux-mêmes. Ce que j'entends par paramètres, c'est par exemple le processus de pose avec un certain nombre de perturbations. Ce processus permet ensuite un dynamisme et une vision de ce dont le travail a besoin ensuite. Plutôt qu'une composition, je vois cela comme un remplissage d'espace, quel que soit l'espace dans lequel j'entre. Chaque espace de visualisation dicte le déroulement de la diffusion.” Explorant la formation et l’explosion de systèmes ordonnés, ses oeuvres questionnent les artefacts et la notion d’hybridité culturelle. En effet, la démarche artistique de Mandy El-Sayeg (Photo ci-dessus Crédit@EvaHerzog) interroge nos lectures subjectives de l’Histoire dans une logique processuelle étudiant les systèmes d’ordre. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition immanquable, à travers ces travaux saisissants ces sutures linguistiques et politiques via des interventions croisant sérigraphie, peinture et collage. On aime tout particulièrement cette gestuelle faisant parler ces coupures de journaux, de publicités et de cahiers symbolisant d’une certaine façon les limites du langage. Mais aussi ces superpositions de matériaux disparats, sous techniques mixtes, portées par la force de titres comme “Female, 5yrs”, “SumarSummary” ou encore “Gentle so”… Disant quelque chose de nous, de nous tous !

ALAIN BUBLEX

ll n’y a pas de formes d’art qui me nourrissent plus que les objets du quotidien. Je ne vois pas la différence entre un film et une passoire. En réalité, l’intérêt est équivalent, derrière chaque objet de la production humaine, je perçois rapidement un projet. Qu’est-ce qui a porté cette chose-là au jour ? Et tout devient passionnant en réalité. Mes idées viennent de rencontres, d'interconnexions j'attrape les choses qui volent autour de moi ... dans les objets aussi il peut y avoir du sens…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “J’avais une grande curiosité pour l'automobile, petit habitacle qui se déplace dans l'espace, surtout en fin de journée. Nous sommes trois ou quatre dans un univers et une atmosphère relativement réduit avec des odeurs, des sons, et on traverse des paysages. En dessinant une voiture, on peut organiser l'expérience du monde dans le paysage et la vitesse mécanique. C'est devenu mon premier appareil photo. Je fais des photographies continuellement et pour autant la photographie comme médium, comme image ne m’intéresse pas tellement.” Et de poursuivre ainsi : “Les photos d’une manière générale ne sont pas des images, mais des endroits et des moments. Ce à quoi j’aspirais, c’est à retrouver ces moments et ces lieux, plutôt qu’à fabriquer ces images. Ce qui est différent. La photographie ouvre une relation au monde, sans permettre de témoigner du monde. Le moment de la photographie, c’est celui de la prise, bien plus que celui de l’exposition. On sort son appareil photo pour être attentif au monde.” Révélant l’importance du paysage naturel dans la construction de l’identité américaine, ses oeuvres nous parlent de grands espaces fantasmés retravaillés dans une approche plastique conceptuelle saisissante. Elles livrent des visions fugaces fragmentées et une observation méthodique dans une cadence rythmée par des prises de vues hypnotiques. En effet, la démarche artistique de Alain Bublex ( Photo ci-dessus Crédit@AnissiaKuzmina) donne une réalité visuelle à des utopies modernistes dans des variations perpétuelles aptes à dire l’intimité de la nuit s’abattant sur la ville. Elle questionne les pratiques artistiques populaires dans le prisme d’une palette graphique en mesure de transformer le monde en projet. Le regardeur appréciera, notamment, ces impressions xérographiques sur papier, encre et gouache exprimant une certaine mélancolie via des ombres floues lessivant les sites dans une représentation délibérément non fidèle des décors. On aime tout particulièrement cette gestuelle décryptant l’anodin dans l’accouchement de villes fictives et où se croisent les enseignes de motels, les montagnes enneigées ou les stands à hot-dogs solitaires de l’ultra périphérie urbaine. Mais aussi ces espaces transitoires parcourus par des monospaces fantômes dans une fascination pour l’inachevé via ces fascinantes épreuves aux encres pigmentaires laminées diasec sur aluminium ou encore ces épreuves chromogènes partageant avec le spectateur une passion archaïque de la mécanique, l’empannage d’autoroute, le travelling dans de singuliers objets filmiques faisant résonner nuitamment des sons sourds et métalliques. A la vie !

A la galerie Skarstedt au 2, Avenue Matignon 75008 Paris /// Jusqu’au 4 décembre 2021 /// Exposition : My Old Neighborhood - ERIC FISCHL

Les thèmes de ma vie, les thèmes de mon art, concernent le désir de connexion. En gros, ce sont des histoires d'hommes et de femmes, de garçons et de filles, essayant de comprendre tout cela. Mon travail essaie de séparer les questions existentielles et spirituelles les plus urgentes de ma vie des ambitions et des prétentions ineptes …” a t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “J'ai appris l'art de regarder longtemps. J'ai appris que l'art s'ouvre plus lentement qu'il n'y paraît au premier abord. J'ai appris que je pouvais interpréter le travail d'un autre artiste et dans cette interprétation je pouvais le posséder. J'ai appris à me familiariser avec l'art ; comment devenir moins intimidé ou précieux.” Avant de poursuivre ainsi : “J'espère que la peinture en cours, qui sera finalement réalisée, laisse beaucoup de place à quelqu'un d'autre pour l'interpréter. Ce que je fais, c'est que j'essaie de créer un espace vivant. Ce qui est bien avec la peinture - je pense que c'est vrai aussi pour les arts, c'est qu'il n'est pas nécessaire de mettre de la conscience dans les gens conscients. Vous pouvez mettre la conscience dans des objets inanimés comme dans une chaise qui assume une sorte de rôle de témoin. Il y a de la magie, c'est ce que j'aime dans la peinture.” Dans une réalité des corps et des moeurs percutantes, ces oeuvres saisissantes nous parlent de la naissance des émotions en mettant à nu les conflits intérieurs de la bourgeoisie décadente des banlieues américaines ou encore cette obscénité du vrai où les chairs blafardes croisent des nudités exhibées. Elles nous plongent dans l’exploration des rituels des classes moyennes aux Etats-Unis dans un traitement où le rite de passage est toujours sous-jacent ou présent. En effet, la démarche artistique de Eric Fischl (Photo ci-dessus Crédit@DR) induit un naturalisme dans l’oeuvre où règne l’absence de remords et où l’archétype est sans cesse mis en lumière dans une tension psychique rappelant, selon les mots de l’artiste, que c’est dans l’obscurité que l’imaginaire l’emporte et que nos sentiments de sécurité et nos certitudes laissent place à l’incertitude et à la prière. Elle nous confirme que les ombres sont le monde intermédiaire et qu’elles sont mémoire et projection. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition immanquable, ces toiles de grand format sur lesquels les personnages interlopes semblent poussés dans la rue par des forces invisibles exacerbant le sentiment d’urgence qu’accentue le regard étourdissant d’observateurs constitués en foule. Il comprendra que derrière ces peintures se manifeste constamment la sculpture, cette mémoire enregistrée de toutes les choses touchées. On aime tout particulièrement cette gestuelle animée par ces associations narratives marquées par la dystopie déclenchant des réponses viscérales prises comme seul moyen de compréhension dans une position de non-savoir. Mais aussi cette lumière que l’artiste fait scintiller sur les peaux en premier plan pour mieux dire cette solitude peuplée et cette corporéité troublante exprimant l’irréversibilité et la chute !

A la galerie Thaddaeus Ropac au 7, rue Debelleyme 75003 Paris /// Jusqu’au 20 novembre 2021 /// Exposition : Furor ! - DANIEL RICHTER

Je pars du sentiment que le sujet, c’est le monde… qui ne colle pas au monde. Je ne crois pas à la technique. Pour moi, la peinture est une manière de réfléchir et il faut soumettre les choses dont on a besoin pour cette forme de réflexion. Il s'agit davantage de systèmes de représentation que de la représentation du corps en tant que chose charnelle et biologique.” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Il n’y a finalement aucune différence entre la peinture abstraite et la peinture figurative hormis certaines formes de décodage. Les problèmes d’organisation des couleurs et des plans restent à vrai dire toujours les mêmes. Dans les deux cas, c’est la même méthode qui s’insinue sous diverses formes.” Avant de poursuivre ainsi : “Ce qui m’intéresse est de voir comment se référer au monde et à l’image du monde tel que je veux le percevoir et le décrire. Lorsque vous faites quelque chose que vous ne maîtrisez pas encore, il y a un long processus pour ne pas vraiment être conscient de vous-même et au moment où vous avez terminé ce processus, vous pouvez considérer les images comme le produit de votre propre réflexion. Et quand vous regardez les œuvres et essayez de les regarder comme quelqu'un d'autre, pas comme vous-même, vous en apprenez réellement sur la façon dont vous voyez le monde." D’une densité allégorique proche du rêve et au caractère souvent équivoque, ses oeuvres stupéfiantes sont traversées d’allusions et de désinvoltures. Elles disent une singularité de l’affirmation dans des présences outrancières étourdissantes englobant toutes les possibilités de la toile. En effet, la démarche artistique de Daniel Richter (Photo ci-dessus Crédit@CharlesDuprat ) distille l’apocalypse d’un imaginaire où la figure est extraite du monde qui l’entoure. Elle dissout les relations interpersonnelles dans la promesse de satisfaction universelle du désir. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition magistrale, cette forme de surenchère qui souligne le geste vital de peindre au cours d’ivresses exprimant une prise de distance avec un certain type de narration comme dans l’éloignement d’une approche théâtrale tout en repoussant le “fardeau” de savoir ce que l’artiste allait lui-même faire par avance. Il percevra très certainement ces postures pornographiques et ces contours lestes décrivant des dérives ainsi que ces bandes en arrière-plan façonnant un faux horizon comme dans une peinture de paysage se rapprochant du sublime. On aime tout particulièrement cette gestuelle livrant la nature multipartite de compositions et les divisions entre leurs éléments internes et donnant l'impression d'une désintégration et d'une reconstitution corporelles continues. Mais aussi ces contours qui se relâchent et se dissolvent dans une insistance palpitante et dans une beauté sidérante qui contrebalance une énergie par essence agitée. Ici, l'ombre s'échappe des corps, dans des effets nerveux latents comme un animal qu’ils auraient trop longtemps abrité !

A l’espace 24Beaubourg au 24, rue Beaubourg 75003 Paris /// Du 27 octobre au 13 Novembre 2021 /// La main à l’oeuvre - HERVE FISCHER /// Commissariat : Marie-Laure Desjardins

“J’ai choisi un geste anti avant-gardiste, un geste préhistorique, le geste démystificateur de toucher la toile car il n’y a pas de progrès en art : L’art traverse les cultures et il est toujours au niveau de la fabulation et de l’imaginaire. Dans la main préhistorique, il est clair que nous sommes dans la magie, c’était un geste de communication avec la divinité tellurique. La main est un élément de language avec l’au-delà ou avec la société et qui est extrêmement pérenne à travers les sociétés et les époques…” a-t-il expliqué dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : “Dans le courant des années 2010, j’ai voulu reprendre la main, non plus comme un geste de commentaire sur l’Histoire de l’Art pour démystifier l’illusion de la peinture et de l’image mais dans une autre optique : la dénonciation de la violence sociale. Dans notre évolution anthropologique, nous avons remplacé, dans notre désir de puissance, le silex de la préhistoire par le téléphone numérique. J’ai représenté une main numérique avec un code barre icône de l’âge numérique et avec l’idée que la main va intégrer la puce numérique.” Avant de poursuivre ainsi : “Pendant 2000 ans, l’icône de la chrétienté a été le crucifix et la croix dans un monde géométrique. Dans le monde numérique actuel, il y a le code binaire remplaçant l’alphabet à 26 lettres et des icônes. Il s’agit là d’une image très référentielle emblématique. Dans mon utopie à moi, nous sommes actuellement agressés par deux fabulations nord-américaines, de la Silicone Valley et de l’Australie qui sont le post humanisme et le transhumanisme. Je dénonce ces deux fantasmes toxiques et cette fabulation de prophètes ingénieurs qui génèrent du mal comme des erreurs de pensées, des choses barbares qui sont au fond des démarches eugéniques racistes de pays riches et qui ne correspondent à aucune réalité sociale. Je leur oppose l’Hyper Humanisme. Pour moi l’Homme va et doit grandir grâce aux hyper liens dans une conscience augmentée, planétaire et en temps réel”. Dans un sentiment de responsabilité de chaque individu par rapport à la collectivité, ses oeuvres questionnent la conscience d’une éthique planétaire par le prisme des émotions liées au progrès humain. Elles révèlent des fabulations utopistes porteuses d’espoir en disant que tout ce qui fabulatoire est réel et tout ce qui est réel est fabulatoire. En effet, la démarche artistique de Hervé Fischer (Photo ci-dessus Crédit@LaurenceHonnorat) nous invite à choisir nos mythes et à éviter les hallucinations dans une peinture développant les idées et vice versa. Le regardeur, appréciera ici, au coeur de cette exposition incontournable, ces oeuvres saisissantes posant des questions philosophiques dans une philosophie vouée à être repensée en mesure de donner du sens à l’aventure humaine sous une forme d’“agora numérique” assumant les oppositions d’un art-philosophique. Il découvrira ce techno-humanisme qui consiste à prendre en charge une esthétique et une pratique interrogative au coeur une révolution anthropologique et d’une “hygiène de l’art” liées à une mutation et un changement radical. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui nous oblige à croire en l’Homme, à la fois mythe et espoir. Chaque toile clame ici, au-de la de l’obsession de l’artiste, que la main a toujours été, qu’elle dit autant le plaisir, le bonheur, la faim en parlant de ce que nous sommes, de ce que nous redoutons et de ce que nous pouvons solidairement créer. L’artiste nous emmène dans une métaphore quantique, une prise de conscience des “fausses couleurs” et un vitalisme joyeux des couleurs ouvert sur un fauvisme digital dans un contexte de langage social intégrateur. Enfin, on entend, par delà la vigueur du geste, le caractère critique du travail pictural et le postulat anti fataliste cette question récurrente : Quelle humanité ? On navigue dans une progression libre de la pensée, allant de empreinte à la contre-empreinte via une affirmation d’existence individuelle de cet individu émergeant de la foule, marquant une divergence ou une volonté d’agir. Avec cette idée imprescriptible que nous naissons homo fabulator et que nous mourons homo fabulator !

A la Nécropole des Alyscamps avenue des Alyscamps 13200 Arles /// Jusqu’à fin Septembre 2022 // Exposition “Requiem” - LEE UFAN /// Commissariat : Alfred Pacquement

Il se trouve que personnellement, j’aime les ruines. C’est un endroit où le passé est derrière nous. Lorsque je m’y trouve il y a quelque chose qui ne passe pas, qui reste toujours en retrait. On peut y voir l’image de ce qui est en train de disparaître. On ne peut même pas affirmer qu’il y ait quelque chose qui se soit véritablement passé ; c’est ambigu ; est ce que c’était vraiment réel ? C’est ce genre de choses que je ressens….” a-t-il expliqué récemment. Et d’ajouter ensuite ceci : “Mon travail est un dialogue permanent avec un lieu qui m’est donné. Jusqu’à présent, j’ai exposé dans des endroits divers comme des white box ou sinon en plein air. Je souhaite que ceux qui viendront aux Alyscamps rencontrent leur propre mort et la mort universelle par l’intermédiaire des œuvres que je vais produire.” Avant de poursuivre ainsi : “En Corée et au Japon, dans les campagnes, lors de cérémonies, les chamans utilisent très souvent des clochettes. Pour rendre hommage aux morts, on plante des tiges de bambou, et on y accroche des clochettes qui sonnent dans le vent. C’est romantique, en quelque sorte.” Agissant comme des révélateurs, ses oeuvres proétiformes montrent le monde tel qu’il est sans en faire l’objet d’un acte de représentation qui l’oppose à l’homme. Elles révèlent la volonté de trouver l’origine d’un lieu situé au-delà de lui-même. En effet, la démarche artistique de Lee Ufan (Photo ci-dessus Crédit@DR) nous dit que le plus haut niveau d’expression n’est pas de créer quelque chose à partir de rien, mais plutôt d’utiliser quelque chose qui existe déjà, afin de révéler le monde le plus vivement. Elle sonde l’infini au-delà des souvenirs grâce à la répétition en instaurant un temps d’imprégnation avec le spectateur. Le regardeur appréciera ici, au coeur de ces treize oeuvres saisissantes qui transforment l’image de la mort abstraite en en image de mort universelle, la présence de deux anciens sarcophages illustrant “Soul Room” en écho à une multitude fantomatique anonyme et inconnue. Il interrogera du regard les fascinantes “Relatum, the Narrow road” et “Requiem Path”, ces deux sculptures désignant des choses et des évènements unis par une relation mystérieuse. On aime tout particulièrement cette gestuelle, où la pierre jointe à l’acier, défend l’idée de zones inachevées en laissant l’art s’émanciper du système de représentation et de fiction !

A la galerie Loevenbruck au 6, rue Jacques Gallot 75006 Paris /// Du 22 octobre au 4 décembre 2021 /// Exposition : Tranny’s Pleasures : Pain_Things in a Crazy World - ASHLEY HANS SCHEIRL

Mon art est « trans » : transgenre, transmédia. L'accent est mis sur la peinture et en même temps sur la dynamique entre les médiums. Mais il y a encore quelque chose qui m'empêche de m'en tenir à la peinture…” a expliqué Ashley un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “En fait, j'ai étudié la restauration et je peux copier n'importe quel style. C'est de là que vient le mélange des genres et des coups de pinceau dans ma peinture - par exemple, le photoréalisme se mêle à l'expressionnisme abstrait, aux pictogrammes ou aux éléments de graphisme. J'ai commencé à dessiner dans les années 1970.” Avant de poursuivre ainsi : “Après mon film « Dandy Dust », j'ai commencé à peindre parce que le cinéma était trop épuisant pour moi. J'ai été invité dans des festivals queer dans le monde entier avec mes films. Mais je me sentais artiste et je ne voulais pas rester dans ce tiroir, mais plutôt dans la scène artistique et les galeries.” Se revendiquant transrépertoire et transdisciplinaire, ses oeuvres explorent la remise en cause de l’identité personnelle du genre dans une dimension biographique indissociable de son art. Elles nous renvoient, dans une sensualité de l’artifice, à une révision des frontières du vivant sous des vecteurs jouissifs de changements. En effet, la démarche artistique de Ashely Hans Scheirl (Photo ci-dessus Crédit@JuliaFuchs) interroge les notions d’identité et d’économie en mettant en place un espace de désir où corps, objets et images forment un système de référence alternatif. Elle fétichise, sans ordre de distinction, le pur désir de l’être via une perpétuelle interaction d’univers synthétisés contestant la suprématie mercantile. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition immanquable, ces travaux saisissants combinant un esprit de transgression et de parodie au sein desquels la scénographie croise la peinture, la sculpture et le registre de l’installation. On aime particulièrement cette gestuelle au chaos stellaire développant une approche critique du système de l’art contemporain dans une ambiguïté du sujet devenant moteur de l’ensemble de la pratique. Mais aussi soulevant la face sombre de nos systèmes de valeurs en refusant la réduction à l’apparence !

Portrait%2BJC%2BRM.jpg

A la galerie Sit Down au 4, rue Sainte-Anastase 75003 Paris /// Jusqu’au 23 octobre 2021 /// Exposition : Il soufflera de l’Est - Jean-Charles Remicourt-Marie

J'ai toujours eu peu d'attrait pour les coups d'éclats, préférant les œuvres capables de contenir leur violence dans un silence sourd, tissant dans leur soubassement un réseau de liens presque invisibles. C'est en parti ce goût pour le mystère qui m'a amené à enfermer sculptures et photographies dans des malles. De cette manière les images sont soustraites au regard du spectateur, le privant de cette immédiateté que nous entretenons avec la photographie. Cela me permet de construire une autre temporalité, une autre durée de réception de l'oeuvre, celle de l'ouverture précautionneuse de ces bagages. Malles et coffrets deviennent ainsi autant de tombaux où les images habitent en attendant d'être révélées…” a-t-il expliqué dernièrement. Avant d’ajouter ceci : “Mon travail prend la forme d'une exploration de la violence guerrière et de sa représentation. Construit comme une énigme, celui-ci semble serpenter dans un moment qui précède la déflagration et l'oblitération des corps. Il se repli à l'infini dans un temps où rien n'est encore advenu, où les corps immobiles semblent attendre les brasiers”. Avant de poursuivre ainsi : “En regardant avec un peu de distance mes expositions je me rends compte que cet agencement de malles à tiroirs, de livres ou de documents est en quelque sorte l'extension de mon propre bureau. Comme si l'exposition était un moyen d'inviter le spectateur à consulter par dessus mon épaule cette table de recherche où se joue et rejoue une intrigue qui nous échappe”. Investigation historique et exploration du savoir-faire technique, ses oeuvres questionnent la notion de séduction du pouvoir militaire et politique dans une logique géopolitique où l’objet de superstition se fait point d’équilibre entre crypté et dévoilé. En effet, la démarche artistique de Jean-Charles Remicourt-Marie (Photo ci-dessus Crédit@CourtesyGalerieSItDown) nous parle de théâtre d’opérations militaires mais aussi de leurs représentations fantasmées dans la littérature, le cinéma et la photographie. Le visiteur appréciera ici, ces travaux dont la superbe série Blast nous disant que l’artiste a trouvé dans le champs de la photographie des réponses qu’il avait avec la sculpture. Ses malles, à la fois écrin et support d’exposition de clichés saisissants, se référant au passé colonial européen dans des récits multiples, soulèvent la question de l’acte de composition en zone de conflits dans une mécanique conjuratoire. On aime particulièrement cette gestuelle - faite de pions inertes, de tables de stratégie, d’énigmatiques cortèges et d’échappements au réel - où les motifs en croix viennent barrer le verre de fenêtres schématiques pendant que des toiles de jute viennent se tendre pour en fermer les béances. Mais également ces malles dans des gestes picturaux persistants défiant la mort qui viennent soutenir le temps suspendu, ces objets du secret et de la mobilité oscillant entre l’évocation d’un prochain départ et d’une arrivée soudaine. Sans oublier, ces tracés troublants renversant le discours et semblant essayer de conjurer silencieusement ces ouragans et ondes de chocs maltraitant les côtes américaines ou encore une menace dévastatrice invisible venue du ciel dans des projections de séquences !

Capture d’écran 2021-09-30 à 10.50.45.png

A la galerie Gagosian au 26, avenue de l’Europe 93350 Le Bourget /// A partir du 18 septembre 2021 /// Exposition : TRANSMITTER - Richard Serra

"Jusqu'à très récemment, la sculpture était quelque chose que vous pouviez décrire ou dépeindre comme un objet. Ce que je fais, c'est le contraire d'un objet. Je fais un objet, avec un sujet, la personne qui le pénètre et qui va ressentir une expérience. Sans elle, il n'y a pas d'oeuvre. Certaines s'y sentent piégées, mais quelques-unes seulement. Je considère l’espace comme un matériau. L’articulation de l’espace a pris le pas sur d’autres préoccupations. J’essaie d’utiliser la forme sculpturale pour rendre l’espace distinct…» a-t-il expliqué récemment. Et d’ajouter ceci : "Mes pièces provoquent une sensation de condensation, contraction du temps, ou au contraire son expansion. Un temps de la sculpture, si vous marchez dedans ou autour, qui est différent du temps de l'architecture. L'anticipation ou la mémoire de ce que vous y ressentez sont différentes, les relations subjectives à ce qu'elles évoquent sont différentes. » Avant de poursuivre ainsi : "Ce que je fais était difficilement diffusable par le marché, à mes débuts. Leo Castelli était un des rares qui ne se demandait pas si ça allait se vendre ou pas. Et la France m'a toujours beaucoup soutenu.” Permettant de faire l’expérience du temps et de l’espace, ses oeuvres saisissantes remettent en question notre manière d’inventer les objets. Elles étendent notre champs de la vision et nous disent qu’il y a aujourd’hui dans l’art beaucoup "d’insoutenable légèreté et de divertissement. En effet, la démarche artistique de Richard Serra (Photo ci-dessus Crédit@Artwork © 2021 Richard Serra/Artists Rights Society (ARS), New York Photo: Kai Jüenemann, Courtesy Gagosian) nous confirme que la sculpture peut être un catalyseur pour la pensée. Elle nous rappelle que voir c’est penser et que penser c’est voir. Le regardeur appréciera ici cette interaction sans discordance qui nait au contact de ces volumes monumentaux héroïques et de ces lourdes plaques d’acier gigantesques verticales et légèrement et inclinées. Il éprouvera ce radicalisme faisant vibrer la lumière et en mesure d’établir un minimalisme à la tension brute. On aime tout particulièrement cette gestuelle comme une épreuve de force dramatique imposée au fer, à l’acier, au plomb. Et transpose ainsi en qualités plastiques le poids, les masses, la pesanteur et leur développement vers l’orientation, le déroulement. Dans des lignes courbes libérant définitivement l’horizon !

Unknown.jpeg

Massimo de Carlo Piece Unique au 57, rue de Turenne 75003 Paris /// Du 28 septembre au 17 octobre 2021 /// Exposition : ALL DOORS OPEN - Doug Aitken

Nous encodons tous nos expériences du temps à des rythmes différents. Un moment unique survenu il y a plusieurs mois peut accaparer nos pensées, alors qu'un été entier, il y a cinq ans, peut avoir complètement disparu de notre mémoire. Nous étirons et condensons le temps jusqu'à ce qu'il réponde à nos besoins. On pourrait dire que le temps ne se déplace pas selon une trajectoire linéaire, et de plus, nous ne suivons pas tous le temps en utilisant le même système. Nous vivons dans un paysage extrêmement nouveau, et les possibilités de création sont immenses. Les outils de l'image en mouvement ont une histoire relativement courte dans l'art, et ce que nous pouvons faire avec eux est encore largement inconnu. Nous sommes encore en train d'innover et de trouver des moyens de raconter des histoires…" a-t-il confié dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : “Au XXIe siècle, nous sommes confrontés à tant de formes d'art à la fois, mais elles nous sont présentées d'une manière tellement isolée. Je pense que mon processus de travail est très nomade. Je ne suis pas intéressé de travailler dans un studio stérile, traditionnel, avec des white cube. J'aimerais trouver une méthodologie qui soit constamment adaptée au site, en constante évolution. Certaines œuvres, très fictives, exigent d'être construites comme si elles faisaient partie d'une nouvelle réalité, tandis que d'autres nécessitent une enquête intense sur un paysage spécifique. Je voudrais que la permanence de mon processus soit aussi temporaire que possible. J'aime penser à une absence de matérialisme où, à la fin de la journée, tout ce dont on a besoin est une table, une chaise, une feuille de papier... peut-être moins. Ce serait bien, d'être sans routine et sans possessions inutiles”. Avant de poursuivre ainsi : “Je veux créer un environnement où il y a très peu de séparation entre le public et ce que font les artistes. Le champ d'application d'une utilisation conceptuelle du son est si vaste. Dans chaque projet, j'essaie d'aborder le son d'une manière différente, en créant des structures audio qui sont uniques au concept. Je considère souvent le son dans ces œuvres comme un langage. La manière dont une photographie capture le temps me préoccupe. C'est fascinant pour moi, mais j'ai l'impression que je veux quelque chose de plus du formalisme du médium lui-même.” Nous parlant de l’avancée inexorable des technologies dans des expériences visuelles et sonores hypnotiques, ses oeuvres immersives saisissantes explorent les notions de présence dans le champs de la phénoménologie. En effet, la démarche artistiquede Doug Aitken (Photo ci-dessus Crédit@Image courtesy MASSIMODECARLO) se développe dans une évolution narrative autour de scènes, de séquences et de lieux prenant forme autour du prisme de la métamorphose. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition incontournable, cette installation-sculpture lumineuse en bois, acrylique et LED à la façon d’une grande respiration. On aime tout particulièrement cette gestuelle remettant en question l’impact de l’existence moderne sur l’humanité. Mais aussi ce moment de calme inattendu envoûtant émanant de cette silhouette de femme, face à la rue animée, auréolée de cette bande sonore nous renvoyant à cette étude de femme assise, l’avant du corps allongé sur une table, la tête dans les bras que réalisa un certain Jean-Baptiste Carpeaux vers 1872… !

IMG_5280 Photography (C) Claire Morgan Studio hsj edit 300 (002).jpg

A la galerie Karsten Greve au 5, rue Debelleyme 75003 Paris /// Du 16 octobre au 23 décembre 2021 /// Exposition : A TENTATIVE STRATEGY FOR A RENEWAL, OR, WANTING TO TELL YOU EVERYTHING AND THEN CHANGING MY MIND - Claire Morgan

Les renards se trouvent à la périphérie des environnements synthétiques et rectangulaires que nous avons créés pour nous-mêmes et le monde plus sauvage. Ils sont extrêmement beaux et je ressens une certaine affinité avec eux. Les renards incarnent quelque chose de sauvage, indomptable, intuitif, viscéral, voire même charnel..” a-t-elle confié récemment. Et d’ajouter ensuite ceci : “Les besoins environnementaux et les déchets me préoccupent. Un symptôme de notre avidité croissante pour les objets, c’est un problème fondamental de notre société. On veut prétendre être immortels. Cette tendance de nous entourer avec de plus en plus de possessions est liée à notre réticence de faire face à la réalité : nous sommes des animaux et nous allons mourir.” Avant de poursuivre ainsi : “Le décalage entre la vie retenue dans le corps et ce qui reste insaisissable me fascine toujours.” Ses oeuvres d’une insigne délicatesse nourries des textes de David Foster Wallace comme de Yuval Noah Harari et bercées par la nature environnante du hameau écossais de Gateshead nous disent qu’être créateur c’est vouloir contrôler les choses et que notre monde n’est finalement pas si éloigné de celui du Meilleur des Mondes. Elles relient les animaux et le temps en nous invitant à ne pas chercher à apprivoiser l’imprévisible. En effet, la démarche artistique de Claire Morgan (Photo ci-dessus Crédit@ClaireMorganStudio) frappe par ses arrêts sur images qui nous semblent surmonter des obstacles invisibles et qui transcendent les affres de la mort. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition remarquable, ces travaux racontant le comportement destructeur des Hommes cherchant à soumettre continuellement la Nature, notre dépendance au progrès, notre rapport au manque et à l’absence. Mais aussi exprimant cette capacité de l’artiste à canaliser le spectre de la mort et à formuler ce paradoxe : entourés de schémas rythmiques, nous nous comportons comme des entités individuelles avec des individualités fixes. On aime tout particulièrement cette gestuelle invoquant la vulnérabilité collective face à la vérité des choses. Face à l’oeuvre saisissante “Mouring for real” en peau de pinson des arbres, polyéthylène et nylon en vitrine ou encore “Snag” ce sublime pastel, crayon et aquarelle sur papier, on se dit que les peaux des animaux ont été longtemps et restent des trophées de l’excès !

Capture d’écran 2021-09-25 à 10.38.10.png

A la Fondation Cartier pour l’art contemporain au 261, boulevard Raspail 75014 Paris /// Jusqu’au 2 janvier 2022 /// Exposition : CERISIERS EN FLEURS - Damien Hirst

“Mon travail est moins colérique, plus craintif. Avant, il constituait une façon assez arrogante de dire : “Je vous emmerde ! Je suis éternel !”. Aujourd’hui, ce serait plutôt : “Mon Dieu ! Je suis sur le point de mourir !” L’alcool et la drogue, ça va cinq minutes. Ensuite, c’est l’hécatombe. Tout le monde devient accro, passe la nuit à courir aux toilettes et à s’écouter parler sans avoir rien à se dire..” a-t-il confié récemment. Et d’ajouter ensuite ceci : “L’art, ce n’est pas comme la mode, puisqu’une œuvre d’art ne passe jamais de mode. Ce n’est pas de l’instantané, du réchauffé, du jetable. C’est d’ailleurs ce qui me motive en tant qu’artiste. J’aime à penser que, dans cent ans, mon nom fera encore jaser dans les chaumières”. Avant de poursuivre ainsi : “J’ai toujours peint et eu le désir de peindre comme ça, mais ce n’était pas à la mode à l’époque. Je voulais prouver que j’étais plus impliqué dans le monde que ce que pouvait montrer la peinture et j’ai pris la voie de l’art conceptuel. Dans l’histoire de l’art, on a oscillé entre des périodes où l’on annonce la mort de la peinture, puis sa réhabilitation : la peinture est morte, vive la peinture ! Ce serait intéressant d’exposer ces toiles avec mon requin plongé dans un aquarium de formol : les deux sont émotionnels, et renvoient à la même personne.” Nous disant que l’art sert à nier la mort, ses oeuvres spectaculaires nous rappellent que le monde a changé, que l’ennuie est l’ami de la créativité et que l’inaction est son ennemi. Elles nous évoquent aussi le miracle de la nature ainsi que le cycle imperturbables des floraisons. En effet, la démarche artistique de Damien Hirst (Photo ci-dessus Crédit@DamienHirst, 2019 ©Damien Hirst and Science Ltd. Tous droits réservés, ADAGP Paris, 2020) nous interroge sur la fragilité de la vie, la fétichisation des médicaments mais également la peinture pharmaceutique, le renouveau et l’éphémère. Le regardeur appréciera ici ces toiles saisissantes “excessives, presque vulgaires” selon l’artiste qui on a souvent souhaité que son travail soit agressif et saute au visage du spectateur. On aime cette gestuelle qui parvient à dire le caractère volatile de la fleur dans un amour assumé de l’outrance, du clinquant et qui nous livre un éblouissement et un enchantement des plus jubilatoires né de la fiabilité de la main. Dans une exécution troublante où la peinture prend vie loin des fantasmes d’un peintre mécanique dans une forme d’heureuse exubérance et qui nous confirme que la lumière contient toutes les couleurs tandis que les feuilles la réfléchissent. On réalise alors la gravité des arbres s’élevant vers le ciel dans une imagerie faite d’irrévérence, de formol et de rédemption!

DGF_portrait.jpeg

A la galerie Chantal Crousel au 10, rue Charlot 75003 Paris /// Du 3 septembre au 9 octobre 2021 /// Exposition : LA CHAMBRE HUMAINE & LA PLANETE CLOSE - Dominique Gonzalez - Foerster

Je pense souvent une œuvre en termes de paradoxe. D'une part, il y a son intérêt en tant que pulsion, comme invention, comme tension entre l'existence et l'envie de laisser des traces, entre l'apparition et la disparition. En même temps, les artistes sont complètement inconscients dans leur désir. Il faut réaliser que conserver des millions d’œuvres dans le monde, ça occupe des milliers de personnes. C'est un bazar fou. C'est donc à la fois une activité pulsionnelle, qui va au delà du bon sens, et une nécessité de préserver cette pulsion, et ça représente des coûts et des délires incroyables. C'est une chose insensée. Avant même de me dire "qu'est-ce que je vais faire", je me demande ''pourquoi je vais le faire…” a-t-elle confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Dès le départ, dès les Beaux-Arts, j'ai eu un très gros doute sur la question d'être artiste. J'avais envisagé d'être curatrice d'exposition, de penser un rapport aux œuvres, de penser un rapport aux références, un rapport à l'art comme une série de choix, un peu comme Walter Benjamin organisait ses livres en samplant des citations. Dès le début, j'ai beaucoup douté, et je n'ai pas du tout assumé l'idée du nom, de la signature. Ces doutes sont devenus une méthode, ainsi qu'une redéfinition permanente de ce que sont une œuvre ou une exposition.” Avant de poursuivre ainsi : “On se rendra compte un jour que le 20ème siècle est un siècle expérimental avec des formes extrêmes. Je suis complètement persuadée que les architectures dans lesquelles on grandit ont un très grand impact sur l’organisation psychique. Il y a toutes ces histoires de théâtre de la mémoire, ces rapports à un espace où on place des expériences, des lieux, des pensées. Si vous grandissez dans un espace avec certaines règles, c'est ça votre théâtre de la mémoire. On le mémorise, et on s'identifie à un espace, à une mémoire émotionnelle.”   Sous forme de performances, d’environnements, de photos et de films, ces oeuvres s’expriment dans une traversée de territoires et une exploration de signes dans des agencements d’univers à la façon d’empreintes. Elles évoquent des théâtres de mémoires construits dans des déambulations entre réalité et fictions. En effet, la démarche artistique de Dominique Gonzalez - Foerster (Photo ci-dessus Crédit@GiascoBertoli ) livre des jeux d’émotions qui se développent dans des espaces intimes sensorielles saisissants. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition immanquable, ces travaux tournés vers la transformation de l’espace en lieu de sociabilité, l’altération de la mémoire collective et la perception individuelle. On aime tout particulièrement cette gestuelle où les mots et les symboles ont valeur de prédictions et attisent a satiété les sensations. Mais aussi cette sensibilité troublante sans fard nous renvoyant aux oeuvres et aux subjectivités incubées des soeurs Brontë, de Nathaniel Hawthorne ou encore de Joanna Russ. Dans une invention de nouvelles techniques de production de conscience où la dispersion et le doute deviennent l’essence de la création !

A l’Institut des Cultures de l’Islam au 56, rue Stephenson 75018 Paris /// Du 23 septembre 2021 au 13 février 2022 /// Exposition : PUISQUE TOUT PASSE - Hossein Valamanesh

La notion de contradiction et le sens de l’humour de certaines œuvres surréalistes m’intéressent. Mais je n’aime pas les œuvres qui sont trop abstraites à interpréter. (...) Le jeu est important, et chaque œuvre d’art résulte d’une source d’inspiration différente” a-t-il expliqué dernièrement. Avant d’ajouter ceci : “Il y a tellement de choses que nous ignorons, comme le sens de la vie, l’univers, etc., et la religion emballe tout cela dans un joli paquet bien lisse. D’abord il y a eu Dieu, puis Adam et Ève... C’est très commode, mais cela ne répond à aucune interrogation. Le sens de la vie dans les traditions chrétienne, musulmane et juive... C’est une manière simpliste d’expliquer la réalité de la vie – pas seulement dans notre société, y compris dans les sociétés dites « primitives », ou indigènes. En tant qu’êtres humains, nous voulons toujours tout comprendre. Et c’est quelque part ce désir que toutes les religions tentent de combler. Les penseurs du soufisme ont essayé d’expliquer le sens de la vie.” Avant de poursuivre ainsi : “Je ne connaissais rien de l’art aborigène avant de me rendre en Australie. J’ai eu la chance d’y être initié en 1974. J’ai été complètement bouleversé par la simplicité du processus artistique des aborigènes et la manière dont ils documentaient leurs croyances, leurs chants et leurs relations avec la nature, en particulier, à travers leurs œuvres. De façon très symbolique, et non figurative (un cercle représente un rassemblement, deux lignes représentent le feu, etc.) Cela m’a beaucoup impressionné. Par la suite, j’ai fait quelques œuvres dans cet esprit, à Perth, avant mon départ pour Adelaïde. Je crois que j’en ai retiré deux choses : d’une part, l’importance du rapport à la nature. J’étais très proche de la nature quand j’étais en Iran, mais sans n’y avoir jamais vraiment réfléchi. Je me sentais davantage concerné par la politique et les changements sociaux. C’est en Australie que j’ai vraiment pris conscience de mon rapport à la nature. D’autre part, à l’école d’art, je voulais devenir peintre.” Imprégnées par les écrits du Djalâl ad-Dîn Rûmî - poète mystique persan du 13e siècle ayant profondément influencé le soufisme - ses oeuvres questionnent le rôle du hasard et du jeu dans l’acte de création tout en interrogeant la notion d’autoreprésentation. En effet, la démarche artistique de Hossein Valamanesh (Photo ci-dessus. Crédit@HosseinValamanesh) portée par le surréalisme et l’Arte Povera nous dit que la créativité se nourrit parfois de longues flâneries et de l’absence de prise de décision et que l’humilité de l’artisanat est une vertu. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette magnifique exposition, ces travaux nous confirmant que l’ombre est la représentation de trois choses : l’objet/lecorps, la lumière et l’ombre. On aime tout particulièrement cette gestuelle à travers laquelle l’artiste réagit au monde de manière émotionnelle en rappelant que l’amour est une notion centrale dans le soufisme. Mais aussi ce rapport à l’apprentissage dans la répétition qui s’exprime dans cette oeuvre énigmatique particulière de 2013 baptisée “The Lover Circles hos own Heart” !

Ethan Murrow.jpg

A la galerie Les Filles du Calvaire au 17, Rue des Filles du Calvaire, 75003 Paris /// Du 4 septembre au 23 octobre 2021 /// Exposition : POLLEN SONG - Ethan Murrow

« J’ai grandi dans une ferme au cœur des collines du Vermont rural, toujours dans l’attente de ses étés. J’aimais la chaleur intense après une pluie battante, lorsque le bourdonnement des abeilles, le vrombissement des insectes et le gazouillis des oiseaux formaient une constante harmonie." a-il confié dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : "Maintenant, je vois à quel point j’ai eu de la chance de grandir dans un endroit et dans une famille qui a tant investi dans la terre, que ce soit l’exploitation forestière, l’élevage ou la culture de fruits et légumes. Ma vie urbaine m’amène désormais à observer ces souvenirs avec une douce lucidité et nostalgie." Avant de poursuivre ainsi : "Ces dessins naissent du désir et de la perte d’un passé écologique mythique. A la ferme, j’ai rapidement appris, en essayant et en faisant des erreurs, que toutes récoltes impliquent bien plus que la vision romantique de mon enfance. Il est question de lutte, de travail acharné, de passion, de chance, d’innovation, de persévérance et de privilège." La rigueur du trait scrute au sein de ses oeuvres la sensation des matières dans un exutoire libéré de toute colère. Elles laissent s’éveiller des sentiments anciens dans un temps de regard long où se fait la sédimentation de l’imaginaire. En effet, la pratique artistique de Ethan Murrow (Photo ci-dessus Crédit@DR) laisse la matière psychique se métamorphoser lentement dans cet espace indéfini et indéterminé où naissent les songes et les pulsions. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition incontournable, ces travaux saisissants ouvrant un espace du dedans qui suspend la réalité dans une énonciation impossible des choses du passé, du labeur et des origines. Il découvrira ces oeuvres en graphite sur papier et acrylique sur carton - dont les sublimes Flora Boundary et The Gleaner nous rappelant que art et humanité sont coextensifs car c’est grâce au “miracle” de la représentation que l’homme peut pleinement devenir Homme. On aime tout particulièrement cette gestuelle généreuse et sincère nous faisant lorgner de manière irrépressible sur les vallons verdoyants, les vergers et les fermes cossues du Vermont ancré dans une tradition rurale séculaire et où naquirent les premières zones de migrations européennes aux Etats-Unis. Mais aussi ce trait extrêmement précis qui parvient à faire serpenter la rivière à travers des paysages bucoliques sans âge où ondule lascivement la colline !

IMG_4188.jpg

Marcos Carrasquer

Il y a d’abord la frustration de ne pas savoir dessiner les choses comme on voudrait qu’elles soient. On a une image dans la tête mais la main n’obéit pas. C’est super frustrant mais au début quand vous êtes enfant cela vous nourrit beaucoup parce que cela vous pousse à aller plus loin et à obtenir ce que vous voulez. Il y a aussi une sensibilité dans la manière de voir les choses peut-être parce qu’on les voit différemment, qu’elles ne sont pas juste des choses, une théière, un verre, une chaussure… On voit les choses et on veut les transformer et se les approprier…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “La base c’était de voir les choses et de me les approprier, de leur donner un nouveau sens en les peignant ou en les dessinant, et puis peut-être de les rendre plus réelles. Souvent quand on voit un objet ou un visage peint cela me parait plus réel que ce que l’on considère comme la vraie chose. Un visage, quand je le vois en peinture, il me paraît plus réel que la réalité même. Ce que j’aime le plus c’est peindre ou dessiner le corps humain avec toutes ces facettes, les poils, le nez, la bouche, les mains, l’oreille, tel petit pli, telle ride, les scintillement de l’ongle. C’est un vrai plaisir de le représenter". Avant de poursuivre ainsi : “Ce n’est pas toujours une représentation classique du corps. Parfois il peut y avoir une certaine déformation. Pour beaucoup de gens cette image là du corps est un peu tortueuse, certaines positions leur semblent un peu forcées. Mais pour moi, peindre le corps humain c’est toujours un acte d’amour. C’est ce qui prévaut. Je ne fais pas de dessin préparatoire. Je commence donc par une idée qui n’est pas très claire. Et à mesure que je peins, l’image se précise. La position de tous les objets, les personnages apparaissant dans le tableau. C’est intuitif. Ainsi je ne m’ennuie jamais, je suis toujours vivant…” Cherchant à rendre l’image toujours plus forte et impressionnante, ses œuvres saisissantes nécessitent des semaines et des mois de travail laissant le temps nécessaire à l’artiste pour réfléchir et être lui-même surpris dans une évolution constante. Loin de toute représentation psychanalytique ou de tout concept autoréférentiel, elles nous disent que dans la peinture la notion du temps est essentielle car il s’agit d’une image fixe arrêtée. En effet, la démarche artistique de Marcos Carrasquer (Autoportrait huile sur toile ci-dessus Crédit@DR) nous parle de l’avant et de l’après de l’image qui est peinte. Elle dévoile un anachronisme par le mélange de figures tirées du passé et de figures contemporaines. Le regardeur appréciera ces travaux associant une idée à une autre que l’on a eu une heure plus tôt et réunissant différentes figures et situations historiques. On aime tout particulièrement cette gestuelle à travers laquelle le résultat final des toiles s’apparente souvent au chaos, à des scènes chaotiques désorganisées pour rappeler que l’existence est en soi chaotique. Dans un voyage l’oeil droit à l’oeil gauche nécessitant chaque fois un certain temps pour capter l’intégralité de l’image !

Capture d’écran 2021-06-28 à 16.17.05.png

A la galerie MASSIMODECARLO Pièce Unique au 57, rue de Turenne 75003 Paris /// Jusqu’au 6 juillet 2021 /// Exposition : Jennifer Guidi

La lumière va et vient constamment. Les heures de lumière et les heures d'obscurité que nous avons dans une journée sont en constante évolution. Je suis à la recherche d'une certaine lumière ou d'un contraste, d'une ambiance ou d'un sentiment. Dans les peintures de paysage, j'utilise la couleur, le mark-making et la texture pour évoquer une certaine atmosphère. Je suis influencé par la couleur et la lumière de Los Angeles, une lumière pas comme les autres. J'essaie de capturer ces moments fugaces des couleurs vives du ciel, comment les couleurs des montagnes changent, comment la lumière se reflète sur les bâtiments. Ce sont des moments qui captent mon intérêt et résonnent en moi….” a-t-elle expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Pour moi, la symétrie crée une paix et un calme, Il y a des symétries littérales ainsi que des symétries plus symboliques et psychologiques”. Avant de poursuivre ainsi : “Lorsque je peignais mes premières peintures abstraites par points, en 2012, il s'agissait de petits points texturés de peinture à l'huile blanche sur fond noir et leurs surfaces ressemblaient à de la peau de serpent. La première fois que le serpent lui-même a fait surface dans l'atelier, c'était lorsque j'ai commencé à faire des sculptures de bâtons de serpent en noir et blanc, en 2013. Mes sculptures préférées à l'époque étaient les soulsticks psychédéliques de Jim Lambie et les barres de bois colorées d'André Cadere. J'avais toujours aimé l'idée de bâtons comme sculptures appuyées contre le mur. De nombreuses cultures ont utilisé des bâtons pour symboliser la force, le pouvoir et la guérison. Si vous pensez aux cannes, aux bâtons de prière et aux baguettes magiques, ces objets contiennent un pouvoir et un mysticisme inconnus”. Immersives et contemplatives, ses oeuvres nous parlent de vibrations, d’altérité mais aussi d’introspection. Parcourues de pulsations, elles nous renvoient aux notions de mues via des pouvoirs d’attractions et des sources d’énergie où se mêlent empreintes et processus méditatif. En effet, la démarche artistique de Jennifer Guidi (Photo ci-dessus Crédit@JenniferGuidiStudio) implique un engagement physique avec les oeuvres d’où découle d’une répétitivité saisissante. Le regardeur appréciera ici, ces travaux en dispositif qui évoquent des points d’harmonie dans une approche spirituelle parcourue de symboles prenant forme dans des fonds ensablés et des teintes rougeoyantes. On aime tout particulièrement cette gestuelle cosmologique célébrant la montagne sacrée, le mythe du serpent et celui de l’infini. Tout en développant et structurant cette force abstraite très texturé dans un impact visuel où jaillit le sentiment d'illumination !

FmVgUhRC.png

A la galerie Templon au, 30 rue Beaubourg 75003 Paris /// Jusqu’au 17 juillet 2021 /// Exposition : Le roi de rien, la reine d’Angleterre et les autres - Jean-Michel Alberola

Si l’aventure peut être définie comme une réalité qui se dévoile au fur et à mesure que l’on avance, je pourrais dire que, la plupart du temps, dans mon travail, je ne sais pas où je vais. Et c’est le cas depuis plusieurs décennies….” Et d’ajouter ensuite ceci : “D’une façon dans mon travail, il n’y a pas de hiérarchie, au sens où il n’y pas de séparation, d’un coté un espace noble avec les peintures, l’histoire de l’art, et de l’autre coté les pièces qui tournent autour, à savoir le contexte politique, économique, social, géographique ou historique. Si tout a la même importance, ce sont donc les détails d’un ensemble. Je n’ai jamais pensé en termes de totalité. Chaque élément a un statut précaire et, dans sa relation avec un autre, il va perdre un peu de ce statut. Cette relation est a son tour précaire et précise à la fois. Mais cet ensemble-là devient aussi un détail d’un ensemble plus grand. Cela s’apparente à ce que l’on sait de l’astrophysique.” Avant de poursuivre ainsi : “La plupart des individus mettent de coté leur jeunesse, sinon la société ne pourrait pas tenir. Mais la jeunesse revient, d’où, à certaines époques, la cristallisation des idées de changement de société.” Portées par des évocations littéraires et musicales, ses oeuvres saisissantes questionnent le réel et l’état du monde. Elles dévoilent des passions cinéphiliques et une esthétique du divers où s’entremêlent des associations sémantiques bercées par la dichotomie. En effet, la démarche artistique de Jean-Michel Alberola (Photo ci-dessus Crédit@ArtisteADGAP.CourtesyGalerieTemplon) est irriguée par la rêverie du cinéma, la mélancolie de la poésie et la jubilation d’une mythologique du quotidien. Elle révèle des facéties linguistiques cultivées lors d’interminables voyages autant qu’elle évoque le rebus pris comme un ébahissement constant face à des énigmes irrésolues. Le regardeur appréciera ici - au coeur de cette magnifique exposition - ces travaux percutants racontant le synchrétisme nécessaire d’une oeuvre tout en cherchant la bonne articulation entre la fonction et la représentation. Autant de pièces qui proposent une image de la ruine - fait de petits territoires les uns aux cotés des autres constituant le monde - avec le rêve d’une possible réconciliation. Il se rendra compte par ailleurs que l’artiste revendique une égalité entre la petite et la grande histoire et que pour ce dernier la peinture est bien la parfaite combinaison des deux. On aime tout particulièrement cette gestuelle du plasticien-lecteur frénétique où les thèmes sont explorés dans des multiples représentations fractionnées qui viennent exprimer un rapport intime à l’histoire. Tout en nous disant que l’ artiste n’est pas une génération spontanée, qu’il vient du passé, qu’il est à ce titre très lourd. C’est arpentant idéologiquement l’intervalle, qu’il définit le dessin des constellations, entretient la conversation, fait naître la pensée du groupe invisible. Le chemin est ainsi bien plus important que le but dans cette émotion très personnelle des idées et cet ajustement fragile des couleurs s’animant sur la surface sensible.

IMG_9301.jpg

A la galerie Pierre-Alain Challier au 8, rue Debelleyme 75003 Paris /// Jusqu’au 31 juillet 2021 /// L’Emergence du Visible - Jean-Pierre Formica

L’essence de mon art, c’est la démultiplication, de faire apparaître ou disparaître les éléments…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “J’ai d’abord commencé à travailler l’art, d’abord par le taureau, et en fait le sel c’est comme de l’ADN chez moi c’est l’élément fondamental, c’est d’abord une aventure, c’est un fragment de mon travail comme de la céramique ou de la peinture ou d’autres éléments…” Avant de poursuivre ainsi : “Je suis né avec la Méditerranée. La culture est méditerranéenne. La notion de mémoire est pour moi très importante, tout mon travail est construit autour de ce processus là. La perception de la mémoire, du temps, tout ce qui est en fait un peu issu de ce coté un peu archéologique est fondamental. Je travaille sur cet assemblage de notions du temps…” Construites autour de la sédimentation, de la trace et l’empreinte, ses oeuvres nous disent que l’histoire est dans la matière ainsi que dans le recouvrement. Elles exaltent le geste dans des symboles et des racines séculaires via une archéologie picturale saisissante. En effet, la démarche artistique de Jean-Pierre Formica (Photo ci-dessus Crédit@DR) évoque irrémédiablement le repentir en peinture comme il célèbre l’accumulation et la réapparition du motif. Le regardeur appréciera ici - au coeur de cette superbe exposition parisienne aux portes de l’été - ces travaux nous renvoyant souvent aux paysages et aux ciels infinis du coté d’Aigues-Mortes où l’amour des taureaux dicte le mouvement et un continuum marqué par des séquences questionnant l’esprit des formes. Il accompagnera du regard, ce déploiement généreux dévoilant l’histoire dans l’histoire. On aime tout particulièrement cette gestuelle faisant s’amonceler le papier et les feuilles qui se rencontrent et se contrecollent les unes sur les autres dans une liberté irrévérencieuse et toujours radieuse. Mais aussi ces drôles d’écailles que fait surgir le plasticien plongé dans une narration rendant hommage autant à un certain Paul Valéry qu’aux instabilités des états de la matière échappant subrepticement au memento mori !

Prolongez l’exposition à La Chapelle du Méjean (Arles), au Musée Réatu (Arles), à La Serre, l’Arbre Blanc (Montpellier), au Réservoir (Sète) et au domaine de Pommery (Reims) / A lire : Formica - Monographie Aux éditions Actes Sud.

Portrait Marion Baruch, 2010 © Isabelle Grosse.jpg

Aux Abattoirs, Musée - Frac Occitanie Toulouse au 76, allées Charles de Fitte 31300 Toulouse /// Jusqu’au 19 septembre 2021 /// Exposition : Marion Baruch - Une rétrospective

J’aime la nuit. Allongée, je m’allège des douleurs de la vieillesse et je laisse venir les idées…” a-t-elle confié un jour. Et d’ajouter une autre fois ceci : “Je ne connaissais pas ce genre de chutes qui partent très vite à la déchetterie. Je ne m’y attendais pas, et tout d’un coup les formes m’ont semblé tellement belles. En les voyant, la mémoire s’allume, des liens profonds, des résonnances avec tout ce que j’ai vu. Je revis les émotions que j’ai ressenties devant les oeuvres des grands maîtres…” Avant de poursuivre ainsi : “Et puis, à un certain moment, je me suis sentie libre d’y ajouter du mien. L’art du siècle dernier nous a donné une grande liberté. C’est la seule liberté que nous possédons. Grâce à elle, je peux nommer ces objets des peintures, des sculptures”. Révélant des formes décharnées cherchant à contenir l’espace, ses oeuvres à la présence irradiante sont portées par un art relationnel réduisant le geste au minimum et exprimant un temps éclaté par la profondeur de continents du vide. Elles révèlent le textile comme premier habitat à l’essence métaphorique dépassant l’apparence formelle et sensible des oeuvres. En effet, la démarche artistique de Marion Baruch (Photo ci-dessus Crédit@IsabelleGrosse) met en scène des entités évidées fantomatiques composant des négatifs porteurs autant d’entraves que de liberté. Elle célèbre par son rapport à l’absence autant la richesse infinies des langues venues de l’immigration, la fonction sociale de l’art que la nature même de ce dernier. Le regardeur appréciera ici - au coeur de cette exposition magistrale - ces travaux en tissu éponge, bi élastique, tissu mixte ou fibre synthétique réfléchissante définissant ce nouveau langage plastique apte à questionner les notions d’identité dans une attention aux autres émancipatrice. Autant de pièces et de lambeaux qui contiennent à eux seuls la disparition des corps ainsi que cette idée que parfois le paysage est nulle part, qu’il existe une vie et une mort des hypothèses ou encore qu’il est possible d’envisager une modélisation d’une reliance parfaitement harmonieuse. On aime tout particulièrement cette gestuelle avenante, curieuse de l’inconnu, et donnant une résonance hospitalière à l’altérité et aux rebuts du tissu dans une libération des corps et une fascinante appréhension du vide. Tout en formulant avant l’heure - via ces sculptures en bois, verre, acrylique, acier et cire quelques unes des grandes préoccupations écologiques de notre temps ainsi que cet éternel retour face à une matière-mère et première destinée initialement à l’oubli !

Photo Gregory Forstner © Francine Kreiss (18).png

Au Frac Occitanie Montpellier au 4-6 rue Rambaud 34000 Montpellier /// Jusqu’au 8 septembre 2021 /// Exposition : Des fleurs pour les audacieux - Gregory Forstner

Mon rapport à la peinture est celui d’une « physicalité de la sensation » : de la matière et de l’espace mental (des idées et de leur portée physique). Cette physicalité de la sensation est d’abord éprouvé dans la vie (parce qu’il me faut vivre avant de peindre, parce qu’il me faut vivre et bouger afin d’activer du sens et de penser le monde), puis dans la peinture, le dessin, etc. Le support me permet de relayer cette charge émotionnelle pour en réveiller une nouvelle….” a-t-il confié dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : “Privé ces derniers temps d’un contexte social, suivant ce désoeuvrement collectif, par dépit et pour jouer de cette nouvelle situation, la figure dans mon travail m’est apparue comme obsolète – littéralement je ne voyais plus de « figure ». Moi qui ai toujours peint des figures masquées, depuis qu’elles sont réellement masquées, elles ne me sont plus lisibles, visibles. Cet éclatement de la figure s’est donc fait d’abord dans le réel, et parce que c’est l’expérience du réel qui me fait peindre, ensuite dans ma peinture…” Avant de poursuivre ainsi : “Ainsi placées au sol en vrac, des images de bouquets statiques sont devenues mes points de départ. Pas une image en particulier pour un tableau mais toutes les images pour chacun des tableaux, en même temps : je ne choisis pas, j’en fais la somme. C’est à dire que je ne peins pas une fleur ou la transparence singulière d’un vase et de son eau, mais la possibilité de toutes les vanités et de toutes les transparences. Le tableau réduisant l’ensemble des possibilités dans un objet singulier, je commence un autre tableau avec ce qu’il me reste des possibilités inexploitées du désir.” Trouvant place dans un cheminement émanant d’une aventure dans l’adversité et entretenant un lien direct avec l’enfance, ses oeuvres révèlent une implacable puissance de la touche et des fulgurances chromatiques saisissantes. Tournées vers des expérimentations radicales et parfois baroques, elles instaurent un jeu de reconnaissance dans une formulation transfigurée. En effet, la démarche artistique de Gregory Forstner (Photo ci-dessus Crédit@FrancineKreiss) témoigne d’une intuition où les interrogations se bousculent dans un théâtre des apparences fait d’incandescences et de sentiments contraires. Elle atteste du caractère frontal de l’image peinte et de sa dynamique cinétique. Le regardeur appréciera ici - au coeur de cette exposition remarquable - ces toiles où l’artiste accompagne ce qu’il voit comme le nageur ou le plongeur accompagne l’eau dans sa nage. On aime tout particulièrement cette gestuelle nous disant que l’art est compensatoire et que la peinture ne cherche pas à dire quelque chose mais qu’il s’agit d’un moment. Et clamant par ailleurs que l’objet de la figure est la présence et que son apparition est son effet. Tout en rappelant qu’il faut toujours peindre les choses que l’on désire ou alors que l’on déteste !

Drew portrait.jpg

A la galerie Lelong & Co au 13, rue de Téhéran 75008 Paris /// Jusqu’au 13 juillet 2021 /// Exposition : Leonardo Drew

Je retravaille constamment des pièces dans mon atelier. Ce processus a été assez astucieusement qualifié de « cannibalisme matériel » par Valerie Cassel Oliver - un terme que j'adore vraiment. Si une pièce m'accompagne assez longtemps, je commence à déconstruire ses éléments dans mon esprit, et ces composants deviennent souvent les pierres angulaires de nouvelles œuvres…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Généralement, je travaille dans une grille ou un cadre, et ceux-ci varient en taille et en champs. Selon l'espace ou le site prévu pour une pièce, les matériaux avec lesquels je travaille, etc.” Avant de poursuivre ainsi : “Mon travail porte vraiment sur une histoire altérée de notre voyage sur cette planète - le cycle de la naissance, de la vie, de la mort et de la régénération”. Cultivant aussi bien la dimension du chaos que celle de l’ordre, ses oeuvres ouvrent de multiples interprétations de lecture en questionnant une matière en strates soumise à des effets d’érosion en écho à la lutte pour les droits civiques de l’Amérique ou au passé industriel de son pays natal. Elles dévoilent des chorégraphies mentales via des degrés d’oxydation et des couches complexes trouvant place au sein de combinaisons d’objets trouvés associant le bois, le coton, la corde, la ferraille intégrant souvent des installations monumentales dynamiques saisissantes. En effet, la démarche artistique de Leonardo Drew (Photo ci-dessus Crédit@RandyDodson.Courtesy of The Fine Arts Museum of San Francisco ) délivre, de manière sous-jacente, un message sociopolitique lié aux registres de la décadence, de l’histoire des communautés noires aux Etats-Unis mais aussi plus largement des cycles de la vie. Elle restitue des contre-récits opérant des percées sensibles dans nos réflexes de perception et dans la multiplicité des formes de mémoires dictée par un certain Bergson. Le regardeur appréciera - au coeur de cette exposition immanquable - ces travaux sculpturaux évoquant - en apparence - du bois brûlé et cultivant l’idée de miroir face aux spectateurs confrontés à la mémoire collective d’une certaine forme de désespoir. On aime tout particulièrement cette gestuelle invitante faisant que les oeuvres s’assistent entre elles, se remplacent et se terminent à la fois. Mais également ce raisonnement personnel à la manœuvre qui offre au plus grand nombre de nouvelles perspectives quant à la manière de penser et d’exécuter autour d’exercices de formalisme ancrés dans l’expérience même du regard !

Alexandre_Lenoir_photo_studio_41756_COVER.jpg

Alexandre Lenoir

J’ai découvert la peinture à l’âge 17 ans, quelques mois avant d’entrer aux Beaux-Arts de Paris. À partir du moment où j’ai commencé à la peinture je n’ai plus touché à autre chose, ni au dessin ni à la sculpture. Dès le départ, j’ai eu l’intuition de peindre à échelle 1, d’utiliser les trois couleurs primaires et le blanc comme une matière : ces critères sont devenus mon fer de lance. Jusqu’à présent, j’ai conservé la même manière de travailler en opérant des focus différents…” a-t-il confié dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : “Comme je ne vois pas la surface de la toile quand je la travaille, je sens seulement l’énergie qu’elle a pu recueillir et la fin s’impose par elle-même. Ma manière transversale d’envisager la peinture m’impose sa finalité : une fois que j’enlève les scotchs, je n’y retouche plus. C’est assez difficile, d’accepter quelque chose qu’on ne voit pas, mais c’est aussi cela qui m’intéresse. En plus de la peinture, mes assistants et moi donnons de l’énergie humaine et c’est elle qui peint, au-delà de nous, de notre désir et de notre œil.” Avant de poursuivre ainsi : “L’art est l’une des seules choses qui ne peut pas changer et ne peut pas être remis en question de manière arbitraire. Dans une période comme celle que l’on vit actuellement, tout est chamboulé : nos héros d’aujourd’hui sont des personnes qu’on détestait juste avant, et inversement, on recrée un rapport à soi-même… L’art reste un repère immuable et universel”. Plongeant dans les méandres de la mémoire et s’émancipant de leur récit, ses oeuvres développent un effet troublant de continuité via des mystères multiples diffus. Elles convoquent le hasard dans des questionnements picturaux nés de flashbacks oniriques. En effet, la démarche artistique d’Alexandre Lenoir (Photo ci-dessus Crédit @Margot Montigny) nous dit qu’il est vain de chercher l’image exacte qui va se dérober inéluctablement. Le regardeur appréciera ses travaux saisissants marqués par un hédonisme ambigu communiant dans des couches de lavis de couleur où la gravité essaime une forme d’infortune sous une lumière tropicale nimbées de nonchalance. On aime tout particulièrement cette gestuelle attestant que l’artiste n’abdique jamais et qu’il puise dans des moments intimes d’une grande légèreté pas forcément identifiables, dans “des moments de peinture” ancrés dans un rapport à l’image où cette dernière est incarnée dans “une opportunité de la peinture” où chaque toile a son temps où chaque toile a son atelier. Le sujet ne s’arrête pas à la chose que l’on voit mais trouve bien place dans une vie que l’artiste décide de mener et qui vient donc créer la toile !

Wolfgang Tillmans, 2017. Photo Rebecca Wilton.jpg

A la galerie Chantal Crousel au 10, rue Charlot 75003 Paris /// Jusqu'au 12 juin 2021 /// Exposition : Lumière du matin - Wolfgang Tillmans

Je suis incroyablement fasciné par ce miracle de la photographie où la lumière vient frapper les produits chimiques. Il y a vingt cinq ans, j'ai commencé à travailler avec des images sans appareil photo, uniquement avec la lumière sur du papier photo sensible. Une famille particulière de photos est apparue. J'utilise simplement la machine de développement avec des produits chimiques. Ca a l'air mécanique mais ça ouvre des espaces imaginaires. C'est à la fois tout à fait abstrait et concret. C'est le résultat photochimique…” a-t-il confié un jour. Avant d’ajouter ensuite ceci : “Depuis tout jeune, je réfléchis à la manière dont mes photos sont exposées dans un espace. La galerie me permet d'avoir une interaction spatiale avec mes images. Certaines sont encore plus grandes que nature et quand je suis face à ces photos, il y a un impact physique. Il y a d'autres photos toutes petites mais qui ne sont pas moins importantes. Cette manière d'accrocher sans hiérarchie est un geste qui permet de décider de ce qui va être important pour le spectateur. Il ne s'agit pas de flécher le parcours”. Avant de poursuivre ainsi : “ La signification et la lisibilité politique des formes sont des choses qui m'intéressent depuis mon plus jeune âge — même s'il s'agit de la matière d'un jean déchiré qui nous amène à nous interroger sur notre définition du beau….”. Interrogeant nos mécanismes de perception, ses oeuvres saisissantes nous disent que bien que les images racontent chacune leur propre histoire, elles créent ensemble l’espace. Jouant sur l’ambivalence, la vulnérabilité et l’incertitude, elles développent des variations et des ouvertures qui clament une vision relativement ludique du monde tout en livrant l’accablante banalité du quotidien. En effet, la démarche artistique de Wolfgang Tillmans (Photo ci-dessus Crédit@RebeccaWilton) exprime des démarcations poreuses où l’image souvent par essence allégorique prolonge un regard alerte ouvert au doute. Le regardeur appréciera ici - au coeur de cette exposition magistrale - ces multiples clichés portés par des codes visuels où l’extase se matérialise à travers une circulation des corps sans entraves et où l’affect magnifie les espaces d’existence. On aime tout particulièrement cette gestuelle tournée vers la remise en cause des normes sociales et ne se laissant assigner aucune définition. Mais aussi cette insondable capacité à libérer la lumière du jour pour la rendre totalement fluctuante !

ny

Anaïs Lelièvre

L'informe, le magma, profus voire insaisissable, ouvre ses flux à l'apparition de formes qui s'architecturent et le contiennent. A l'image de colonnes basaltiques, interrompant l'éruption, et en gardant trace. Ainsi que des cristaux de silice, arrêtes droites et orientées en tous sens, composant le matériau verre et en rappelant la possibilité d'éclatement….” a-t-elle exprimé dernièrement. Avant d’ajouter ceci : “Je puise mon inspiration à l'endroit où les repères vacillent. Dans l'immense et l'infime des sites. Là où le détail, comme signe, ouvre à une relecture du contexte global. Dans les paysages du sublime ou de la déroute. Puis de plus en plus, dans les déplacements qui se jouent entre les lieux, à l'endroit du transit, qui peut être jonction comme perdition, densité ou éclatement.” Avant de poursuivre ainsi : “Ma première résidence de création fut en Islande, en plein hiver. J’ai marché dans un environnement graphique, noir et blanc, de volcan refroidi et de neige se fissurant. J’ai prélevé une pierre, c'est-à-dire un fragment de montagne : à travers les petits trous d'une pierre de lave, la trace de processus géologiques gigantesques. Cette île est elle-même une forme minérale, poreuse de toutes parts, par les béances ouvertes des volcans.” Accompagnant un processus contextuel, ses oeuvres font des visiteurs les protagonistes de leur environnement et fait que la masse l’emporte toujours sur le détail. Elles questionnent la notion de morphogenèse dans une fabrication du rythme structurel du cumul. En effet, la démarche artistique de Anaïs Lelièvre ( Photo ci-dessus Crédit@GalerieduDourven ) aborde la composition et le délitement sous un syncrétisme dans des anfractuosités où vient s’arrimer le temps. Elle livre des réalités psychiques où les concaténations de situations célébrent à la fois la pluralité, la ruine et l’aboutisssement. Le regardeur appréciera ces travaux saisissants exerçant sur la rétine une irrésistible attraction qui nous dit que du schiste, découvert dans le Valais, a été retrouvé autrement à Saint-Lô, puis plus récemment aux abords de la pointe du Dourven, et générant un processus construit sur la stratification, sur l'effritement matériel via un mode de construction mémorielle. Il appréhendera des installations, d'abord de papier et éphémères, qui se structurent via des modules aux formes tranchées, en PVC forex, en métal, en plexiglass imprimés, pour aller vers la durée et vers le dehors. La prise d'espace devient un jeu aux multiples recombinaisons possibles au fil des nouveaux lieux d'installation. Chaque installation se replie, se préserve, se replie autrement, de manière augmentée ou réduite, intégrant une modalité d'habitation instable, jamais définitive, autant que des possibilités d'intervention à grande échelle, comme actuellement ce qui est en germe dans le quartier Ferrié à Laval. On aime tout particulièrement cette gestuelle qui donne voix au plissement du dessin, à une lente évolution sous-terraine, à l’action ou encore à un proche lointain fait de densité granuleuse, de coupures et de lenteur silencieuse !

A voir à la galerie La Ferronnerie au 44, rue de la Folie-Méricourt 75011 Paris. Jusqu’au 27 juillet 2021.

STEPHANE PENCREAC'H - Crédit Denis Bourges, 2020.jpg

A la galerie Vallois au 41, rue de Seine 75006 /// Du 3 juin au 3 juillet 2021 /// Les Petits Théâtres de la Mémoire - Stéphane Pencréac’h

La puissance de la peinture, d’un bon tableau, de la peinture en générale, c’est un tableau qui sera toujours à l’heure… Il sera toujours capable d’évoquer ce dans quoi est plongée l’humanité au moment où elle le regarde….” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je fais des opéras en quelque sorte. Chaque exposition est une une espèce de grande scène qui se déploie à l’intérieur de laquelle les tableaux et les sculptures sont des moments qui participent du tout et sont individuellement des oeuvres pour elles-mêmes : La monstration.” Avant de poursuivre ainsi : “L’art contemporain a tendance à réduire l’art à l’idée en oubliant l’émotion alors que pour avoir de l’émotion il faut avoir beaucoup d’idées. La sculpture, la peinture, l’art en général c’est populaire. Cela n’est pas du tout péjoratif, ça s’adresse à tout le monde…”. Apportant de l’eau au moulin à l'histoire des formes, ses oeuvres complexes brassent l’huile, l’adjonction d’objets, la découpe de la toile et l’arrivée de bouts de mannequins - pris comme des bouts de nous-mêmes - qui viennent s’intègrer dans la toile de manière tantôt naturaliste ou tantôt symbolique. Prétextes à l’iconographie et à des tempêtes mentales, elles illustrent l’espace illusionniste et la lumière dans un passage et un prolongement d’une dimension à l’autre. En effet, la démarche artistique de Stéphane Pencréac’h (Photo ci-dessus Crédit@DenisBourges) nous parle de sculptures commémoratives et de peinture d’histoire dans des rapports de sens utilisant la puissance du symbole et des archétypes de l’imaginaire collectif et traumatique. Elle offre des perspectives narratives changeantes dans un caractère polyphonique apte à délivré un choc émotionnel. Le regardeur appréciera ici - au coeur de cette exposition magistrale - des collages en trois dimensions mettant en scène des évènements faisant appel à une forme de mnémotechnique où la sculpture réactive notre mémoire de l’évènement tout en endossant un rôle cathartique. Il éprouvera des logiques formelles accueillant des amoncellements d’informations factuelles au sein d’oeuvres déployant des temporalités où l’on peut puiser sans être submergé par l’encyclopédie. On aime tout particulièrement cette gestuelle ne se privant pas de romantisme en nous susurant à l’oreille que le sujet c’est l’Homme et qu’il nous fait partager des passions humaines profondes. Mais également ces réponses émotionnelles interrogeant toutes les formes d’entropies, la structure de l’image, la modernité dans ses différentes avant-gardes en proie aux enjeux de guerre tragiques mais réceptives à des éléments du pop ne refusant pas quand cela s’impose la peau du bronze !

1.jpg

Fabien Yvon

Dessiner c'est long. Long ce n'est pas péjoratif, c'est laisser le temps à une image qui se construit. Lorsque je dessine, je m'implique entièrement dans une image, de manière obsessionnelle, pour ne pas sortir d'une émotion, d'un paysage intérieur qui est en train d'apparaître sur le papier. Dans ce temps que je consacre en tête à tête à un dessin, je rentre dans une sorte de méditation, je pense à ce que je suis en train de faire et uniquement à ce moment. Je suis absorbé, concentré, avec la précision et le regard qui m'est nécessaire à la recherche de cette projection. Je me laisse porter par ce moment de création sans savoir jusqu'où il va m'emmener….” a-t-il expliqué dernièrement. Avant d’ajouter ceci : “Mes dessins parlent inévitablement de qui je suis. Je les fais naître avec ce qu'il y a en moi. Il m'est facile de me mettre à dessiner, c'est même une nécessité, un exutoire. Je ne suis pas à l'aise pour parler de mes émotions avec les mots. J'ai besoin de grands espaces, pour ma pratique et aussi pour en sortir, afin de mieux y revenir. J'aime beaucoup la présence de l'eau, la regarder et l'écouter ; sa sérénité que l'on peut voir parfois sur des grandes étendues. J'aime aussi ses mouvements, le son que produit une rivière dans son lit jusqu'à la puissance d'une mer agitée venant heurter ce qui l'empêche d'aller plus loin. La contemplation m'apaise, et nourrit le dessein de mes images.” Avant de poursuivre ainsi : “La musique est un outil indispensable afin que je puisse dessiner. Pour un dessin je vais rester à l'écoute d'un même groupe, d'un même musicien, compositeur, chanteur, ou d'un même genre musical qui suscitent en moi des émotions, un ressenti particulier. Je ne cherche pas à représenter une atmosphère plus qu'une autre, je dessine ce qui vient, à la croisée d'émotions, de souvenirs, de choses imaginées. Tout ça vient se rencontrer pour chercher et révéler un paysage intérieur.” A la fois souvenirs, lévitations et incertitudes, ses oeuvres font s’entrechoquer des étonnements et des fracas intérieurs qui nous parlent d’empreintes et de dialogues à minima. Elles abordent la question de la trajectoire et du déplacement dans une logique où l’action picturale dicte ses lois. En effet, la démarche artistique de Fabien Yvon (Photo ci-dessus Crédit@DR) livre des nuées et des moments en suspens dans des compositions saisissantes où l’instant de la fabrication rencontre le support permettant les reprises. Le regardeur appréciera ces travaux célébrant le porte-mine et où le ciel peut soudainement se faire mer. On aime tout particulièrement cette gestuelle sans bavardage d’une justesse extrême livrant les traces de gestes techniques. Mais aussi cette narration muette où l’on pourrait voir la lente sortie de l’obscurité d’une sphère estompée qui pourrait bien appartenir à un ensemble astronomique !

IMG_8458.jpg

Manon Pellan

Au moment où j’ai perdu ma mère, j’ai ressenti un besoin profond de me relier à ses vêtements et de les porter au quotidien. J’ai compris assez rapidement que le tissu qui lui appartenait serait pour moi une porte d’entrée vers le lien, que je cohabiterai avec la mort, dans cette recherche de l’autre au travers de son absence…” a-t-elle confié dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : “Plus tard j’ai répété ce geste quand j’étais de nouveau confrontée au deuil. Le fait de ritualiser les objets du quotidien d’un autre et d’avoir sa mort comme compagnon de route dans le dessin était compatible avec ma recherche du lien humain, et dans un même mouvement, le fait de déposer quelque chose d’intime dans le dessin me permettait de questionner un autre hypothétique.” Avant de poursuivre ainsi : “Lorsque je dessine j’interroge le temps. La temporalité d’un dessin qui se construit en amont, et qui exige une observation précise du sujet, et ma présence volontaire dans le dessin conduit inévitablement à l’absence de mon corps. Cette absence, qui guide mon travail m’amène à composer un motif, avec l’espace du blanc et ses silences. La poésie est dans le blanc, sa présence, et l’ambivalence du motif qui se devine". Epousant une réflexion autour du corps et de son absence, de l’intimité, et de la perte, ses oeuvres dressent toutes la problématique essentielle de l’histoire de l’art ainsi que celle du drapé portant en son pli un pouvoir d’évocation exceptionnel. Elles sont portées par un caractère contemplatif laissant toujours une place essentielle au blanc du papier. En effet la démarche artistique de Manon Pellan (Photo ci-dessus Crédit@DR) interroge - notamment via ses deux sublimes séries baptisées “Ghost” et “Trash” - les absences du motif choisi et tente d’en révéler la poésie. Elle soulève le sujet de l’absence partielle du corps dans des gammes fonctionnant intimement avec la présence du blanc, d’un vide qui comble le vide dans le blanc qui dit constamment les absences du dessin. Le regardeur appréciera ces travaux au crayon graphite saisissants au sein desquels le choix de ce motif est relié à l’histoire personnelle de l’artiste qui croit, en réalité, que notre vision du tissu et plus généralement du vêtement, est très ambigüe parce qu’il occupe une place particulière pour chacun d’entre nous, entre cet objet triviale que l’on retire négligemment, le fétiche que l’on range précieusement, ou encore le chiffon que l’on jette sans aucune culpabilité. Le tissu parle, selon la plasticienne, de notre rapport au quotidien, à l’intime, et au corps. On aime tout particulièrement cette gestuelle révélant une forme de violence froide et d’émotion dans l’observation de la banalité des éléments qui composent notre espace. Il fait sens pour l’artiste qui interroge - au travers de la nature morte et de la vanité moderne - notre rapport contemporain aux objets, et notre manière de les ritualiser ou non. Mais aussi cette fragilité si juste et particulière qui nous rapproche peut-être d’une conscience de la pérennité de notre existence !

Cornelia Eichhorn.jpg

Cornelia Eichhorn

Je suis issue d'une famille de dissidents d'Allemagne de l'Est d'avant la chute du mur et j'ai donc vécu une oppression et une exclusion de la part de mon entourage jusqu'à l'âge de huit ans au moment où ma famille est parvenue à s'extraire et s'installer en Bavière qui est très régionaliste. Ce sentiment de ne jamais appartenir à quelque chose m'a profondément marquée...” a-t-elle confié récemment. Et d’ajouter ensuite pudiquement ceci : “Je me nourris de deux extrêmes, d'un côté par exemple des films de Tarkovski, son sens moral, sa philosophie et ses images très émouvantes et d'un autre côté des clichés médicaux d'opérations, de maladies et de malformations dans les livres et sur internet. En mettant des formes considérées comme répugnantes dans mes compositions de corps , je tente de rendre la violence larvée des interactions relationnelles ostensible.”. Avant de poursuivre ainsi : “Je suis à la constante recherche d'une précision technique quasi chirurgicale en dessin et en découpage et plus récemment en sculpture. Mais j'aime que les choses que je représente se confondent comme des jeux de mots visuels qui insinuent un doute sur ce qu'on voit. Je cherche aussi à dépasser du rectangle stricte de la feuille en abordant le volume de manière très progressive avec des plans emboîtés qui me confronte à l'équilibre et aux points de vue.” Traitant des relations humaines prises comme un processus de corps-à-corps ou comme des paysages subissant l’érosion, ses oeuvres saisissantes évoquent des dialogues sourds hors de contrôle s’insinuant partout et dépassant constamment les limites . Elles suggèrent des situations de transition faites de corps contorsionnés et d’excroissances que les sujets portent douloureusement comme des normes parfaitement absurdes. En effet la démarche artistique de Cornelia Eichhorn (Photo ci-dessus Crédit@NIkolaïSaoulski) nous parle de remous, de ravages et de flux inextinguibles nous renvoyant à la fois à l’opprobe, à des antinomies fallacieuses et à un monde emprunt de délices surannés et d’espérances déçues. Mais aussi à la sempiternelle question de la figure et de l’être au monde. Elle aborde - sous le prisme de l’inconscient - le sentiment de tortures associées à l’étreinte fugace en nous mettant face au Die Hül­sen­beck­schen Kin­der” (1805/06) de Phi­lipp Otto Runge dont la mère de la plasticienne avait accro­ché une copie dans sa chambre d’enfant. Le regardeur appréciera ces travaux réfractaires et parfois très sombres faisant régulièrement écho à cette pensée de Lacan : L’ Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ? qui font surgir le risque et l’extase. On aime tout particulièrement cette gestuelle extrêmement personnelle traitant sans masque de la représentation de l’être prise dans un évanouissement de la réalité du monde. Et plus encore ce champ d’une imprévisible expérience tiraillée entre la forme et la narration sans adoucissement ni esthétisation des images. Sans échappatoire. Pour finalement devenir mémoire !

A voir : "Stalagmitus digita stalactita purusa", Exposition duo d'Anne-Sophie Yacono et de Cornelia Eichhorn du 23/04/21 au 16/05/21, Visible en vitrine à l’Atelier 8, Bonus, les ateliers d'artistes de la Ville de Nantes.

IMG_7444.jpg

Au Château de Rochechouart, Musée d’Art Contemporain de la Haute-Vienne, place du Château 87600 Rochechouart /// Jusqu’au 13 septembre 2021 /// Exposition : Sans commencement et sans fin - Michele Ciacciofera /// Commissariat : Sébastien Faucon

Je suis né en Sardaigne et j'ai vécu et étudié en Sicile, à Palerme et Syracuse, avant de déménager à Paris où je vis et travaille actuellement. J'ai été encouragé par mes parents depuis l'enfance à suivre mes aspirations et parmi celles-ci la plus naturelle pour moi fut l'art. J'ai développé ma formation artistique d'abord de manière indépendante puis dans l'atelier d'un designer et architecte sarde qui était aussi un artiste : Giovanni Antonio Sulas. Il a été mon professeur, il m'a guidé dans de nombreux choix dont celui d'orienter ma formation universitaire vers des études sociologiques et anthropologiques en parallèle de l'activité artistique. Cela m'a permis d'étendre la vision de l'art vers des terrains contingents...” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Par la suite, au fil des années, j'ai eu la chance de pouvoir rencontrer de nombreuses personnes qui se sont révélées fondamentales pour mon développement artistique, en particulier des écrivains et des anthropologues, avec lesquels j'ai mené un dialogue qui est encore nécessaire dans mes recherches aujourd'hui.” Avant de poursuivre ainsi : “Les médiums que j'utilise sont étroitement liés au langage et au message que les œuvres veulent véhiculer, en particulier pour tous ceux liés à la recherche sur la Méditerranée. Tout d'abord le dessin, qui est pour moi un processus nécessaire et initial à toute réflexion, étant inextricablement lié au processus cognitif, en association avec des notes et des écrits à travers lesquels j'enregistre tout ce qui attire mon attention et que je traduis enfin en trois dimensions.” Soulevant l’hypothèse d’un effondrement de notre civilisation modifiant et subvertissant la relation entre passé et présent, ses oeuvres évoquent une fin se fondant dans l’origine. Elles livrent une dimension archétypale de la mémoire en nous rappelant que l’acte de création peut surgir spontanément dans n’importe quel contexte sous l’énoncé du “genius loci” qu’affectionnaient les Romains. En effet, la démarche artistique de Michele Ciacciofera (Photo ci-dessus Crédit@DR) épouse une dimension synesthésique totale dans un art du liant qui recompose une archéologie au-delà des strates dans une logique sérielle saisissante. Le regardeur appréciera, au coeur de cette exposition remarquable en carte blanche - ces travaux “cosmiques” apparaissant dans un accrochage ryzhomatique où la permanence des signes nous fait percevoir des déesses mycéniennes aux cotés d’écritures d’inspiration cunéiformes, de totems interlopes au pouvoir magique et de formes fossiles rituelles simplement parfois ébauchées. Il s’arrêtera face à ces prémitisvismes conscients infusant des fragments de reliques phéniciennes sous des bruits mécaniques venant de bateaux de pêche à proximité des cotés siciliennes sur lesquels dialoguent encore les équipages. On aime tout particulièrement cette gestuelle - confrontant la sociologie à l’anthropologie et au politique sans perdre de vue l’archive - qui s’anime via des formes organiques faites de résine, de verre, d’émaux ou de terre à la fois humaines et végétales, minérales et animales. Et dévoilant un monde marqué par la sédimentation, la question critique et libéré de tout sentiment de nostalgie sous le paradigme de la manière dont l’histoire se fait continuum et élémentaire depuis l’apparition des premiers rouleaux bibliques dans les grottes du désert de Judée. Et dans des laps de temps oscillant invariablement entre passé, présent et futur !

Valentin van der Meulen © Alfredo Salazar.jpg

Valentin van der Meulen

« J’aime l’idée de ne pas comprendre forcément tout ce qui nous attire. De prendre conscience de la place du temps dans notre rapport à notre environnement en général…” a-t-il expliqué récemment. Et d’ajouter ensuite ceci : « Dans mon travail, je crois que ce qui m’intéresse, c’est de présenter au spectateur l’expérience de l’image déjà consommée. Glisser constamment entre objet et sujet, brouiller les choses et les lignes. Comme un clin d’œil à ce qu’a toujours été l’image par rapport à la réalité : tout et rien à la fois, sans être jamais objective. Tout ça se retrouve dans mon language plastique. » Avant de poursuivre ainsi : « De plus en plus, on est dans une course à la fabrication de contenu dans une adhésion ou une surenchère permanente faussement spontanée. Et cela dans toujours plus d’aspects de notre vie. C’est un cercle qui nous invite à rester à la surface, à négliger la profondeur. » Ses oeuvres nous parlent de l’expérience d’une image déjà consommée en nous rappelant que cette dernière n’est jamais objective par rapport à la réalité qu’elle représente. Elles sont animée par l’envie d’apporter au dessin les codes de la sculpture en évoquant la métaphore du souvenir dans une relation autour de la forme-contreforme. En effet, la démarche artistique de Valentin van der Meulen (Photo ci-dessus Crédit@AlfredoSalazar) se situe à la frontière de la peinture et du dessin et exprime des glissements dans des jeux de cadrages saisissants. Elle s’empare des notions d’altération, de temps et d’histoire en conférant à l’image une présence tangible. Le regardeur appréciera à travers ces travaux remarquables au fusain et à la pierre noire cette image où s’éfface autant le sujet que l’objet. Mais aussi ce protocole de détérioration à l’oeuvre qui nous fait voir la vie tragique de Rosemary Kennedy autrement en nous invitant à franchir le pas vers le mythe où négation, oubli et huis clos s’ajoutent et se retranchent. On aime tout particulièrement cette gestuelle rendant périssable la lecture de l’objet pris comme image. Et où la question de la relation du sujet à l’image repose sur le principe suivant : toujours travailler sur des images qui n’ont pas été produites pour que l’artiste les dessine. Avec cette idée d’avoir toujours une distance, de pouvoir décontextualiser l’image… C’est-à-dire enlever le personnage de son rapport premier à la réalité et de s’interroger sur celle que l’on voit. L’image, ambigüe, est recadrée, puis recontrastée !

IMG_8476.JPG

A la galerie gb agency au 18, Rue des Quatre-Fils 75003 Paris /// Jusqu’au 15 mai 2021 /// Exposition : Wet Plastic Fragile Heart - Tirdad Hashemi

Tout mon stress et mon anxiété ont une influence directe sur mon sommeil. Je me souviens très clairement qu'après que ma mère ait menti et causé ma rupture avec ma petite amie d'alors, pendant un an, je dormais constamment sur le canapé de 6 à 8 heures du matin parce que je ne pouvais pas dormir confortablement sur mon lit…” a-t-elle confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Une fois, j'ai rêvé d'une femme avec de très beaux cheveux et les mêmes mèches de cheveux remplissaient peu à peu l'espace et provoquaient anxiété et tension. C'était comme si ma petite amie pouvait provoquer à la fois beauté et tension dans ma vie. Même si la dame de mon rêve était une étrangère. Mais je suppose que je ne faisais qu'un avec mon cerveau c’est pourquoi il a créé cette image”. Avant de poursuivre ainsi : “La peinture, dans mon processus de travail, part toujours d'une histoire et continue comme un rêve. Tout est toujours possible pendant le sommeil." Etroitement liées à l'idée de communauté et à des cercles d’affinités, ses oeuvres véhémentes nous parlent d’ébats mais aussi de mélancolie et d’identités qui se dissolvent. Elles livrent - sous un trait énergique survolté et des perspectives vacillantes - un langage où des formes de schizophrénie sont à la manoeuvre. En effet, la démarche artiste de Tirdad Hashemi (Photo ci-dessus Crédit@Courtesy the artist and gb agency, Paris) chahutent la bien-pensance ainsi que les conventions en court-circuitant l’ordre traditionnel du fantasme et en rappelant l’urgence du dessin. Le regardeur appréciera ici - au coeur de cette exposition magistrale - ces travaux saisissants tournés vers la question de l’amour à plusieurs, les systèmes d’affranchissement mais aussi la relation renversée aux interdits. Il essaiera de se projeter via ces petits formats véloces dans le quotidien de ces jeunes femmes vivant à Téhéran en prise avec d’indicibles désirs. On aime tout particulièrement cette gestuelle où les scènes ne sont jamais impudiques et à travers laquelle la fragilité de l’instant se traduit dans des couleurs éclatantes faisant échos à des nomadismes et des exils soudains. Mais aussi des flux de représentations sondant l’implicite, les déséquilibres du monde et l’insolence de corps s’épanouissant dans la nuit !

Anju Dodiya 2.JPG

A la Galerie Templon Rue Veydt 13A, 1060 Bruxelles- Belgique /// Jusqu’au 22 mai 2021 /// Exposition : Tower of slowness - Anju Dodiya

Mon travail n'est pas autobiographique, bien qu'il commence par le moi. La pierre angulaire est l'imagination. Même une expérience personnelle circule et revient sous une forme différente. Ce sont des réalités restructurées. C’est un jeu. Je joue et j'essaye de modeler quelque chose qui vient en partie de la réalité et en partie de mon imagination. Je veux aussi supprimer la partie du genre.A-t-elle confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je choisis des tissus très texturés et frotter la peinture dessus est très merveilleux et très sensuel. Les thèmes avec lesquels je travaille - l'anxiété, l'insomnie, l'esprit intérieur - cela a beaucoup à voir avec la solitude, l'allongement, le lit. Donc, à partir de là, j'ai fait de nombreux matelas…” Avant de poursuivre ainsi : “J'ai une tendance étrange : Quand je travaille bien, je ne rêve pas. S'il y a une longue période sans travail, alors je rêve. Ou si ma fille est à proximité, alors je rêve”. S’attachant aux questions d’isolement, du processus créatif et du masque social, ses œuvres explorent les sources historiques. Elles traitent de la lenteur et de l’incommunicabilité entre les êtres en s’emparant des incertitudes politiques dans un théâtre des émotions saisissant. En effet, la démarche artistique de Anju Dodiya (Photo ci-dessus Crédit@AtulDodiya) nous parle - dans une conscience aigüe - de confessions feutrées et d’épopées jaillissantes où la solitude se fait parfois pesante mais reste salvatrice. Le regardeur appréciera, au coeur de cette exposition immanquable, ces travaux montrant des scènettes ambiguës mettant en exergue un rapport troublant du temps à l’espace célébrant l’instant du crépuscule. Il retrouvera des sublimes techniques mixtes sur tissu étiré sur panneau de bois mais aussi cette oeuvre intrigante baptisée “Match Point” mêlant l’aquarelle, le collage sur papier et le graphite livrant des formes aiguisées et géométriques subtiles obnubilant la pensée. On aime tout particulièrement cette gestuelle donnant vie à des entités et des toiles matelassées comme des fenêtres sur des intimités venues de l’obscurité. Mais également cette curiosité inextinguible nourrie des tapisseries médiévales, des estampes japonaises, des brochures de presse et de la fantasmagorie de la Renaissance !

nxe

nxe

A la galerie Lelong&Co. au 13, rue de Téhéran 75008 Paris /// Jusqu'au 13 juillet 2021 /// Exposition : Rise Up - Samuel Lévi Jones

Je pense qu’il y a beaucoup d’informations importantes que nous pourrions utiliser et que nous manquons pour diverses raisons, par distraction ou par paresse. Si vous prenez un moment et commencez à creuser un peu plus, vous pouvez trouver des éléments extrêmement pertinents, puis vous interroger sur les raisons pour lesquelles ces informations ne sont pas disponibles, pourquoi elles sont masquées. Et puis, vous pouvez aller plus loin dans les couches d'obscurité et essayer de relier les points pour savoir ce que tout cela signifie…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je pense qu'à travers la destruction, la conversation se produit. Plus vous avancez dans la déconstruction, plus vous suscitez des discussions, voire des changements de politique. Ce qui se passe avec l’objet reflète ce qui se passe derrière l’objet, une plus grande conscience collective”. Avant de poursuivre ainsi : “Je viens d'une ville ouvrière [Marion, Indiana] où le sport était extrêmement répandu et important - on ne sort pas de la ville à moins d'être en mesure de retenir les informations et de les régurgiter correctement, ou sinon si vous êtes un athlète très talentueux. Le peu d'aptitude athlétique que j'avais m'a permis d'aller dans une université. Ce n’est qu’au moment de mon départ que j’ai pu réfléchir à d’autres choses et à différentes possibilités, et me lancer dans l’art”. S’appuyant sur une démarche quasi cathartique, ses oeuvres nous parlent de catégories objectives et de la question sous-jacente de l’exhaustivité mais aussi de la notion de saccage en fond. Elle bouleverse le champ du collage et de l’assemblage dans des jeux de superpositions et d’imbrications saisissants. En effet, la démarche artistique de Samuel Lévi Jones (Photo ci-dessus Crédit@Samuel Levi Jones / Courtesy Galerie Lelong & Co.) traite de la reconstitution matérielle dans une force cumulative radicale. Elle développe - via des enchevêtrements disparates troublants - des combinaisons de codes émotionnels et conceptuels interrogeant les règlements et des contextes changeants. Le regardeur appréciera ici ces travaux soulevant les problématiques de l’hégémonie et de la ségrégation mais aussi celles de la race, de l’autorité et de la sexualité. Il observera cette manipulation des livres et des sources d’informations dans une logique critique de démantèlements symboliques. On aime tout particulièrement cette gestuelle à travers laquelle les surfaces biaisées se déchirent et où une certaine rugosité picturale laisse s’affirmer les composants structurels. Et où la forme, la fonction et la valeur sont irrésistiblement remises en question dans des grilles à même de renverser toute rationalité !

IMG_1650.JPG

Béchir Boussandel

Ce que je cherche dans mes peintures c'est la circulation, celle du regard, je cherche une sorte de déplacement immobile où le mouvement des yeux suivrait un jeu de piste. Mon tableau est un territoire, un site, le fragment d'un espace beaucoup plus vaste, sans ligne d'horizon, une surface plane où le temps, celui de la couleur commence, où le jour s'arrête….” a-t-il confié récemment. Et d’ajouter ensuite ceci : “Ce qui m'intéresse c'est le dialogue, c'est ce qui se passe entre les différents éléments. Les objets, les personnages, les éléments que je dépose sur mon terrain résonnent avec la mobilité, ils dialoguent avec ce lieu, un cireur de chaussures, un chien de garde, un géomètre, un bâton posé sur la couleur. Toutes ces images sont glanées durant mes déplacements, ainsi une forme de circulation s'opère, du monde vers l'atelier, de l'atelier vers le tableau, du tableau vers le regardeur”. Avant de poursuivre ainsi : “Une image me revient en mémoire, celle du remous des hélices du ferry partant du port de Gênes et qui tracent dans la mer un chemin éphémère pour rejoindre le port de Tunis.” Tournées vers les questions de l’identité, de la modernité et de l’altérité ses oeuvres complexes évoquent une spatialité désarticulée où se dresse une illusion du temps saisissante. Elles révèlent un destin commun globalisé dans une sorte de simulacre de quotidienneté faisant jouer la similitude contre la vraissemblance. En effet, la démarche artistique de Béchir Boussandel (Photo ci-dessous Crédit@DR) interroge les notions de mobilité ainsi que l’ombre des objets dans des ancrages troublants faisant se rencontrer le champs de l’intime et l’espace public. Le visiteur appréciera ces toiles puissantes isolant des sujets par l’appropriation de jeux de matériaux divers. Mais aussi cette retranscription plastique subtile de la photographie via des aquarelles et gouaches sur papier baptisées “Une autre direction” ou “Maître chien” à travers lesquelles la fiction prend vie dans des gestes parfaitement dérisoires. On aime tout particulièrement cette gestuelle délicate et ces travaux d’où émanent une étonnante douceur et où l’image trouve toute sa matérialité. L’artiste ne portant garant d’aucune vérité nous rappelle que tout lieu est finalement un imbroglio et un carrefour où se fait la perte de sens !

amberandrews.jpg

A la galerie Ciaccia Levi au 34, Rue de Turbigo 75003 Paris /// Jusqu’au 13 mars 2021 /// Exposition : Too Many Tears for Lovers - Amber Andrews

Pour le moment je me définis comme une peintre, mais je ne sais pas si cela va durer. En tous les cas, j’aimerais me voir évoluer et travailler avec davantage de matières, et j’aimerais me lancer dans la sculpture et dans l’installation. Je pense qu’il est important en tant qu’artiste de garder plusieurs chemins ouverts et de pouvoir choisir la matière qui correspond au mieux à son idée. Jusqu’à présent cela est toujours passé par la peinture et le dessin….” a-t-elle expliqué dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : “Lorsque je peins, il ne s’agit plus seulement du dessin. Il y a tant de facteurs qui s’y mêle que le dessin tend à disparaître d’une certaine manière. Tu ouvres des possibilités et la toile te pose des questions. C’est merveilleux quand ça m’arrive. La peinture est une expression. Je pense qu’en premier lieu tu fais de la peinture car tu le veux et que tu en as besoin. C’est quelque chose de sacré, quelque chose pour toi”. Avant de poursuivre ainsi : “Le confinement a été un cadeau offert par dieu, le premier en tout cas. Tout d’un coup, il n’y a plus rien. Toutes les invitations que l’on pouvait difficilement refuser n’y étaient plus. Plus de vernissages, plus de bars, plus d’amis … seulement la vie d’une vraie artiste (rires). Je travaillais du matin au soir tous les jours dans la plus grande solitude. C’est très étrange, lorsque le monde se retrouve pleinement bouleversé, tu retrouve de la paix et du calme dans ton studio.” Portées par l’idée du rythme, de la surabondance et parfois du chagrin, ses oeuvres subtiles abordent la place des grands mythes et celle du voyage initiatique dans un équilibre distinctif se situant à l’interstice de la couleur et du dessin. Elles livrent de troublantes images en apparence familières faisant se rencontrer le profond amour, la mémoire collective et l’insondable solitude. En effet, la démarche artistique d’Amber Andrews (Photo ci-dessus Crédit@DR) nous parle d’une manière de penser très moderniste prenant forme souvent à partir d’esquisses véloces nées sur le papier. Le visiteur appréciera ici ces très belles toiles généreuses nous renvoyant à l’imaginaire de l’Italie du XIVème siècle, celle du Décaméron : ce légendaire recueil de cent nouvelles signées Boccace entre 1349 et 1353. Mais aussi et surtout au récit saisissant de ces dix hommes et femmes fuyant la ville de Florence pour échapper à la peste faisant rage et qui se confineront dans une villa déserte à la campagne. Sur place, ils se relayeront pour raconter une histoire. On aime tout particulièrement cette approche de l’artiste qui nous nous met subrepticement à l’esprit le mot “tohu bohu” : cette expression hébraïque, faisant écho au jour avant que Dieu donne lumière au monde. Cet état d’un monde sitôt créé. Inhospitalier pour certains, incompatible avec la vie pour d’autres !

_IMG5703C30.jpg

A la galerie Air de Paris au 43, Rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville /// Jusqu’au 6 mars 2021 initialement /// Exposition : “Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? - Non !” - Jean-Luc Verna

Je ne fais pas de l’art pour m’adresser aux gens qui sont supposés avoir la même sexualité que moi ou ne pas avoir de cheveux et aimer le tatouage. L’écho doit se faire avec des gens qui n’ont si possible rien de commun avec moi, et c’est comme ça que je trouve ma place dans la société. J'ai toujours été dans l'ambivalence. Mon genre, c'est celui du plastique. Je ne tiens pas à faire semblant d'être un homme ou une femme, je suis un artiste. Peu m'importe la sexualité. L'idée de la sexualité me plaît plus que la sexualité elle-même. Elle n'est plus une question pour moi. J'aime l'intime, la déflagration de soi à soi. J'ai une grande fascination pour le mensonge, c'est pourquoi je suis dans la représentation.” a-t-il expliqué dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : “La pratique du dessin a été mon premier refuge pour créer une bulle de résistance contre le bain acide et d’humiliation dans lequel je suis venu au monde. Mais danser a été mon premier rêve d'art, j'ai fait du dessin par défaut. Durant mes premières années de pratique, j'étais un stakhanoviste, je dessinais 5 à 6 heures par jour, je montais mes gammes. Je me nourrissais auprès de mes maîtres, d'Ingres à Michel-Ange. Mais je ne me nourri plus qu'à la moitié de ce que je déteste. Il faut se rendre perméable au savoir, et pouvoir s'en détacher, sinon on est faiseur. Il faut savoir oublier ce qu'on a appris. J'aime que le dessin soit quelque chose de magique, il faut savoir le transformer comme je le fais avec mon corps. On a cru pendant les premières années de ma carrière, que mes dessins étaient uniquement des emprunts car j'utilisais du calque. Or le procédé du calque est une béquille pour boiter magnifiquement et pour avoir une belle démarche”. Avant de poursuivre ainsi : “L’étoile est un symbole transversal, trans-historique, un signe que l’on retrouve dans l’architecture, les arts de la table, les jouets, des choses vernaculaires et érudites à la fois. Une étoile a cinq branches, c’est une figuration du corps humain. C’est une pensée magique contre une pensée religieuse, le combat de l’étoile contre la croix catholique”. Mettant en exergue la récurrence des motifs et la retranscription dans l’espace d’une expérience singulière, ses oeuvres saisissantes expriment la pulsion de vie autant que cette analogie établie entre la peau et le papier. Elles se font le réceptacle de ses obsessions dans le développement troublant de ses propres mythologies. En effet, la démarche artistique de Jean-Luc Verna (Photo ci-dessus Crédit@©RenaudMarchand) livre - dans un refus de tout formatage - une réserve de formes chevillée aux corps qui nous parle d’affranchissement et de non compromission. Le regardeur appréciera ici au coeur de cette exposition magistrale ses pièces où est brouillée la temporalité du dessin - pris comme lieu de la correction et comme “apparition” dans des réinterprétations de l’histoire au sein de la tache. Il retrouvera via le dessin animalier, les têtes de clown, les bouquets de fleurs, des “choses” - que certains auront facilement jugées lavées et lessivées presque honteuses et potentiellement mortes - ce rehaussement “maquillé” subtile. On aime cet axe assumé entre la haute et basse culture, ou encore entre la culture savante et la culture populaire, nous renvoyant de temps à autre au champs de la congruence photographique ou à une Nina Hagen, un Félicien Rops sans oublier le groupe punk Siouxsie and the Banshees. Mais aussi et surtout à Leo Ferré, Barbara, Diane Dufresne ainsi qu’ aux Caractères de Labruyère. Pour mieux dire - par le biais de papiers jaunis par leurs propres acidités - les vicissitudes de la vie, la fluidité du genre, la montée de l’extrême droite, la fin de la sexualité à travers des dessins célébrant des oiseaux, des chats ou des ours !

Porträttbild .png

A la galerie Andréhn-Schiptjenko au 10, Rue Sainte-Anastase, 75003 Paris /// Jusqu’au 6 mars 2021 /// Exposition : Vu à Travers la grille - Matts Leiderstam

Certaines toiles déclenchent en moi une forte envie, un désir qui me fait oublier, au moment que je les vois, les intentions, le contexte ou la pratique originale de l'artiste - car c'est comme si je me sentait reconnu par la peinture. C'est ce sentiment rare que je reconnais à la gay-cruising qui est le point de départ, c'est là que surgit mon désir d'en savoir plus - et ceci est souvent le point de départ de nombre de mes œuvres. Ce n'est qu'après cela que mon processus de recherche commence - un voyage qui m'a conduit dans les archives et les entrepôts des musées. La plupart de mes œuvres peuvent être décrites comme issues d'une question très simple: Que fait la peinture ? Pendant des nombreuses années, mon intérêt principal a été les manières de voir parallèles (queer) - pour essayer d'exprimer mon désir originel dans l'expérience visuelle…” a-t-il expliqué récemment. Et d’ajouter ensuite ceci : “Après avoir réalisé un grand nombre d'œuvres de recherche en relation avec des peintures historiques dans des musées du monde entier, j'ai été frappé il y a quelques années par une irrésistible envie de revenir à une pratique en atelier. En tant qu'enseignant pendant de nombreuses années, j'ai pu constater un changement dans le rapport de mes élèves et moi-même aux images. La peinture, comment nous la faisons et comment nous la voyons, se mêle à une nouvelle façon de penser qui appartient à notre manière contemporaine de traiter et de penser les images à travers les logiciels informatiques, Internet et les reseaux sociaux.” Avant de poursuivre ainsi : “Cela m'a fait réfléchir à des questions fondamentales sur la nature même de la peinture à notre époque. Je pose à nouveau la même question : que fait la peinture ? Mais maintenant d'une manière nouvelle. Un autre dénominateur commun est que dans ma pratique d'exposition, je pars toujours de la salle et que je cherche des moyens évidents et stricts pour l'installation. Mais je recherche toujours une expérience visuelle fluide et multiforme - Ici, j'ai trouvé que l '«archive» ou le «stockage en tant que forme est particulièrement utile pour mes besoins”. Etablies sur une grille qu’il appris à utiliser très tôt lors de ses études artistiques, ses peintures répondent à une structure quadrillée qui peut être utilisée pour composer une image mais aussi pour l’analyser. Réalisée sans croquis, chacune d’elle répond à un processus intuitif qui est effectué sans plus de plan que le motif de la grille étant reproduit encore et encore. En effet, la démarche artistique de Matts Leiderstam (Photo ci-dessus Crédit@DR) s’appuie sur l’utilisation de peintures acryliques et du ruban adhésif - après quoi le processus se poursuit. Des pièces en peinture à l'huile sont ajoutées - souvent avec un pinceau ou un couteau à palette avant que les tableaux en soient placés sur une étagère ou placés dans un tiroir d'archives, lors de la production. Naissent ensuite des “connexions” entre les peintures qui mènent plus loin l'œuvre. Le regardeur appréciera au coeur de cette exposition remarquable ce processus de travail intuitif et saisissant partant d’images collectées par l’artiste et se prolongeant dans des réflexions sur les images régissant l'exécution du dessin, ainsi que la façon dont le titre est ajouté. On aime particulièrement ces tirages sur lesquels il dessine - à savoir la série Archived - produits dans son atelier sur une imprimante puis montés par un fabricant de cadres avec lequel il travaille depuis longtemps : “Depuis de nombreuses années, un ami charpentier m’aide à produire mes meubles et mes panneaux d'exposition. Mes choix de tailles et de matériaux sur les panneaux sont basés sur les anciennes traditions de la peinture occidentale mais aussi sur ce à quoi ressemblent les écrans numériques contemporains. Les tableaux sont placés sur une étagère ou placés dans un tiroir d'archives, lors de la production. Ensuite, des connexions naissent entre les peintures qui mènent plus loin l'œuvre” explique Matts !

Larissa Fassler studio photo by Dirk Herzog 03.JPG

A la galerie Poggi au 2, Rue Beaubourg, 75004 Paris /// Jusqu’au 27 février 2021 /// Exposition : Ground Control - Larissa Fassler

Je sens qu'il y a des connaissances qui viennent de la recherche profonde, où les hypothèses et les idées préconçues sur un lieu, un quartier et ses habitants, peuvent être corrigées par une observation précise…” a-t-elle expliqué un jour. Et d’ajouter ceci : “Depuis dix ans, j'ai développé deux parcours différents dans ma pratique. Dans les deux, je commence par observer les lieux urbains. Je fais des dessins cartographiques hybrides et je crée aussi des objets qui se situent entre des maquettes et des sculptures”. Avant de poursuivre ainsi :”Je veux montrer comment des événements historiques, tels que les bombardements massifs de la Seconde Guerre mondiale par exemple, ont eu un impact sur la planification urbaine aujourd'hui. Je veux créer des coups de pinceau et des lignes qui portent un poids émotionnel. Je suis attirée par les lieux a priori chaotiques et les sites fébriles où des affrontements se produisent parfois. Ces sites, souvent historiquement compliqués, sont pleins de contrastes..” Se présentant sous forme de grandes compositions graphiques, ses oeuvres livrent une dynamique fortement marquée par la sociologie et l’architecture. Elles se nourrissent de croquis d’observations, de relevés et d’une cartographie à main levée livrant des sortes d’anamorphose saisissantes. En effet, la démarche artistique de Larissa Fassler (Photo ci-dessus Crédit@DirkHerzog) nous parle de réseaux de circulations mais aussi de sédimentation sociale et politique dans les lieux publics de l’espace urbain. Elle met à nu les enjeux de contrôle qui se jouent à l’échelle de grandes mégalopoles mondiales. Le regardeur appréciera ici, au coeur de cette exposition exceptionnelle, ces travaux tournés vers la question de la mémoire collective et celle des circulations. Mais également cette relation symbiotique entre un lieu et un individu dans les interstices de l’architecture. On aime tout particulièrement cette gestuelle prenant toute son expression dans l’oeuvre “Columbus Circle, NYC I, 2017-2020” - exécutée au crayon, stylo bille et acrylique sur toile - questionnant ce célèbre rond-pont au coeur d’un débat sur la commémoration de figures historiques dans la statuaire publique. Au beau milieu du Time Warner Centre et du Trump International Hotel & Tower !

Rachid Khimoune CRÉDIT Antonin-Kélian Kallouche.png

A la Galerie Italienne au 15, Rue du Louvre 75001 Paris /// Jusqu’au 27 février 2021 /// Exposition : Tortues de la Paix - Rachid Khimoune

Etre artiste c’est réinventer sa propre histoire, afin que les autres entrent dedans et la comprennent. Ce qui est important pour moi, c’est le regard et la sensibilité de l’autre parce qu’ils signent l’oeuvre…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ceci : “On pourrait croire que tous les bitumes du monde se ressemblent et pourtant, d’une ville à l’autre, les grilles d’arbres, les plaques d’égouts sont des signes distinctifs, tel un tatouage sur la peau qui révèle l’identité d’un lieu, voire son histoire”. Avant de poursuivre ainsi : “Je suis un fervent défenseur de la paix, c’est pourquoi j’ai réalisé un ensemble de 1000 tortues faites de résine moulée à partir de casques de soldats de différentes armées (Etats-Unis, Allemagne, Russie…). Ces tortues représentent la sagesse et l’humanité face à la violence et à la barbarie. Cette oeuvre a été installée sur l’Esplanade du Trocadéro, à Paris et sur la plage d’Omaha Beach, dans le cadre de la commémoration de l’Armistice de la Seconde Guerre Mondiale”. Ses oeuvres nous disent que l’on échappe pas à ses premières visions, que la ville est une scène de théâtre infinie et que certaines promenades conduisent à des jardins extraordinaires. Elles s’entendent aussi bien dans des labyrinthes de verdure que dans un plaisir de cheminer dans la nature ou encore sur les trottoirs pris comme d’inépuisables pages d’écriture. En effet, la démarche de Rachid Khimoune (Photo ci-dessus Crédit@Antonin-Kélian Kallouche ) se nourrit d’histoires écrites dans l’Aveyron, en Algérie ou au fort d’Aubervilliers et elle s’imprègne des notions de terre et des voiries interrogeant sans cesse l’artiste. Elle est parcourue de signes ayant fait “basculer l’image” dans la fabrication d’un vocabulaire alimenté par des histoires “vraies” que le public de la jeunesse se réapproprie de manière ludique. Le regardeur appréciera ici notamment ces totems saisissants qui ont fait parfois souffrir lors de leur réalisation l’artiste qui dessine des heures durant compulsivement et ces pièces moulées s’inscrivant dans des préoccupations tournées vers l’air, l’eau et les éléments essentiels à la vie mais également ces promesses de joie et de vie. On aime particulièrement cette gestuelle communiant avec le monde, évoluant dans des zones troubles et où les tortues chassent les mauvais sorts et les mauvais génies en protégeant la maison selon cette vieille tradition venue tout droit de Kabylie. En mot de la fin Rachid glissera pudiquement ceci : “La sculpture n’est pas fait pour convaincre. Elle est là pour que l’on oublie pas ce que l’on a vu et ce que l’on a ressenti à un moment donné et que ça puisse rester le plus intemporel possible.” Comme pour mieux exprimer toute la force revenant à une oeuvre d’art !

Capture d’écran 2021-02-02 à 09.49.24.png

Romina de Novellis

Contrairement à ce que certains pourraient croire, je ne vis pas mes performances comme des expériences spirituelles. Mon esprit et mon corps sont totalement présents durant tout le temps que dure la performance. Je regarde le spectateur, nous échangeons des regards, je vis totalement cette expérience en communion avec ce qui m’entoure. Ce sont des expériences qui sont très intenses, physiques et que j’ai appris à gérer techniquement afin d’éviter de devenir « absente ». Je pense à tout ce qui peut me permettre de tenir pour supporter l’effort et éviter l’engourdissement de mon corps. J’essaie de sentir mon corps et d’avoir un regard très vivant pour partager chaque moment de l’œuvre avec le spectateur. Physiquement c’est parfois très dur et je le vis très mal, surtout le jour suivant la performance, je me sens totalement vidée, épuisée. Le plus dur étant finalement de sortir de l’état performatif” a-t-elle confié un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Dans mes performances, par exemple, il n’y a pas la barrière de la langue puisqu’il n’y a pas la parole. La langue est alors évidente, c’est celle du geste et du corps qui est universelle. Aujourd’hui, nous évoluons dans un monde ou chacun doit de plus en plus se spécialiser dans un domaine. Pour moi cette spécialisation à outrance touche la notion d’enfermement des personnes dans leur savoir. Nous perdons cette notion «d’humanisme » chère à la Renaissance, où un artiste comme Léonard de Vinci pouvait tout autant être ingénieur, physicien, philosophe, poète ou peintre. Aujourd’hui porter de l’intérêt à des sujets si diversifiés paraît anormal ! De ce fait, pour moi, il est fondamental que l’art arrive à faire ça”. Avant de poursuivre ainsi : “Il est important pour moi que l’être humain arrive à exister, se ressentir, se questionner sur lui en tant qu’individu et sur son devenir sans s’accrocher à une religion, une philosophie, une science. Il faut que ces réflexions viennent de lui même. Je crée mes performances aussi pour ça. A coté de cela la danse une forme d’ordre physique et mental qui m’a aussi permis de ne pas me perdre. Cela m’a structuré la pensée et le corps. Voilà pourquoi je continue à être danseuse jusqu’au bout…” Développant un regard et une mémoire avec la mémoire de l’art, son travail interroge les icônes et la symbolique religieuse en touchant les choses le plus archaïques liées à tout être humain. Se rapportant intimement à l’expérience, l’esthétique de son travail se tourne vers les notions de destin, d’enfermement de l’être, de rituels et de sacrifices. En effet, la démarche artistique de Romina de Novellis (Photo ci-dessus Crédit@GianlucaTamorri) nous parle de la culture d’appartenance, de la famille comme lieu de toute imperfection et de la beauté des allégories. Elle dénonce les rapports d’oppression autant qu’elles questionne les modèles dominants dans une analyse des dichotomies saisissantes. Le regardeur appréciera dans son oeuvre cette vision très personnelle des usages sociaux du corps via des “images réifiées” et la récupération de codes non verbaux. On aime tout particulièrement cette gestuelle traitant sans concession du rôle de l’absence dans la construction de la représentation mais également le principe de disparition toujours à l’oeuvre. Sans oublier la dimension politique et sociale du corps souffrant parfaitement incarnée dans l’oeuvre Mamma Mia de l’artiste, où la mise en scène subtile renvoie à l’esthétique de la statuaire romaine dans un seul et définitif écho !

Portrait_Tom_Wood_Arles 2019©Dean Chalkey.jpg

A la galerie Sit Down au 4, Rue Sainte-Anastase, 75003 Paris /// Jusqu’au 13 février 2021 /// Exposition : Happy Birthday Tom Wood - Photographies de Tom Wood

Je ne me souviens pas de la première image, mais plutôt de la première pellicule. La première fois que je suis sorti pour prendre des photos, j’ai trouvé l’exercice facile. C’est pour ça que je me suis lancé. À la base, après avoir étudié les Beaux-Arts, j’aimais surtout peindre et faire des petits films. Mais ça coûtait cher, il n’y avait pas encore d’outils numériques. La photo a été un recours. J’ai compris plus tard que faire une photo, une vraie bonne photo je veux dire, est un truc bien plus compliqué qu’il n’y paraît. Je n’essaie pas de documenter ou de prouver quoi que ce soit. Je suis intéressé par comment marche la vie et comment marche la photographie. Je suis un chercheur avec un appareil photo, à la recherche de ce que je connais et de ce qui m’échappe. La photographie est un médium mortel qui peut tuer la vie…” a-t-il confié un jour. Et d’ajouter ceci : “Après 25 ans passés à photographier la ville, j’ai déménagé avec ma famille au nord-est du pays de Galles, comme des générations d’habitants du Merseyside avant nous. Loggerheads, en particulier, était une destination idéale pour une excursion en car d’une journée.”. Et de poursuivre ainsi : “J’ai moins de temps aujourd’hui pour prendre des photos, je suis très occupé par mes livres. J’habite aujourd'hui dans une zone plus rurale, c'est un peu banal mais très joli, la lumière n'est pas particulièrement bonne cela dit... En revanche, je vais souvent me promener avec mon chien, donc c'est lui que je prends en photo.” Nés d’obstination et d’accumulation, ses projets photographiques saisissants - comme le battement de l’oeil - parlent avec pudeur de la complicité féminine, de conflagrations imprévisibles et de relations filiales en nous disant que la seule manière de prendre de bonnes photos c’est, selon ses mots de “perdre conscience de ce que l’on fait, de s’oublier”. En effet, la démarche artistique de Tom Wood (Photo ci-dessus Crédit@Tom Wood, Arles Juillet 2019 ©Dean Chalkey) dévoile inlassablement un réel illuminé se situant dans les pubs, les chantiers navals, les bus, les marchés dans des images crues portées par un réalisme absolu. Le regardeur appréciera ici, au sein de cette superbe exposition parisienne, cette étrange poésie aux airs de blues nous faisant voir le ferry traversant le fleuve Mersey ou la nature populaire désarticulée des êtres peuplant la ville autour d’une subtile sélection de tirages issus de ses séries iconiques : Looking for Love, Photieman, All Zones off Peak, Mères, filles, sœurs... On aime tout particulièrement cette gestuelle portée par son caractère vernaculaire et la mélodie tendre de cette oeuvre construite sur le vif. Mais également ce sens profond de l’intime émanant de ces “happy snaps” à travers lesquels affleure cette acuité livrant des similarités dessinant des liens de sang imprescriptibles !

ThomasRuff_Zwirner_B_118.jpg

A la galerie David Zwirner au 108, rue Vieille du Temple 75003 Paris /// Jusqu’au 9 mars 2021 /// Exposition : Tableaux chinois - Thomas Ruff

J'ai grandi en Forêt-Noire et le moyen le moins cher de prendre des photos était alors de faire des diapositives. Vous n’avez pas à payer pour une impression. Vous n’avez pas à le développer. Je n’ai donc pris que des diapositives et c'étaient principalement des paysages - de la Forêt-Noire ou des vacances lorsque j'allais en Italie ou en Grèce ou en Espagne avec mes amis. Je connaissais National Geographic et tous ces magazines photo, et mes photographies étaient plus ou moins des imitations. J’ai envoyé une boîte avec ce que je pensais à l'époque être mes 20 plus belles photographies à l'Académie d'Art et, oui, Bernd Becher m'a accepté…” a-t-il confié un jour. Décontextualisant les procédés de création d’image, ses oeuvres nous parlent d’équivoque mais aussi d’emprunt et de réduction de l’image. Elles se fondent sur une accumulation des strates et une dissolution des formes qui viennent confirmer que l’artiste part de l'idée qu'une photographie ne peut en définitive rien révéler de la personnalité, que la photographie ne fait que reproduire la surface des choses sans jamais pouvoir en saisir le contenu. En. effet, la démarche artistique de Thomas Ruff (Photo ci-dessus Crédit@© Thomas Ruff/VG Bild Kunst, Bonn/Artists Rights Society (ARS), New York Courtesy the artist and David Zwirner Photo by Juergen Staack) exprime - via une recherche personnelle autour de la “grammaire de la photographie” - un besoin d’illusion analogique et numérique tout en remettant en question l’essence du médium comme moyen d’expérience visuelle. Le regardeur appréciera ici la dizaine de clichés saisissants au coeur de cette exposition parisienne immanquable - dont le titre rend hommage directement au peintre Islando-français Erró - et qui soulève de manière sous-jacente la question cruciale de la dichotomie au sein d’une seule et même image. Il se confrontera ensuite à une exploration approfondie menée par le photographe depuis plusieurs décennies sur les divers genres photographiques. On aime tout particulièrement cette gestuelle cultivant une véritable “fusion visuelle” née à partir d’un riche matériel iconographique révélant des personnalités et de sites de la Chine communiste sous l’ère de Mao. Dans une hétérogénéité des sujets apte à témoigner de la capacité mimétique sidérante du médium !

_SA_7025.jpg

Guy de Malherbe

Comme toujours le point de départ dans ma peinture est quelque chose de l’ordre du sensoriel et de l’ordre de l’intuition. Cela fait très longtemps que je constate que les restes dans l’assiette ont quelque chose d’intrigant, quelque chose de beau et que j’ai envie de les peindre…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “J’ai fait un voyage en Chine en 2012, un voyage court, mais il y a une passerelle avec la culture chinoise que j’ai ressentie aussitôt, c’est celle des pierres, la présence de rochers et des pierres.” Avant de poursuivre ainsi : “Dans l’histoire de l’art, on a considéré à un moment donné que la peinture, on en avait fait le tour, qu’on savait ce que c’était, etc. En fait, même quand je suis dans le paysage avec mon petit chevalet, mon petit tableau, mes affaires de peinture, et que je fais un paysage en regardant ce que je peins et en tentant de saisir ce que je vois, ça reste une entreprise vertigineuse.” Nous rappelant que ce sont les vestiges qui permettent de raconter l’histoire humaine, ses oeuvres saisissantes offrent des énigmes et des altérations subtiles en évoquant le passage du temps via des changements lumineux troublants. Elles nous disent une forme d’affranchissement par rapport à l’limitation du réel qui livrent une dimension onirique puissante indépendamment du langage des mots. En effet, la démarche artistique de Guy de Malherbe (Photo ci-dessus Crédit@Illés Sarkantyu ) s’empare de reliefs comme de chaos minéraux où se mêlent parfois des corps ou des fragments de corps. Le regardeur appréciera ces toiles nous plongeant dans des insularité singulières, des paysages oxydés et un rayonnement des rocs dans une logique de resserrements et d’émiettements de la palette de l’artiste qui nous convie à de délicieuses transitions visuelles. Mais aussi ces travaux contrevenant à la tradition où se confrontent les remous et les accidents de terrain. On aime tout particulièrement cette gestuelle - contenant le récit - qui s’empare de matières récalcitrantes et traitant de la finitude des êtres autant que du chaos au rivage. Et où se profile l’acte d’enrochement dans un monde tabulaire nouveau fait de ciels souverains et de sols diablement irisés !

E008162_348866.4500xmax.jpg

A la galerie PERROTIN au 76, rue de Turenne 75003 Paris /// Jusqu’au 30 janvier 2021 /// Exposition : Entracte - Johan Creten

L’histoire est extrêmement importante en ce qu’elle nous guide vers le futur. Je ne crois pas à la coupure, je crois au contraire à la filiation. Je ne crois pas à la tabula rasa, je crois à la chaîne dans sa continuité. Je pense néanmoins que lorsque l’on regarde mes œuvres, on distingue une actualité. Elles ne pourraient pas avoir été faites hier, elle regardent vers l’avenir mais portent en elles nos racines...” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Il faut tourner autour de mes œuvres pour les saisir, pour les comprendre il faut les toucher. Il faut toujours les toucher pour se rendre compte que tactilement elles disent complètement autre chose que ce que l’on pouvait imaginer à l’origine.” Avant de poursuivre ainsi : “La céramique est une cuisine, il faut en faire quelque chose. C’est excitant de pouvoir parler d’homosexualité, de racisme ou d’interdit social, de la montée de l’extrême droite à travers ce médium…” Ses oeuvres nous disent que sous le lubrifiant de la beauté et la matière déroutante de la céramique se trouve un univers d’histoires, de thèmes politiques et sociaux et que la céramique traite du monde. Elles nous rappellent que l’artiste à fait siens les tabous et les interdits liés à la terre. En effet, la démarche artistique de Johan Creten ( Phopo ci-dessus Crédit@GerritSchreurs&JohanCretenStudio) évoque la liberté et l’idée d’une acceptation de l’histoire tout en soulignant que l’objet d’art a un pouvoir sur le spectateur comme peut l’avoir un objet « possédé ». Le regardeur appréciera ici au coeur de cette exposition magistrale ces pièces saisissantes échappant aux catégories pour mieux exprimer ce souhait de contester cette règle qui voudrait que l’oeuvre soit compréhensible en une seule image. On aime tout particulièrement cette gestuelle confrontant entre elles des pièces délibérément sans genre pour changer librement de statut et liées aux concepts de fortune, de chance, de destin ou encore de prédestinées. Mais aussi, plus précisément, cette volonté personnelle de réaffirmer sans cesse une conscience humaniste apte à stimuler en permanence la tentation du toucher. Dans une transgression perçant les tréfonds et exaltant le sacré. Où le pêcheur devient pécheur dans une imperméabilité de la glaçure !

_DSC6439 3.jpg

Adrien Couvrat

J’essaie de combiner peinture et médias numériques en créant un dialogue entre les deux tout en conservant une cohérence. J’opère un déplacement de la peinture vers une forme d’abstraction audiovisuelle et numérique. J’étudie les codes des langages picturaux et musicaux en tentant de mettre à jour leurs points de convergence sensible. Pour ce faire, je crée des programmes qui agissent en temps réel et génèrent à l’infini des nouvelles compositions…” a-t-il expliqué en 2011. Et d’ajouter ensuite ceci : “Ce qui m'intéresse chez les impressionnistes, en particulier Monet, c'est comment ils n'utilisaient qu'un seul médium, le médium de la peinture pour évoquer le mouvement dans leurs compositions. Ils utilisaient un médium simple, ne compliquant pas leur processus avec plusieurs, ce qui était le cas des artistes cinétiques qui utilisaient plusieurs matériaux pour produire un mouvement optique dans l'art. Je suppose que la méthode la plus pure résonne avec le peintre en moi !” Et de poursuivre ainsi : “Je ne cherche pas à savoir comment mon travail me reflète, je regarde plutôt la façon dont il émerge de moi.” Construit sur l’étirement des images en ligne, ses oeuvres saisissantes nous parlent de l’achèvement du point de vue optique dans sa frontalité et sa planéité. Elles impliquent le mouvement des corps du spectateur avec la surface picturale dans des jeux de juxtapositions à mi-chemin entre le cheminement tourbillonnaire et le phénomène vibratoire aptes à livrer des ondulations souveraines. En effet, la démarche artistique d’Adrien Couvrat (Photo ci-dessus Crédit@DR) met en présence des forces conflictuelles via des protocoles précis - faits de brèches cadenassées - offrant des tonalités qui trouvent elles-mêmes écho dans l’architecture et la peinture selon une symbiose construite sur un clavier de couleurs, de vortex et de vibrations. Le regardeur attentif appréciera ces travaux subtils où nait la question de la respiration assujettie à celle de la parabole continue mais aussi ses stries labyrinthiques repoussant les limites de l’antinomie. On aime cette gestuelle où les images de synthèse animées - prennent rapidement une dimension sculpturale - et nous plongent dans une danse rétinienne enivrante dans laquelle s’opère une transformation ultime du rapport à l’espace. En nous confrontant à cette pensée glaçante ouverte sur le champs de la synesthésie qui nous confirme bien que si nous regardons dans un abîme, l’abîme regarde aussi en nous !

0.BUBLEX_Portrait 1.jpeg

A la Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois aux 33 & 36, rue de Seine 75006 Paris /// Jusqu’au 30 janvier 2021 /// Alain Bublex au sein des expositions collectives La Promenade et Paris Photo@Home

Pour la grande majorité d’entre nous, le passé n’existe qu’en ce qu’il est utilisable au présent. Sinon, on l’oublie. L’histoire, dans son usage courant, n’est ni une science exacte, ni une somme d’événements. C’est une interprétation provisoire, écrite au présent ; c’est un tri dans les événements que l’on organise et réorganise constamment pour pratiquer le monde dans lequel on vit. Il arrive même qu’on invente ces événements. On transforme l’histoire au fur et à mesure que le monde se transforme…” a-t-il expliqué il y a quelques temps de cela. Et d’ajouter ensuite ceci : “Ce qu’on appelle le futur, c’est l’infinité des possibles imaginés que l’on peut activer ou non, qui deviendront ou non du présent. Le futur, ce n’est pas ce qui sera, c’est ce qui pourrait être, et c’est à nous de le faire. Le réel de demain est imprévisible. Il ne peut pas être deviné, il doit être construit”. Avant de poursuivre ainsi : “J’ai entendu parler pour la première fois du design quand j’étais à l’École des beaux-arts. Je me suis aperçu que les objets véhiculaient des valeurs d’usage mais aussi de sens. Qu’une table pouvait avoir la même portée qu’un tableau. Comme on ne s’intéressait pas trop aux tables mais surtout aux tableaux, j’ai quitté les Beaux-Arts assez rapidement”. Nous disant que derrière chaque objet de la production humaine se trouve un projet, ses oeuvres nous parlent de la fabrication de choses utiles et de gigantesques fictions ancrées dans le réel. Elles prennent corps grâce à une abondante iconographie en soulevant des réflexions sur la ville et les grands espaces. En effet, la démarche artistique d’Alain Bublex (Photo ci-dessus Crédit@DR) réunit des réalités hétérogènes en un tout cohérent dans des états éphémères et des moments de métamorphoses. Le regardeur appréciera ici - au sein de ces deux expositions incontournables - ces travaux saisissants où l’artiste intervient dans le paysage, se réappropriant une tradition artistique d’acteur de la transformation du monde à l’opposé d’un regard objectif. Il fera face  à l’hypnotisant Glooscap - ville fictive de la côte est canadienne - jusqu’aux « American landscapes » tirés du film « First Blood » et redessinés en images vectorielles, inventant sans cesse de nouvelles évidences au sein de notre quotidien. On aime cette gestuelle alimentée par de très nombreuses interventions en extérieur exprimant une fascination sans limites de la part de l’artiste pour les voyages et la route !

GL_17.jpg

A la galerie Anthologie au 92, rue de Grenelle 75007 Paris /// Jusqu’au 9 janvier 2021 /// Exposition : L’état de nature - Guillaume Lebelle

Je ne convoque pas les souvenirs pour les peindre mais ils me reviennent à la fin du tableau en boomerang…” a-t-il expliqué pudiquement un jour. Portées par le hasard, le silence et la nécessité, ses oeuvres indomptées trouvent leur formulation dans un registre fait d’accumulations, de strates et de saturations où le pouvoir de penser vient se fondre dans celui de l’action. Elles dévoilent, dans un autre temps, une rage expressive dans lequel l’artiste maîtrise les arrêts et conserve les flux pour mieux exprimer une transition qui se renouvelle sans cesse. En effet, la démarche artistique de Guillaume Lebelle (Photo ci-dessus Crédit@DR) s’ancre toujours dans des chemins troubles où la perplexité - née d’éléments opulents disparates - est continuellement à l’oeuvre. Dans un point de vue distancé, elle fait réagir des éléments composites via des entités hétéroclites aptes à libérer des charges et des intensités nerveuses sur le vif. Le regardeur appréciera ici - au coeur de cette sublime exposition parisienne immanquable - ces travaux saisissants faisant surgir des relations filiales et tumultueuses dans la révélation d’érosions de formes, d’îlots salutaires ou encore de fragments émergents communiant avec l’impermanence des choses et un état de nature exacerbé. Reposant sur deux grands formats sur papier et une sélection d'une trentaine de petits formats aux techniques mixtes, peinture, gouache, crayon, fusain, lavis... cette monstration subtile semble portée par une réjouissante ascèse ne disant pas délibérément complètement son nom. On aime tout particulièrement cette gestuelle entière où l’oeuvre devient, dans une porosité du regard, une caisse de résonance emprunte de voracité et d’imprévisible inscrite dans une détermination à la limite de la résistance de la matière. Mais aussi nous disant en filigrane qu’il est impossible de revenir en arrière dans cette exaltation contagieuse trouvant place dans une action volontaire et réfléchie extrêmement fertile. Et que ressentir, dans cette excitation et inquiétude mêlée, c’est très probablement viser juste !

DSC_6277.jpg

A la galerie Martine Aboucaya au 5, Rue Sainte-Anastase 75003 Paris /// Initialement jusqu’au 19 décembre 2020 mais éventuellement prolongée en janvier 2021 /// Exposition : About itself - Robert Barry

Le « minimal art » est un art complexe, plein d’intensité. Contrairement à son appellation, c’est un art très compliqué à produire, à exposer, à installer en fonction de la manière dont il va avoir un effet sur son environnement. Une oeuvre d’art n’est pas un objet isolé du monde. Elle est une sorte de début à une action, à une activité qui se poursuit à partir de là et autour de laquelle se développe donc une énergie. L’art est dynamique, donc il change. Le sens des œuvres se modifie puisque le regard évolue toujours et perçoit les choses différemment…” a-t-il expliqué il y a quelques années de cela. Et d’ajouter ceci : “Les mots n’existent pas dans le monde indépendamment de nous. Nous fabriquons les mots, nous les générons, ils émanent de nous et c’est ce que j’aime avec eux. D’autre part, lorsqu’on applique un mot sur un mur, cela crée immédiatement un impact important. On y est relié d’une certaine façon. Le mot fait partie d’une idée, d’une histoire et lorsqu’on le sort de son contexte, il devient un objet, et même un objet dynamique. Je n’applique pas seulement les mots sur un mur, je dois faire en sorte qu’ils deviennent réellement quelque chose. Et pour cela ils doivent avoir une certaine dimension sur le mur, un mur que je choisis avec beaucoup d’attention, dont je détermine les angles, les couleurs, etc…Tout cela procède de choix artistiques destinés à présenter le mot d’une manière particulière pour affecter son sens. Je tente de les utiliser d’une façon différente de ce qui a pu être fait avec eux auparavant. Les possibilités expressives du mot sont infinies aussi bien dans l’histoire que dans le regard qu’on leur porte car ils peuvent être très beaux à regarder tout simplement.” Avant de poursuivre ainsi : “La notion de temps est extrêmement importante dans mon travail. La plupart de mes pièces traitent du temps et j’essaye d’utiliser cette notion de plusieurs manières. Il y a par exemple le temps des mots et le temps de l’image, comme dans Storm par exemple, avec la durée d’une tempête et l’apparition des mots qui viennent et s’en vont, soit deux façons de traiter le temps dans cette vidéo. De toute façon, j’aime mettre les mots dans des situations incongrues, surprenantes, qui peuvent donner une autre lecture de ces mots. Le langage est infini”. Centrées sur la mécanique des mots, sur les images qu’ils génèrent et les rapports complexes qu’ils entretiennent avec une réalité empirique, ses oeuvres saisissantes nous disent que l’Oeuvre dans sa globalité “fait espace” dans d’une nouvelle définition de l’appréhension de l’art et des idées. En effet, la démarche artistique de Robert Barry (Photo ci-dessus Crédit@DR) rejette en somme l’idée que l’art doit être nécessairement quelque chose à regarder. Elle utilise les mots, hors du formalisme visuel, pour leurs propriétés conceptuelles, universelles et impalpables. Le regardeur appréciera ici notamment de subtiles polyptyques composés de petits formats, de peintures franches où les mots commencent à disparaître, à se cacher, à se révéler et se répondre, le tout dans des couleurs d'une troublante sensualité. Mais surtout ces deux wire sculptures, conçues en 1968 qui ponctuent les salles et quelques dessins des années 70 non loin d’oeuvres murales affirmant l'obsession de l'artiste pour les mots et leurs sens. On aime particulièrement cette gestuelle fondée sur l’expérimentation constante via une variété de matériaux souvent intangibles : magnétisme, pensées, télépathie, ultra sons ou encore gaz inertes !

C17AD92B-43EF-4656-9553-E63DED0632A6.JPG

Wang Yu

Je mets à nu les corps humains, et également les comportements humains dans leurs contradictions les plus élémentaires : pudeur - luxure, douceur - violence, courage - crainte ... Mes œuvres ressemblent souvent à un univers fantasmé, mais dans lequel j’inscris notre humanité, celle de « L’Homme originel » : une créature sublime confrontée à son extrême sensibilité et vulnérabilité…” explique-t-elle. Et d’ajouter ensuite ceci : “L’humanité terrestre est au cœur même de mon travail. Nous vivons dans une chair mystérieuse, c’est une « matière» à la fois sublime et fragile, sensuelle et pensive. On conduit nos vies en tentant de combler ses besoins. C’est ce mystère de la vie que j’ai voulu incarner, en cherchant à inventer une matière qui donne l’illusion d’une « chair palpable vivante sur toile ». Cette recherche a commencé en 2007 et a abouti en 2014 avec le soutien d’un grand fabricant de peintures américain Golden qui a créé pour moi le « skin tone medium » sur mesure. Sur la toile vierge, le corps humain apparaît ainsi recouvert d’une peau en relief dotée d’une texture translucide et satinée brillante.” Avant de poursuivre avec ces mots : “Mes sources d’inspiration viennent justement de notre situation sur terre, personnelle et collective. Certains événements m’ayant marquée “transfigurent” dans une œuvre souvent quelque temps après. Par exemple, l’œuvre « Ange de la place Tahrir » m’est venue après le Printemps Arabe. Elle représente un corps s’apparentant à Jésus avec des mains fondues sur lui, inspirée par une photo de reportage dans le quotidien Libération, montrant un manifestant blessé porté par la foule. Après le mouvement des gilets jaunes, l’œuvre «Vénus de la liberté » évoque « La liberté guidant le peuple » avec un bras manquant”. Développant en profondeur une réflexion sur la nature humaine, ses oeuvres subtiles nous parlent de la question du double en exprimant des souffrances intériorisées dans un dépassement de la chair par l’esprit. En effet, la démarche artistique de Wang Yu (Photo ci-dessus Crédit@Cécilia Andrews) trouve toute son expression dans une transparence quasi immatérielle et dans une déstabilisation de la convention picturale. Le regardeur appréciera ici ces travaux saisissants dans des compostions brutes à la constance binaire où les personnages restent souvent à demi révélés. On aime tout particulièrement cette gestuelle tournée vers des êtres qui nous interrogent sur leur existence et sur la notre. Mais surtout ces deux oeuvres-là : “Casse-tête » qui évoque le profil fragmenté du chef de l’Etat dans un cadre doré brisé non loin de “Bouée jaune » rappelant le dos du géant de Goya assis sur une bouée jaune cependant que le tableau « Bouée rouge », lui vient représenter un bébé seul sur une bouée en écho aux drames des migrants en mer Méditerranée. Plus mystérieusement encore, on reste happés par cette grande toile de 2015 - devenue prémonitoire avec la pandémie actuelle -  baptisée “Le radeau de la lune » et représentant une lune fracassée sur l’eau et sur laquelle on voit un corps jaune évoquant un chinois seul, méditant, replié sur lui-même, non loin de corps d’occidentaux criant en masse à proximité d’un autre corps noir et seul en tête du bateau. En guise de mot de la fin, l’artiste nous confiera pudiquement ceci : “En 2001, quittant un poste d’enseignante des beaux arts de Shanghai, je me suis installée à Paris. Fuyant les habitudes et contraintes liées à mes origines, étant excitée par les univers nouveaux, je respire ! Je suis devenue citoyenne de la terre”.


Jean-Marc Bustamante-photo Olivier Blanckart.jpg

A la galerie Thaddaeus Ropac au 7, rue Debelleyme 75003 Paris /// Jusqu’au 16 janvier 2021 /// Exposition : Grande Vacance - Jean-Marc Bustamante

J’ai eu la chance d'apprendre l'histoire de la photographie, d'être l'assistant de William Klein, et j'ai vite compris que c'était un grand médium. En 1978, il y avait d'un côté le reportage, dans la tradition de Cartier-Bresson, et de l'autre des artistes conceptuels, souvent proches du land art , qui utilisaient des petites photos grisâtres, en noir et blanc et peu soignées, pour conserver une trace de leurs oeuvres. Le milieu de l'art contemporain ne connaissait rien de la photographie. C'est la raison pour laquelle il n'y avait pas, à la différence des Etats-Unis, une tradition documentaire dans la lignée de Walker Evans. La situation s'est améliorée et des photographes en bénéficient - même si je me méfie des jeunes artistes qui "bricolent" en masse la photo…” a-t-il expliqué il y a quelques années déjà. Et d’ajouter ceci : “Je me suis senti à l'étroit entre le ghetto de la "photo-photo" et le champ de l'art conceptuel. J'ai quitté mon milieu naturel, qui m'en a beaucoup voulu, sans pour autant me rapprocher du second. Je voulais faire de la photo qui ne rende pas compte de l'art, mais qui soit de l'art en tant que tel. Ce n'était pas évident à expliquer. Il y avait quelques galeries comme Zabriskie, quelques collectionneurs... Je suis allé voir le galeriste Yvon Lambert avec mes premiers Tableaux. Il aimait bien mon travail, mais disait que je me trouvais entre les photographes traditionnels et les artistes qui intervenaient sur l'image et qu'il présentait.” Avant de de poursuivre ainsi : “Ces notions ont éclaté, mais la France était alors dogmatique. Ma position était bizarre : celle d'un photographe proche du peintre de chevalet.” Nous plongeant dans une perception mentale saisissante du monde, ses oeuvres se caractérisent par un échange constant entre la sculpture, la peinture et la photographie. Elles nous disent également qu’il faut être plus fort que le sujet lui-même pour qu’il ait une importance relative. En effet, la démarche artistique de Jean-Marc Bustamante (Photo ci-dessous Crédit@OlivierBlanckart) nous parle de travaux que l’artiste souhaite voir regarder comme des objets et pas seulement comme des images dans une approche de réification de l’objet contestant l’amertume et le ressentiment. Mais aussi en repoussant la logique de justification constante d’une oeuvre pour lui préférer la poésie toujours, l’ornement parfois et la couleur absolument. Le regardeur appréciera ici - au coeur de cette exposition majeure du Marais - ces toiles sans concession défendant l’émotion et exprimant une expérience pour le regard dans un désir de fraîcheur et de légèreté données par la transparence fluide de l’encre, la réflexion et la profondeur de champ. On aime tout particulièrement cette gestuelle totale - marquée par l’instantanéité et la dynamique du geste - proclamant qu’il n’y a pas l’obligation d’un sujet dans la peinture de l’artiste mais plutôt cette envie insatiable de proposer des bruissements et des frottements via cette nouvelle série d'une vingtaine de tableaux à travers laquelle l'artiste a expérimenté un nouveau type de support en gesso : un enduit de plâtre et de sable qui sert habituellement à préparer les murs avant la réalisation d'une fresque et permettant de réduire l'absorption de la peinture par la surface. On est vite saisi par cette réduction des moyens picturaux autorisant chaque toile à trouver son autonomie et sa vibration en faisant se chevaucher les couleurs loin de toute quête d’instruction dans un rapport directe et sensible. Nous évoquant parfois, dans un lointain, encore ces intrigants espaces périurbains sans qualités, ces peintures sur plexiglas, ces reliefs nés dans des zones interstitielles qui laissent un vide entre le support et le mur sur lequel elles sont accrochées !

Aya Kawato - Photo pour Alluring.jpg

A la Pierre-Yves Caër Gallery au 7, Rue Notre Dame de Nazareth, 75003 Paris /// Du 20 décembre 2020 au 27 février 2021 /// Exposition : “Tell me what you see” - Aya Kawato

Dans cette tradition textile, développée sur l’île d’Oshima, j’ai découvert une philosophie très proche de celle que j’avais faite mienne dans mes créations artistiques : une philosophie qui non seulement assume les inévitables imperfections nées d’un travail manuel mais y trouve même une beauté qui dépasse les efforts de contrôle…” a-t-elle confié récemment. Avant d’ajouter ceci : “A travers mes tissages de peinture, je sens que j’apprends à tisser des éléments disparates pour créer quelque chose de nouveau. C’est précisément à travers ce processus, qui implique le respect et la compréhension des éléments incorporés, que quelque chose de merveilleusement unique et inattendu peut émerger. Nous avons souvent le sentiment d’être piégé(e) dans notre vie quotidienne. Les nouvelles rencontres sont pourtant essentielles pour approfondir la compréhension mutuelle et révéler une beauté nouvelle, des valeurs nouvelles.” Avant de poursuivre ainsi : “Je développe depuis 2016 une série et bien que le fondement initial de ma peinture ait été le tissage lui-même, cette série s’est développée en incorporant de multiples influences culturelles et personnelles dans des proportions que je n’avais pas imaginées initialement”. Produisant des effets rétiniens saisissants, ses oeuvres hypnotiques jouent sur une force de la répétition dévoilant de multiples interstices. Toujours en lien avec l’aléatoire, elles recréent des treillages complexes en référant à des reverches dans le champ des neurosciences. En effet, la démarche artistique de Aya Kawato (Photo ci-dessus Crédit@Longcham /LaMaisonGinza) nous parle de la connaissance du geste et de comment celui-ci s’inscrit dans le contexte plus large de l’histoire de l’art. Mais aussi de cette quête consistant à exprimer une beauté qui émerge d’un espace qui échappe au contrôle de l’homme : Cette beauté est révélée à travers de toutes petites imperfections liées au geste manuel ou au matériau, qui crée des différences de taille de la grille à peine perceptibles, des distorsions des bords, des éléments de flou, des changements de nuances chromatiques et des variations dans la façon dont les couches de peinture s’accumulent à la surface de l’œuvre. Le regardeur appréciera ici ces récents travaux subtils utilisant une structure de motifs répétitifs et des variations de couleurs pour mettre en évidence le décalage qu’il peut y avoir entre la réalité objective et la perception qu’un spectateur en a. On aime cette gestuelle nous permettant de faire l’expérience des mécanismes qu’il y a derrière la vision et la connaissance. Mais aussi cette approche personnelle étudiant non seulement les schémas utilisés par le cerveau pour analyser le monde perçu mais aussi les mécanismes internes de pensées, de rêves et d’expériences mentales dans le but de les mettre en images. Ces mêmes images sont alors recomposées par un processus nommé « Visual Image Reconstruction » !


Capture d’écran 2020-12-10 à 11.48.26.png

A la galerie Karsten Greve au 5, Rue Debelleyme, 75003 Paris /// Jusqu’au 16 janvier 2021 /// Exposition : A Stranger’s Hand - Gideon Rubin

Je peins de façon obsessionnelle, cela aide à relacher la pression. Tout comme mes séances de boxe hebdomadaires. Dans mon studio, certains jours, lorsque je peins, et que tout va bien, j’aime faire une sieste. Une courte pause au milieu de la journée, qui ne dure parfois pas plus d’une vingtaine de minutes. Lorsque je me réveille, pendant environ cinq minutes, je sais très exactement ou je suis, et ce que je dois faire. Puis l’état de confusion permanente qui est le mien revient…” a-t-il expliqué il récemment. Et d’ajouter ensuite ceci : “Jamais je n’avais pensé que je serais artiste. Dans l’atelier resté intact de mon grand-père au sein de sa maison-musée, la seule chose qui m’attirait était sa palette couverte de peinture sèche, la sensation que j’avais en passant la main dessus. J’ai découvert que j’étais davantage un peintre immédiat, rapide. Je peignais ces vieux jouets et, parfois, le temps en avait effacé les yeux, la bouche, il leur manquait les mains” Avant de poursuivre ainsi : “Mais comme je suis d’abord un portraitiste, petit à petit, je suis revenu vers les gens, mes amis, ma fiancée. Et je les ai peints comme les poupées, plus vite, sans mettre les yeux, en esquissant juste la silhouette, en les glissant dans une ombre”. Illustrant souvent des scènes marquées par la solitude de l’enfance et révélant un cheminement tourné sur la découpe de la toile en différentes parties, ses oeuvres troublantes nous disent que l’artiste aime les coups de pinceaux, les tons sablés de couleur, la manière dont les teintes se côtoient. A mi chemin entre l’art abstrait et le figuratif, elles livrent un processus de création dans lequel les arrières-plans, tout comme les visages et détails, s’effacent. En effet, la démarche artistique de Gideon Rubin (Photo ci-dessus Crédit@RichardIvey) témoigne d’un usage des tonalités via une modification graduelle de la couleur dans une logique confirmant que parfois créer c’est déconstruite et que déconstruite c’est créer. Le regardeur appréciera ici au sein de cette sublime exposition, cette trentaine d’huiles sur toile de lin saisissantes au sein desquelles, entre effacement et recomposition, le lien entre la couleur et son support se fait primordial. On aime tout particulièrement cette gestuelle où affleure le non-finito accompagnant des état de passage faisant dire à l’artiste, que l’absence de visage est devenue “une porte, une manière de ne pas imposer de limites”. Et où cette réalité dépouillée oblige le spectateur à s’attarder sur l’oeuvre et sur des personnages prenant corps comme s’il faisait face à de vieux albums oubliés ou des revues délaissées !

DSC04991.jpeg

A la galerie Chantal Crousel au 10, Rue Charlot 75003 Paris /// Jusqu’au 19 décembre 2020 /// Exposition : Implicites & Objets - Jean-Luc Moulène

La poésie est un acte. Dans quelles mesures pouvons-nous imaginer une poésie qui ne soit pas soutenue par le langage ? C’est ce que je tente dans mon travail mais je ne dirais pas pour autant officiellement que ce sont des poèmes. Je maintiens le fait que ce sont des œuvres d’art. Mais ce sont des actes, comme les poèmes…” a-t-il confié il y a quelque temps déjà. Et d’ajouter ensuite ceci : “En Occident, le saut, la grâce et l’élévation sont très présents dans notre vocabulaire visuel et textuel parce que les Dieux sont là-haut. Mais dans d’autres cultures, comme au Mexique ou au Japon, beaucoup de formes se tournent vers le sol. Dans la danse japonaise par exemple, les sauts n’existent pas parce que les dieux sont au sol. Cette idée d’élévation comporte une idée de hiérarchie et de transcendance. Il faut donc absolument pour moi réintroduire une balance en regardant le sol. C’est peut-être aussi un plaisir pour moi de regarder ce qui se passe par terre. Les champignons, le goudron... Ça coule et ça moisit. La gravité est là.” Avant de poursuivre ainsi : “Le moment où l’œuvre existe comme œuvre, c’est le moment où l’artiste s’en sépare. Donc cela passe obligatoirement par un choix. Même si le travail à l’atelier connaît des moments de doutes, le moment de la mise en exposition est une affirmation. Au moment du choix, on choisit donc une axiomatique de l’algorithme et c’est ce choix-là qui arrête la pièce et qui fait qu’elle s’échappe. Je ne montre pas l’algorithme mais je ne le cache pas non plus, j’en choisis une occurrence”. Trouvant place entre l’évidence absurde, l’horrible révélation et l’éclat de rire, ses oeuvres se refusent à une explication raisonnée en endossant un caractère parfois aléatoire saisissant. En effet, la démarche artistique de Jean-Luc Moulène (Photo ci-dessus Crédit@PaulineAssathiany) dévoile un travail méticuleux de déplacements, d’erreurs et de fuites où les indices d’interprétations se font rares tout en révélant de manière sous-jacente l’existence de normes sociales dans des équilibres fragiles et des zones d’ombres insaisissables. Le regardeur appréciera ici au coeur de cette exposition immanquable cet ensemble de sculptures en béton produites manuellement ainsi que ce totem en bronze sur socle haut baptisé Pyramid’os nous renvoyant sur des détails suggestifs et son lot d’énigmes. Mais aussi cette pièce intrigante, en position d’observateur, répondant au nom de Yeux Bleus et accompagnant cette gestuelle de l’artiste rappelant que L'abstraction est avant tout un protocole évolutif “qui permet à la pensée de voir l'image d'elle-même du point de vue d'une matière qui la traque implacablement”. On aime tout particulièrement cette approche questionnant l’espace commun dans une conversation engagée entre les objets trouvant leur place entre le chaos des désirs individuels, la contraintes politiques et l’ordre de la convention !

IMG_0285.jpeg

A la galerie Lévy Gorvy au 4, Passage Ste Avoye, 75003 Paris /// Jusqu’au 23 janvier 2021 /// Exposition : Lichtbogen - Günther Uecker

Le blanc constitue l’extrémité de la couleur, l’apogée de la lumière, le triomphe sur l’obscurité. Le blanc peut être perçu comme une prière, l’articulation d’une expérience spirituelle… » a-t-il expliqué il y a quelque temps de cela. Et d’ajouter ensuite ceci : “Le tableau commence là où les mots s’arrêtent.” Avant de poursuivre ainsi : “Ce qui est important pour moi, c'est la variabilité, capable de nous révéler la beauté du mouvement”. Révélant des courbes lentes développant une sensation de fluidité apaisante, ses oeuvres semblent être des tentatives de surmonter des afflictions dans une transcendance spirituelle saisissante. Minimalistes et monumentales, elles dévoilent la quête d’une simplicité formelle dans la répétition incessante d’actions simples qui exhortent le spectateur à explorer différemment la matière dans une interprétation nouvelle. En effet la démarche artistique de Günther Uecker (Photo ci-dessus Crédit@DR) trouve son expression au-delà des mots. Le regardeur appréciera ici ces travaux troublants réalisés à la suite de la visite d’une île dans le détroit d’Ormuz – reliant le golfe Persique au golfe d’Oman – et imprégnant ce corpus vibrant de toiles rayonnantes. Ils viennent cartographier “le monde en lui-même” dans une expérience en constante évolution et un développement s’apparentant à un corps-à-corps avec la peinture soutenu dans un “ici et maintenant” salvateur. On aime tout particulièrement cette gestuelle questionnant le processus visuel et le champs de l’oscillation dans une logique de l’interférence. Et cherchant à créer - dans une expérience concrète de l’oeuvre - sa propre méthode de vérification, dans le contexte de l’œuvre, “de façon à ce que rien n’existe avant et après celle-ci” dans une ouverture sensible à de nouveaux niveaux de perception et de conscience. Mais aussi l’innovation permanente de la méthodologie et de sa narration renvoyant régulièrement à cet échange de l’avant-garde avec un certain John Cage en 1959 qui validait la formule suivante : mettre en mouvement une œuvre et attendre que la réalité la complète !

_mg_7348.jpg

Cornelia Konrads

Je veux rompre avec la conviction qu’a l’homme de sa supériorité, la croyance selon laquelle il peut maîtriser la vie, la nature, le monde. Mon professeur, un vieux sculpteur dont j’ai été un temps l’assistante, me disait : L’art est ce qui demeure après que l’on a tout expliqué…” a-t-elle confié il y a quelque temps de cela. Et d’ajouter ensuite ceci : “Mon travail est souvent lié à la ruptures des choses, les incertitudes de la construction humaine et de la vie de l’homme, les limites que nous avons et le risque que ce que nous construisons ne soit pas aussi durable que nous pensons qu’il devrait être. Je peux compter sur le fait que tôt ou tard mes excursions m’amèneront à mon site : un endroit où seront condensées toutes mes pensées et mes impressions qui feront naître l’image de mon projet.” Avant de poursuivre ainsi : “La nature est toujours plus forte que nous, la végétation jaillit. Ce nous pensons solide et stable ne l’est pas autant que nous le croyons. Je veux que les visiteurs réfléchissent mais je ne veux pas leur dire ce qu’ils doivent penser ce n’est pas mon rôle. J’espère amener à faire comprendre que l’on devons être plus modestes face à la nature, la terre, notre vie sociale car dans nos cultures occidentales nous sommes très avides et nous croyons que nous pouvons tout faire, tout calculer, avoir tout sous notre contrôle et je crois que cette façon de penser ne va pas dans la bonne direction”. Créant des ponts entre des paysages extérieurs et des des scénarios intérieurs, ses oeuvres nous disent que durant ses prospections initiales, elle cherche l’odeur et le bruit du lieu autant que ses histoires et des souvenirs. Elles nous rappellent que ses promenades l’entrainent dans un dialogue étroit avec le lieu, reflétant tout le paysage, l’architecture, la végétation et l’histoire de la région environnante. En effet, la démarche artistique de Cornelia Konrads (Photo ci-dessus Crédit@EricSander) interpelle, interroge et questionne la nature dans des combinaisons nourries de fragments de minéraux et de végétaux, de formes, de matériaux, d’évènements et d’habitudes locales. Le regardeur appréciera ces travaux in situ en lévitation défiant les lois de la gravité et de la pesanteur dans lequels il devient co-créateur ou co- scénariste de l’histoire qu’ils racontent. On pense alors à ces deux statues d'Hippomène et d'Atalante jouant un match haletant au coeur d’une allée ombragé. On aime particulièrement cette gestuelle révélant des arches et des “passages” trouvant bonne place dans le massif grandiose de Sancy, au sein de la réserve d’Ibitipoca Lima Duare au Brésil ou encore le long du sentier aride de Blackfoot de Lincoln aux Etats-Unis !

JIM DINE PORTRAIT 2.jpg

A la galerie Templon au 30, rue Beaubourg 75003 Paris /// Jusqu’au 23 janvier 2021 /// Exposition : A Day Longer - Jim Dine

Curieusement, aujourd’hui que je suis devenu un vieux bonhomme, j’ai le sentiment qu’il n’y a pas de différence entre ma façon de faire des objets et ma façon actuelle de peindre. Je fais et refais sans cesse. Appelez ça une alchimie ! Il y a toujours eu une dimension physique dans mon travail, qu’il s’agisse en son temps de performances ou de mes travaux actuels, y compris dans mon œuvre poétique…” a-t-il expliqué récemment. Et d’ajouter ceci : “J’ai toujours été un artiste de l’intériorité. Quand Warhol, Oldenburg, Lichtenstein peignaient le monde extérieur, moi je peignais un monde intérieur, celui de mes émotions comme s’il s’agissait d’un portrait de moi-même. Les objets que j’utilise sont à la fois banals et personnels, poétiques et ironiques, reflétant mes propres sentiments sur la vie. Je fais de l’art ! J’aime faire des choses plus que jamais ! J’aime rassembler ce que je faisais, il y a soixante ans et ce que je découvre toujours et encore. Lorsque j’étais gamin, je ne voyais pas la différence entre un pinceau et un marteau. J’adorais entremêler des objets et des outils du quotidien. Je vivais cela de façon naturelle. Il n’y a pas de raison pour que j’y renonce aujourd’hui !”. Avant de poursuivre ainsi : “J’ai vieilli, j’ai changé, j’ai évolué comme tout être humain ! Duchamp ne me suffisait pas, l’expressionisme abstrait ne me suffisait pas ! Peindre seulement ne me suffisait pas ! J’ai ajouté des images et puis j’ai eu le sentiment d’avoir trop d’images. Alors, j’en ai enlevé… Tout cela n’est rien d’autre que ce que vous êtes quand vous vous réveillez le matin et que vous rêvez de nouvelles expériences. Quand vous peignez tous les jours, tout au long de l’année, alors le sujet est essentiellement celui du travail  Obsessionnelles et cathartiques, ses oeuvres étoffées de façon exponentielle puisent dans tous les moyens plastiques pour conjuguer brutalité tendre ainsi que les ordres de l’irrémédiable et de la réminiscence. En effet, la démarche artistique de Jim Dine (Photo ci-dessus Crédit@DR) ne se limite pas à celle des arts visuels car l’artiste-pionnier des happenings est également un poète ayant été marqué par l’univers de la performance, celui notamment de 1969 au Soho Arts Lab de Londres. Le regardeur appréciera ici notamment ces totems anthropomorphiques saisissants nimbés d’un sens de l’improvisation troublant mais aussi cette quinzaine d’autoportraits de taille réduite et saturés de couches de peinture. On aime tout particulièrement cette gestuelle nous faisant revenir régulièrement à l’esprit de l’intimiste série des “Me”. Tout en revoyant cette rencontre décisive avec le grand imprimeur Aldo Crommelynck durant l’année 1975 !

Portrait HD ph_F_Deval_16.jpg

Au CAPC 7, rue Ferrère, 33000 Bordeaux /// Jusqu’au 25 avril 2021 /// Exposition : Permanente - Caroline Achaintre sous le commissariat de Alice Motard

Je veux que mes objets aient une présence immédiate, et non pas qu’ils soient l’illustration d’une idée ou d’une référence. Je suis aussi très intéressée par l’anthropomorphisme et la co-existence de plusieurs états dans une œuvre d’art, comme une sorte de personnalité multiple. La fluidité me permet de créer cet entre-deux, cet état de tension !” a-t-elle expliqué il y a quelque temps de cela. Et d’ajouter ensuite ceci : “Mon intérêt pour l’étrange et le mystérieux m’a amenée très tôt à m’interroger sur la psychologie de personnalités magiques comme à m’intéresser à la figure du clown ; je peignais énormément de visages grimés. De fil en aiguille, je me suis concentrée sur la notion de masque, que l’on ne peut dissocier d’une évocation du primitivisme et de ses effets sur l’histoire de l’art. J’ai d’ailleurs passé beaucoup de temps dans des collections ethnologiques ; j’aime ces petits fragments exotiques venant de l’autre bout du monde.” Avant de poursuivre ainsi : “ll y a la façade de la surface et puis la question de qui se trouve derrière. Je suis intéressée par l’aspect psychologique de ce que vous voyez dans ces objets : ils ont des traits anthropomorphiques mais ils ne sont pas abstraits et pas encore figuratifs ; une série de couches de personnalités multiples…” Puisant leurs sources aussi bien dans la sculpture britannique d’après-guerre que dans l’expressionnisme allemand, la commedia dell’arte, les arts premiers ou encore les cultures urbaines, ses oeuvres tiennent tout autant de l’étalage marchand que du cabinet ethnographique, dans lesquelles de grandes « tapisseries » colorées dialoguent avec des céramiques anthropomorphiques, où visages amphibiens et masques fétichistes au carnavalesques se côtoient. En effet, la démarche artistique de Caroline Achaintre (Photo ci-dessus Crédit@Frédéric Deval) se nourrit de références contemporaines et populaires comme la science fiction, la scène heavy métal, les séries b ou les films d’horreur. Le regardeur appréciera ici à travers ces travaux saisissants cette liberté de la matière à l’oeuvre et cette sauvagerie fascinante dans des formes subtiles indomptables questionnant les fonctions d’usage et les rapports entre l’image et la matière. Mais aussi ces pièces, s’apparentant souvent à des leurres qui nous renvoient à l’animisme qui les entoure. On aime tout particulièrement cette gestuelle établie dans un registre mouvant faisant tantôt écho à un Mike Kelley tantôt à un Paul McCarthy dans un pêle-mêle exprimant le désir de l’artiste de cultiver un travail toujours vivant non statique. Mais aussi en mesure de traduire un sentiment anxiogène voire de peur dans les choses familières du quotidien !

Capture d’écran 2020-12-02 à 11.03.18.png

A la galerie Art : Concept au 4, Passage Sainte Avoye (entrée par le 8, rue Rambuteau) 75003 Paris /// Du 4 décembre 2020 au 30 janvier 2021 /// Exposition : L’oeil de la dorade - Jean-Luc Blanc

“La peinture c’est quelque chose qui fait le plein, j’ai l’impression, qui essaie de voir ce qu’il y a dans la profondeur, ce qui installe une relation illusionniste avec quelque chose qui me ferait face. Quant au dessin, c’est comme des traversées, plus des fusées, des correspondances, c’est quelque chose qui est dans une énergie sur la rapidité, des connexions c’est peut-être comme la pensée en train de se mettre en place. La peinture, elle, pose l’endroit où cela se passe et peut-être qu’elle est davantage un lieu de rencontres alors que le dessin est plutôt un endroit où l’on nous propose des issues…” a-t-il déclaré un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je n’ai jamais pris une image que j’aurais créée, j’ai toujours eu la volonté de me greffer sur le désir d’un autre que je connais ou ne connais pas et je trouve que cela amplifie pas mal. Je ne saurais pas par quel bout commencer ou alors je saurais trop bien par quel bout commencer. Si je prends quelque chose qui a été porté par un intérêt qui n’est pas le mien j’y entrevois beaucoup plus de possibilités et de libertés”. Avant de poursuivre ainsi : “Evoquer un moment qui n’est plus. Peut-être est-ce là ce qui est contenu dans mon travail. C’est essayer d’énoncer une présence qui est à la surface et qui se donne à voir. Un monde ou un moment dans lequel j’émets des signes”. Dévoilant progressivement des éléments épars d’une fiction, ses oeuvres s’articulent selon un protocole immuable dans lequel “le secret” se révèle derrière chaque image. Dans des chassés-croisés du langage et de l’esprit - jouant sur les expressions qui relient généralement les informations entre elles - ces dernières évoquent des affections asymétriques dans des accents ambigus s’appuyant sur une logique de défilement continu de la pensée. En effet la démarche artistique de Jean-Luc Blanc (Photo ci-dessus Crédit@OscarChan-Yik-Long) s’empare de la notion de disjonction dans une dislocation des différents protoagonistes rappelant que la finitude de l’oeuvre n’est jamais véritablement déterminée. Le regardeur appréciera ici ces travaux saisissants faits de visages et de saynètes construites comme de petites dramaturgies. Mais aussi ces subtiles associations d’idées et ces métaphores iconographiques dans des questionnements multiples faisant écho à cette sentence d’un certain James Graham Ballard : Ce que vous voyez dépend de ce que vous cherchez. On aime particulièrement ce cheminement et cette gestuelle marqués par ce vaste champ des possibles aptes à isoler et convoquer d’hypothétiques référents toujours garantis sans réponse. Nous rappelant à chaque instant le principe suivant : L’artiste considère chaque élément du corps comme une partie de l’énoncé de la personne toute entière sachant que la personne toute entière aussi contient la totalité extérieure de sa réalité même !


-

CU 3.jpg

A Lafayette Anticipations - Fondation d’entreprise Galeries Lafayette - au 9, rue du Plâtre 75004 Paris /// Jusqu’au 28 février 2021 /// Exposition : Wu Tsang - visionary company

En fait, je me sens influencée par deux traditions de réalisation au sens large : le documentaire et le narratif (fiction). Dans le documentaire, on cherche à capturer la « réalité » et à découvrir l’histoire à travers ce processus – par exemple, on façonne l’histoire après, au moment du montage –, tandis qu’avec la réalisation narrative, on commence généralement par une histoire, avec un scénario, puis on tourne en respectant un plan pour « créer » une réalité…” a-t-elle expliqué dernièrement. Avant d’ajouter ceci : “Au fil du temps, j’ai appris à travailler entre ces deux approches. Il y a habituellement un scénario et une approche narrative pour la mise en scène, mais pour moi, le but de toute cette préparation consiste à créer une situation qui permette le déploiement de moments inconnus. Autrement dit, nous avons bien un plan, mais celui-ci consiste à n’avoir aucun plan, en supposant que cela fasse sens”. Et de poursuivre ainsi : “Nous avons tourné The Show Is Over début mars, juste avant la pandémie. En fait, nous avons terminé le tournage un jour avant que Zurich ne soit confinée et j’ai monté le film pendant le confinement. C’était très étrange de travailler sur un énorme projet conçu avant le coronavirus, car nous nagions en pleine incertitude et avions du mal à comprendre quoi que ce soit. A l’époque, j’avais l’impression que mon instinct et mon sentiment de connexion au monde ou au réel étaient complètement déstabilisés. Et c’est au milieu de tout ça qu’a eu lieu le meurtre de George Floyd et que les manifestations Black Lives Matter ont explosé à travers le monde entier.” Convoquant les mondes de la nuit et du sacré, ses oeuvres invitent à une réflexion critique sur les notions d’identité, de communauté et de rapport à l’espace social en empruntant les médiums de l’installation, de la performance et du film. En effet, la démarche artistique de Wu Tsang (Photo ci-dessus Crédit@DR) s’inscrit dans une démarche de collaboration avec d’autres artistes, performers ou poètes et s’attache à présenter chaque situation comme un processus, et une construction dans un parcours d’images, de mouvements et de sons. Le regardeur appréciera ici ces oeuvres se manifestant sous forme de boue et de verre, ainsi qu’au travers de gestes et langages non communicatifs. Et interrogeant la distinction entre visible et visibilité, et leur relation intrinsèque avec la violence sous ses multiples formes : physiques, métaphysiques, structurelles et linguistiques. On aime tout particulièrement cette gestuelle créant un dialogue entre cinéma et poésie, entre objets permanents et éphémères. Mais également cette approche menée à travers des réflexions sur les valeurs portées par notre culture dans cette façon personnelle de célébrer la métamorphose et la fluidité de l’être. Et nous renvoyant à la lecture salvatrice de cet essai rédigé par James Baldwin en 1966 pour le magazine The Nation : intitulé « Reportage en territoire occupé », où était abordée la tristement célèbre affaire des Harlem Six !

RAD.jpg

A la galerie In Situ Fabienne Leclerc au 43, rue de la Commune de Paris 93230 Romainville /// Jusqu’au 30 décembre 2020 /// Exposition : Lorsque viendra le printemps - Renaud Auguste-Dormeuil

Est-ce que c’est le temps qui nous traverse ou est-ce nous qui traversons le temps ? J’ai une production qui se permet de voyager dans le temps et j'’aime insuffler des questions auxquelles je n’ai véritablement pas de réponses…” a-t-il expliqué il y a sept ans de cela. Et d’ajouter ensuite ceci : “J’ai l’habitude, dans mon travail, de prendre des images, de fabriquer des images, de les retravailler de façon incessante pour qu’elles soient parfaites et pour qu’elles disent exactement ce que j’ai envie qu’elles disent”. Avant de poursuivre ainsi : “Je suis absolument persuadé que le rôle de l’artiste c’est de réinjecter du réel dans le fantasme des politiques. Depuis toujours, j’ai abordé la question de la guerre et de la mort de plusieurs manières, notamment d’un point de vue militaire, du coté des populations civiles, des victimes…” Questionnant la fabrication des images en amont des évènements, ses oeuvres saisissantes abordent régulièrement la question de la déclinaison de la guerre dans une traversée du temps révélant une approche nous disant que l’on a tous conscience que les choses sont déjà écrites. Elles nous disent de surcroît que l’art est une machine à fabriquer des images de l’homme invisible dans une obsession de sa mise en évidence. En effet, la démarche artistique de Renaud Auguste-Dormeuil (Photo ci-dessus Crédit@RCourtesyL’artisteetGalerieIn Situ-FabienneLeclerc, Grand Paris) se présente en quelque sorte comme un catalogue d’images parlant de cette impossibilité de montrer l’invisible. Le regardeur appréciera ici au coeur de cette superbe exposition se développant sur les deux étages de la galerie et dans le déroulé de son escalier médian ces travaux à l’existence autonome, dans un glissement de la réalité ainsi que dans l’affirmation sous -jacente - à la fois politique et esthétique - que l’art est en mesure de créer une image que l’on ne pourra jamais voir. Mais aussi ce paysage invisible du pouvoir et de son exercice. On aime particulièrement ce postulat se formulant de la façon suivante : Une image, au-delà d’être une architecture de genres de signes peut être une architecture du temps. Autant de réflexions trouvant tout leur sens dans ces intitulés et titres perturbateurs “Le silence va plus vite à reculons”, “Je me fous du passé”, “ Tu vaux mieux que ça”, “Le ciel attendra”, “Hope It Was Worth it”, “Include me Out”, “Demain est annulé”… Et trouvant un heureux prolongement dans l’oeuvre prophétique d’un certain Pessoa baptisée “Le gardeur de troupeaux” !

086509b_gozard_web.jpg

Nicolas Daubanes

J’ai compris à un moment donné que la problématique qui me stimulait était quand des personnes en situation de contraintes extrêmement fortes inventaient des solutions pour s’en sortir. Comment une femme, un homme, un malade ou un prisonnier, trouvent toujours des ressources plutôt belles et drôles. Ce sont vers elles que j’ai orienté mon travail même si ce n’est pas aussi simple que cela. J’ai toujours eu envie de trouver ce qui peut être positif dans un univers qui ne l’est pas…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “J’aime explorer les traces qu’on laisse, d’autant plus quand elles naissent, non d’un acte artistique ou intentionnel mais de manière accidentelle comme le geste d’un ouvrier”. Avant de poursuivre ainsi : “Pour moi, l’art s’est construit autour de la question de la résistance. Je m’intéresse aux actes vains et anodins qui ensemble font la révolte”. Interrogeant la dualité de la contrainte, ses oeuvres saisissantes renvoient toutes à la révolte sociale et à l’enfermement physique ou psychologique dans une logique où naissent les hétérotopies via des espaces coercitifs parfaitement trempés. Elles révèlent des images du passé s’exprimant par les prismes du dessin croisant la sculpture sur le mode de l’éphémère. En effet, la démarche artistique de Nicolas Daubanes (Photo ci-dessus Crédit@YohannGozard) questionne - dans un esprit de contradiction assumé - autant les états de séquestration et de claustration, que les dispositifs de contrôle dans l'espace public ou encore les ressources de l’évasion. Le regardeur appréciera, au sein des travaux de l’artiste, cet aspect fantomal des images renvoyant régulièrement au panoptique du philosophe utilitariste Jeremy Bentham dans cette idée de voir toujours avant la chute et avant la ruine. On aime tout particulièrement cette gestuelle libératoire - en quête de l’adéquation parfaite entre forme et contenu - dans un élan vital mettant cote à cote les principes de vitesse, de sabotage et porosité toutes trois aptes à dire la liquéfaction des bâtiments, le droit des minorités ou encore en mesure d’exprimer à rebours le lexique viscéral de la lutte : au plus proche d’une jeunesse attentive aux difficultés des autres, dans un oubli narratif de soi et par le biais d’échappées mentales contestant, dans la conjuration, tout empêchement des corps !

F.Paviot 02bis.jpg

A la Galerie Françoise Paviot sur rendez-vous au 57, rue Sainte Anne 75002 Paris /// Jusqu’au 20 janvier 2021 /// Exposition : Jocelyne Alloucherie - Photographies et Dessins

Je travaille surtout sur la perception qu’on a des choses. L’image dans sa réalité ontologique, nous inclut et nous exclut tout à la fois. Et ce fort contraste de socles ou de structures architecturales les recadrant vient accentuer cette oscillation entre deux mondes qui la caractérise; cette propension de l’image à révéler et à se révéler. Les volumes horizontaux ou verticaux s’y développent de manière organique mais aussi rythmée, proposant des hauteurs et des longueurs différentes tout en conservant des proportions similaires. Les grandes vagues de sable sont des souffles, des traces de vent. Elles évoquent aussi une masse fluide et mouvante comme un océan. Bien sûr, on peut y voir encore l’expression de quelques inquiétudes climatiques mais la structure métaphorique dont elles participent ouvre sur la possibilité d’une évocation multiple et continue. Les oeuvres se déploient comme un long déambulatoire incitant le visiteur à un déplacement, faisant sans cesse osciller sa perception et ses points de vue. Ce contrepoint exalte les qualités diverses de l’oeuvre…” a-t-elle confié il y a quelques années déjà. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je cherche à définir un rapport image-objet-lieu cernant notre sentiment de présence dans un fragment d’espace-temps donné et ne se limitant pas à des catégories culturelles fixes. Les transgressions d’un médium à l’autre, visibles dans mon travail, se font sur le mode d’une énonciation positive ; celle d’un glissement poétique d’un élément vers un autre ou d’un niveau de représentation à un autre”. Avant de poursuivre ainsi : “Les indices de sens sont présents dans mes œuvres. Il faut parfois les deviner ou les soupçonner. Cette imprécision permet que tout puisse se chevaucher dans une suite allusive de sauts visuels, proposant des équivalences qui vont se stratifier dans l’expérience sensible de ce qui est montré. Mes sculptures dans l’espace public sont aussi conçues sur les bases de ces interrogations. Je ramène souvent l’image photographique elle-même à ses origines : celles d’une graphie solaire, à travers une constance de saisies ombrageuses. Elle va ainsi demeurer flottante et imprécise, un vague paysage, une trace fragile mais ayant une force d’ouverture vers de multiples interprétations. Proposant une réflexion complexe sur la relation entre la perception de l’espace physique et de l’espace mental, par un jeu d’échanges subtils donnés sur divers modes de représentation, ses oeuvres saisissantes invitent à une expérience esthétique amenée par des formes dépouillées porteuses de références indéterminées qui induisent à l’évocation.En effet, la démarche artistique de Jocelyne Alloucherie (Photo ci-dessus Crédit@AndréDozon) nous parle d’un au-delà de l’abstraction qui réintroduit la présence de l’image dans l’oeuvre sans que celle-ci bascule dans une strate figurative littérale. Le regardeur appréciera ici ces travaux subtils amenant l’oeuvre à habiter les lieux et inscrivant des ruptures qui laissent pénétrer cette lumière totalement variable du paysage dans l'espace de l’oeuvre. On aime tout particulièrement cette gestuelle fragile - faite d’installations qui associent des éléments relevant de considérations sculpturales, architecturales et photographiques - et aménageant des percées pour laisser la lumière naturelle entrer par moments en dialogue de ma manière très fugace avec les oeuvres. Et nous faisant deviner parfois - entre vide et vertige, présence et absence - ces gargouillements intérieurs de l’artiste sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent ou au large de la côte nord-est de Terre-Neuve dans une zone appelée Iceberg Alley qui marque annuellement le passage des glaces descendant entre le Labrador et le Groenland . Tout en se remémorant les écrits d’un certain Marshall McLuhan !

bruno_studio-10-by-Marcus Heim.jpg

Bruno Gadenne

“Les peintures que je propose invitent à prendre le temps. Le temps que la rétine s’adapte aux nuances sombres sous le vernis. Le temps de s’approprier les détails, la profondeur de certains noirs. C’est un appel à la contemplation tout en étant un qui-vive. Un calme qui dissimule une menace sous-jacente…” a-t-il expliqué récemment. Et d’ajouter ensuite ceci : “Je cherche notamment à transmettre un sentiment que l’on pourrait presque appeler extase ressenti devant ces enchevêtrements sylvestres, tout en restant sur le fil d’une menace, d’un déséquilibre presque toxique par moment via des ciels rouges presque apocalyptiques ou en tout cas non naturels donc déstabilisant”. Avant de poursuivre ainsi : “Lors de mon dernier voyage, pendant lequel je suis parti sur la piste maya en Amérique Centrale durant trois mois j’ai ainsi réalisé une centaine de petites peintures qui me serviront de base pour des toiles de grands formats. Un travail d’enregistrement de l’expérience vécue plus subjectif et sensible que les photographies que je prends en parallèle". Ses oeuvres troublantes nous disent qu’avant les lavis, avant les coups de pinceaux, avant la préparation du support, avant le traitement des images sur l’ordinateur, il y a un toujours invariablement un voyage solitaire. Dans une quête de retranscrire une sensation d’émerveillement devant la nature mêlée à l’inquiétude de se retrouver seul au coeur d’une forêt à la tombée de la nuit. En effet, la démarche artistique de Bruno Gadenne (Photo ci-dessus Crédit@MarcusHeim) nous rappelle que l’homme a un rapport inné de frayeur et d’admiration vis-à-vis de la Nature universelle. Le regardeur appréciera en présence de ces toiles saisissantes un romantisme contemporain pris comme une porte de sortie pour retrouver en quelque sorte une forme d’Arcadie sauvage. On aime tout particulièrement cette gestuelle nous renvoyant à de grands incendies forestiers, des ciels teintés de couleurs chaudes, de rouges, roses, orangés posant la question du magique. Ou encore à la lecture d’un certain Joseph Conrad et cette clarté lunaire dans une invasion frénétique de vie silencieuse nous conduisant irrémédiablement hors de l’expérience des Hommes !

Capture d’écran 2020-11-26 à 09.50.09.png

Lewis Bush

Je ne suis pas intéressé par les définitions techniques étroites de la «photographie». Pour moi, la photographie représente bien plus un ensemble de façons de voir et de comprendre le monde qu'elle n'est le produit d'une technologie ou d'un mécanisme spécifique. Ainsi, par exemple, je fais des images des signaux radio images qui sont techniquement appelées spectrogrammes, mais que je décris souvent comme des photographies lorsque je montre l'œuvre….” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “Techniquement parlant, je pense que c'est une description précise, car ces images produisent un rayonnement visible qui fait partie du même spectre que la lumière visible. Mais cela m'intéresse de constater que mon appel à ces images «photographies» semble souvent inquiéter les photographes qui veulent trouver d’autres façons de marquer ces mêmes images et ce que je fais”. Avant de poursuivre ainsi : “Grandir avec des parents artistes m'a appris la valeur et la joie de faire des choses. Etudier l'histoire m'a appris le pouvoir et la satisfaction de la pensée critique. Enfin, l'étude de la photographie documentaire m'a montré comment essayer d'aligner ces choses dans mon propre travail”. Mettant en exergue les contradictions actuelles du statut de l’image, ses oeuvres nous disent que notre façon de voir ne serait que la conséquence d’un ensemble de normes : voir dépend dépend d’habitudes et de conventions. En effet, la démarche artistique de Lewis Bush (Photo ci-dessus Crédit@DR) pose un regard critique sur l’évolution technique de l’image en soulignant une surcharge constante d’informations obscures. Le regardeur appréciera ces clichés saisissants questionnant les nouveaux systèmes d’algorithmes et d’intelligence artificielle. Explorant également les diverses formes de pouvoirs contemporains, l’impact destructeur du redéveloppement des entreprises et les inégalités systémiques du monde de l’art. On aime particulièrement cette gestuelle nous conviant à la relecture du livre original de John Berger “Ways of seeing algorithmically” publié dans les années 70. Avec cette acuité là qui nous enjoint à voir le monde à travers le prisme des influences de l’art classique afin de nous montré à quel point ce dernier a profondément façonné l’appréhension de notre univers !

3A58F959-5E1F-4EAC-B4E7-6EC0447A4E08.jpg

A la galerie ALB au 47, rue Chapon 75003 Paris /// Du 5 décembre 2020 au 2 janvier 2021 /// Exposition : Caresses du soleil - Jean Bosphore

Je trouve l’inspiration de mon travail dans un univers en particulier : la statuaire grecque. Je m’efforce de représenter à travers mes dessins, le mouvement d’un corps, mais aussi l’expression des sentiments, la passion et le désir. Je cultive cette imaginaire de l’idéal issu de la statuaire, sa douceur mais aussi sa froideur : marbre blanc, lisse, immaculé, impénétrable et malgré tout si palpable. Je transforme ces garçons en statues, comme s’ils étaient figés dans le temps. J’aime cette idée de générer des images, désirables, érotiques captivantes et parfois séduisantes. C’est ce qui m’a poussé à travailler de cette manière, à poursuivre ma quête, ma recherche : celle de générer de «belles » images…” a-t-il déclaré dernièrement. Et d’ajouter ceci : “Cette recherche d'idéal peut parfois troubler, et me permet de jouer entre semblant photographique et dessin. En ce sens, je me sens proche du travail de Jean-Olivier Hucleux. Ses dessins de très grand formats hyper réalistes sont pour moi une référence absolue en terme de rendu et de qualité. Je fais en sorte que mes dessins semblent sortis tout droit d’un imaginaire antique, mettant en scène de jeunes éphèbes. Je dévoile aussi ma réelle passion pour le corps masculin, ses détails comme le poil, le muscle, plus généralement la virilité, par le prisme de certains fétichismes. J'interroge l'idée de « beauté du corps » et je tente de découvrir ce qui rend ce dernier désirable et séduisant.” Avant de poursuivre ainsi : “La série intitulée « Les garçons », produite entre 2018 et 2020, est une série de dessins basée sur la représentation du corps masculin. Ce travail est issu d’une vision de mes désirs, d'une interprétation plastique et sensuelle que je mène sur le corps”. Mêlant les éléments du corps, de la flore et de l’objet, dans des confrontations estivales et des rêveries de siestes métaphysiques, ses oeuvres saisissantes nous plongent dans une Côte d’Azur natale empreinte d’un onirisme suave. En effet, la démarche artistique de Jean Bosphore (Photo ci-dessus Crédit@DR ) se dissout dans cet amoncellement de souvenirs, de loisirs, de nonchalance et de douce vacuité. Le regardeur appréciera ici ces derniers travaux subtils montrant des paysages au sein desquels l'activité se détourne de sa propre fin. Mais aussi un récit intime où torpeur, silence, oisiveté et sérénité structurent l'espace et le temps. On aime tout particulièrement cette gestuelle nous disant que l’artiste préfère à Paris sa colline, qu’il est parfois préférable de ne pas trop interpréter les images, mais tout simplement les accepter. Et faisant écho à cette libre pensée d’un certain Pagnol : «Je sentis naitre un amour, qui devait durer toute ma vie » !

Lawrence_Weiner_courtesy_moved_pictures_archive,_nyc.jpeg

Lawrence Weiner

L’art est une présentation, pas une chose imposée. Il est fait pour le public, pas pour l’histoire, ni pour la culture, il est fait pour être utilisé. Plutôt que le support et la structure de l’académie, du musée, je préfère toujours le support privé. Quand je fais le travail pour une personne en particulier, cette personne comprend les valeurs du travail personnellement, le reste c’est autre chose, c’est du romantisme. L’art ce n’est pas une question de protection, l’art ce n’est pas fait pour protéger, l’art c’est une question d’appréciation de la production des autres, d’appréciation de l’histoire. C’est une question toujours, c’est pas une réponse. Les artistes qui ne proposent que des solutions font de l’art une profession, qui, à la fin, crée pour les gens une situation réactionnaire, protégée. C’est un peu comme les Amish. C’est en fait complètement exotique...” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ceci : “Pratique c’est un mot absolument joli, vraiment, pratique. Pour les artistes, comme pour les intellectuels, aujourd’hui la nécessité c’est la communication. Un petit film, ou une chanson, c’est la possibilité pour moi de parler de questions liées à des réalités multiples, de celle du positionnement social dans notre société, mais en même temps cela reste une chanson. C’est une liberté, professionnelle, mais une liberté.” Avant de poursuivre ainsi : “J’ai tenté de faire tout mon travail «bastard proof», comme un briquet est « child proof ». Mon travail est complètement « bastard proof », contre l’utilisation dans des contextes extérieurs et toutes sortes de récupérations possibles, politiques ou économiques. Il se veut absolument sans stratégie, c’est d’abord une nécessité pour moi. Je suis un membre de la société et j’ai fait le choix de ce chemin pour moi, pour mon travail. Pour moi, cela n’a rien à voir avec l’idée de liberté, ou l’idée du courage, c’est une idée, oui, que je trouve intéressante”. Sous la forme de statements, ou d'énoncés, écrits sur le mur en lettres géantes, ses oeuvres se servent du langage comme matière première de ses sculptures. Un effet, la démarche artistique de Lawrence Weiner (Photo ci-dessus Crédit@Lawrence Weiner, Courtesy Moved Pictures Archive, New York City) repose sur cette célèbre déclaration d’intention de 1969 : “1. L'artiste peut construire la pièce. 2. La pièce peut être fabriquée. 3. La pièce n'a pas besoin d'être réalisée. Chacune de ces éventualités se valant et étant conforme à l'intention de l'artiste, le choix dépend de la décision du destinataire lors de la réception”. Le regarder appréciera ces mots peints sur les murs décrivant des sculptures potentielles et typographie caractéristique disposée en blocs, avec une coupure arbitraire des lignes et une exploration systématique de la couleur, de la traduction et des signes de ponctuation. On aime particulièrement ce jeu avec le langage pris comme médium principal et considéré - dans la ponctuation des interventions de l’artiste - comme le véhicule de toute communication !

%22, Blackfeet Indian Reservation, 2019. Photo Yohan Guignard.jpg

A la Maison d’Art Bernard Anthonioz (MABA) 16, rue Charles VII 94130 Nogent-sur-Marne /// Du 31 janvier 2021 au 18 avril 2021 /// Exposition : LE SERPENT NOIR - Cécile Hartmann

Il y a quelque chose d’insaisissable, on est dans des temps contradictoires, on est à la fois dans un temps qui est long et en même temps dans quelque chose de très brut et de très incisif et cela me plait beaucoup car en fait il y a quelque chose la dedans qui correspond à la physique du temps… Souvent quelque chose qui peut être compris de manière métaphysique comme quelque chose d’irreprésentable ou de physiquement difficile à appréhender” a-t-elle expliqué dernièrement autour de son projet d’estampe Solaris de 2016 - champ de terre retournée photographié- et questionnant l’instabilité de la technique originelle de la photographie. Traçant des lignes entre romantisme, minimalisme et activisme, ses oeuvres portent toujours la trace d’événements latents, souterrains, qui transparaissent ou (ré)apparaissent à la surface. En effet, la démarche artistique de Cécile Hartmann (Photo ci-dessus Crédit@Sur le tournage du film "Le Serpent Noir", Blackfeet Indian Reservation, 2019 © Photo : Yohan Guignard) dévoilent des travaux saisissants au travers d'un plan de film, d'un élément textuel, d'une musique tels des indices, des surgissements au sein d’événements. Le regardeur appréciera ici un récit, sans figure humaine, où l’image documentaire se mêle à l’image mentale, enchevêtrement de temporalités et d’espaces dans une plongée au cœur des ténèbres. Les ténèbres, perçues pour leurs potentialités créatrices comme destructrices, sont celles dans lesquelles le monde était plongé «au commencement lorsqu’il n’y avait ni lune ni étoile » ; elles sont ici abordées comme le lieu des spectres, du surgissement et de la disparition. On aime particulièrement cette gestuelle à travers laquelle le texte fait ici image, de la même manière que les notions mises en relation engagent le spectateur à penser les entrechoquements entre économie, politique, histoire et écologie. Abaissant sans cesse son regard pour l’amener au plus près du sol, de l’argile « primitive », l’artiste s’intéresse à ces différentes strates, couches de temps et de mémoires accumulées. Sa vision passe ainsi constamment de l’échelle du global à l’échelle du fragment, d’une vision panoramique du paysage à une vision en plongée au cœur de la terre, dans un mouvement introspectif. Comme pour mieux nous dire le désastre et la terreur autour de la métaphore du serpent noir : le pipeline géant Keystone qui transporte quotidiennement plus de 700 000 barils de résidus impurs, depuis les exploitations à ciel ouvert de l’Alberta, en passant par les réserves indiennes, souillant les terres et les réserves d'eau et engendrant des dégâts écologiques sans précédent !

Portrait Anaïs Prouzet.jpg

Anaïs Prouzet

“Mon principal défi se trouve directement dans le sujet que je veux représenter, il s’agit de le rendre aussi fort et important qu’il l’est dans la vie. Je m’attache à le voir et à le dessiner, le peindre en restant fidèle à ma vision...” a-t-elle confié récemment. Et d’ajouter ceci : ”Durant mes études, la peinture a toujours été un médium fascinant mais qui me semblait si complexe, qu’à l’époque j’ai eu trop peur de me lancer. Je pensais que des bases de dessin étaient indispensables et je n’avais pas encore assez dessiné !”. Et de poursuivre ainsi : “La lumière dans mes tableaux apporte l'espoir que mes sujets cherchent pour sortir de leur état émotionnel. On me dit souvent que l'art c'est ce qui reste une fois qu'on est parti. Cela résume assez bien les enjeux que j'ai et plus particulièrement en peinture. Je travaille avec des temps de séchage très longs, environ trois semaines entre chaque couche de peinture et un an avant de poser le vernis final”. Sur fond d’inquiétude, d’atermoiements et de souffrances, ses oeuvres saissantes explorent - dans des auréoles, des positionnements de corps et la profondeur des ombres - une gestuelle tournée irrémédiablement vers une méditation avec le sujet. Elles souscrivent à l’idée que la “ force doit être congelée dans le sujet” et que la substance réside dans l’amour inaliénable des êtres chers. En effet, la démarche artistique d’Anaïs Prouzet (Photo ci-dessus Crédit@DR) récuse la notion du “pour la vie” en affirmant que bonheur et mélancolie vont finalement de pair. Elle nous rappelle aussi que les outils de prédilection de l’artiste sont le fusain, la mine de plomb et le crayon. Le regardeur appréciera ces travaux révélant une approche viscérale qui a vu le jour par le biais de visions-électrochocs et qui s’est ensuite progressivement épanouie dans le déploiement et la révélation des possibles de la couleur. On aime tout particulièrement ces visages pris comme des témoins de vie - sans apologie de la cruauté - et ces toiles impitoyables faisant surgir la beauté du vivant sans chercher à idéaliser une réalité ordinaire. Mais également cette force des instants vécus, dans une représentation de l’énigme via la mesure-étalon de l’artiste qui fut un temps son propre modèle. En nous faisant mieux comprendre, en filigranes, le titre étrange attribué à ce grand dessin mystérieux réalisé en 2018 : “Frappe, tue la frappe, fends la en deux” !

Danh Vo, 2020, © White Cube (Theo Christelis) (2).jpg

Danh Vo

Mes parents ont toujours été assez sceptiques sur mon aventure artistique, car ils voulaient avant tout que leurs enfants aient un travail qui rapporte. On parlait peu, car leur danois est moins bon que leur vietnamien et moi, c’est le contraire. Ils ont accepté de participer quand ils ont vu que je réussissais vraiment à en vivre…” a-t-il confié il y a quelque temps déjà. Et d’ajouter ceci : “J’ai une formation d’artiste, j’en sais plus sur l’art que sur l’histoire, et j’ai raté tous mes examens d’histoire à la fac, donc ne faites pas confiance à mes jugements historiques ! J’agence des choses entre elles pour regarder comment elles fonctionnent.” Et de poursuivre ainsi : “Je crois que les choses ne sont pas faites pour rester jointes, statiques, c’est l’histoire de tous les jours, les choses deviennent toujours autres et c’est dans ce processus de mutation qu’elles acquièrent leur usage”. Imprégnées d’une force politique puissante, ses oeuvres nous parlent de la circulation des valeurs en nous invitant à construire notre propre lecture dans une articulation très personnelle du récit. Elles révèlent - dans un processus intense d’accumulations - des éléments qui s’entremêlent entre expérience intime et histoire collective. En effet, la démarche artistique de Danh Vo (Photo ci-dessus Crédit@DanhVo,2020,©White Cube. Theo Christelis) nous confronte aux questions identitaires et aux paradoxes de la société occidentale dans des réalisations à grande échelle. Elle nous invite également à ralentir le pas et à atténuer nos interprétations en rapprochant le champs de la vie publique et celui de la vie privée dans une logique autobiographique. Le visiteur appréciera ces pièces à portée conceptuelle saisissantes qui mettent en corrélation des fragments poétiques faisant directement écho à l’exode via des empilements, des juxtapositions, des superpositions et des mises en transparence reliant des phénomènes d’apparences subtiles. On aime tout particulièrement ces pièces qui parviennent à cristalliser une pratique abordant l’Histoire par le biais de menus souvenirs ou de réminiscences en s’emparant de sujets allant de l’empire américain, à la colonisation ou encore la conquête spatiale !

Cao_Fei_s_Isle_Of_Instability_West_Bund_2020_02_JPEG.jpeg

Cao Fei

En étant loin de chez moi durant si longtemps, en raison du Covid-19, la culture étrangère de Singapour m’est devenue familière, la cuisine exotique est devenue mon met habituel, le labyrinthe des allées est devenu ma routine quotidienne, les étrangers de mon palier sont devenus des voisins aimables. Autrefois une invitée dans ce pays, j’en suis devenue résidente. Perdue dans cette transition, la certitude est devenue un luxe…” a-t-elle expliqué dernièrement. Et d’ajouter ceci. : “Certains disent que je suis sociologue”. Avant de poursuivre ainsi : “J’aime dans mon travail fonder la partie créative sur une certaine réalité, développer un récit fictionel sur une structure réelle”. Abordant les changements rapides et confus de la société chinoise d’aujourd’hui, ses oeuvres questionnent l’effondrement possible de notre avenir en intégrant les codes du documentaire combiné au commentaire social. S’inspirant de sources populaires et traditionnelles, elles explorent les relations entre réel, utopies collectives et les aspirations personnelles d’une jeune génération chinoise. En effet, la démarche artistique de Cao Fei ( Photo ci-dessus Crédit@AudemarsPiguet) nous parle de boom économique, de la diffusion d’internet en scrutant les effets de la globalisation effrénée. Elle dénonce les utopies communistes qui ont caractérisé son pays pris dans les contradictions de son développement économique. Le regardeur appréciera cette approche formelle polymorphe qui s’inscrit dans une logique militante vis-à-vis d’une société chinoise contrôlée par la censure. Mais aussi ces oeuvres familières des low et pop cultures où s’intégrent la publicité, le cinéma, le théâtre, l’opéra et la danse révélant les rites d’une société prisonnière d’une croissance folle et en perpétuel changement. On aime particulièrement cette gestuelle qui se confronte aux mécanismes et fonctionnement du corps social. Et qui nous rappelle que cette artiste avait installé un temps son atelier dans un cinéma communautaire désaffecté !

portrait Stéphanie crédit Pablo Saborido.png

A la galerie Anne Barrault au 51, rue des Archives 75003 Paris /// Jusqu’au 28 novembre 2020 /// Exposition : Choses sues et oubliées - Stéphanie Saadé

Aux Beaux Arts de Paris, je sentais qu’on s’attendait à ce que je focalise mon art sur la question de la guerre civile libanaise. J’ai refusé, considérant que j’ai les mêmes droits que tout autre artiste. Ce n’était pas une prise de position contre ce sujet, mais plutôt une simple volonté de liberté…” a-t-elle expliqué un jour. Et d’ajouter ensuite ceci : “En chine, je prenais alors conscience de la dimension culturelle du paysage, un terme qui n’a pas d’équivalent en langue arabe. Je me suis beaucoup interrogée à ce propos sur la question du local et de l’importé, celle du naturel et de l’artificiel, mais aussi le côté mythologique dont est chargée la nature”. Avant de poursuivre ainsi : “J’aime cette idée de rester liée à ce que je présente, tout en étant à l’écart. Cette notion de distanciation, d’élasticité géographique et temporelle, cette idée d’allers-retours constants me passionnent.” Exerçant les capacités mémorielles de l’esprit, ses oeuvres nous parlent du caractère cyclique de l’existence en croisant les horizons et les points de vue. En effet, la pratique artistique de Stéphanie Saadé (Photo ci-dessus Crédit@Pablo Saborido) développe la question du double dans un large spectre de significations et d’expériences intérieures nourries de mélancolies et d’artifices saisissants. Le regardeur appréciera ici - au sein de cette superbe exposition - ces travaux troublants établis dans un langage de la suggestion, une logique de résilience et une dimension conceptuelle presque performative nous faisant penser parfois à un certain Stanley Brouwn. Mais aussi ces modalités de déterrioralisation et d’un devenir nous renvoyant à des persistances ordinaires et des pays secoués ou dévastés par des conflits. On aime tout particulièrement cette pièce baptisée Building a Home with Time (Construire une Maison avec du Temps) réunissant perles de bois peintes provenant d’une usine aujourd’hui fermée, fil, taille : variable. Où les notions de fuite et d’habitat finissent par se rejoindre comme autour d’une sorte de composante universelle. En nous rappelant également que chaque mutation laisse ou laissera une trace !

IMG_4412 copie.jpg

Clovis Rétif

J’ai toujours aimé la nature et la solitude pourtant j’ai toujours habité en ville, cette antinomie est devenue une source d’inspiration. Le rôle d’un artiste est de parler du monde à travers soi…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ceci : “A travers mes dessins, j’essaie d’exprimer mon désarroi, mes craintes, mon dégoût mais aussi mes émerveillements et ma perception de la beauté”. Avant de poursuivre ainsi : “Comme de nombreux artiste avant moi, j’ai vu dans le noir une application bien au-delà de la binarité. Arriver au noir profond, c’est passer par toutes les nuances de gris qui représentent de l’ombre sur le papier;”. S’interessant aux réflexes de déculpabilisation de nos consciences, ses oeuvres saisissantes jouent le parti pris du délaissé en nous rappelant que le beau n’est pas une substance mais plutôt un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. Elles se nourrissent d’une profusion de détails via une immersion dans l’image et des approfondissements sémantiques complexes. En effet, la démarche artistique de Clovis Rétif (Photo ci-dessus Crédit@DR) s’empare de thèmes sociaux et de formes d’incarnations dans une dévotion aux sujets renvoyant à l’l’ancrage, au rejeté et aux mouvements contraires. Le regardeur appréciera ici ces travaux au réalisme frappant et à la portée méditative tendant à aller chercher l’émotion au gré de pensées existentielles. Mais aussi cette gestuelle traitant de la question du refus, du statut de marchandise dans des séries de dessin au crayon graphite ou des peinture sur porcelaine recherchant une réalité palpable. On aime tout particulièrement cette approche nous disant que l’ombre dessine notre monde matériel et que dans l’absolu il n’y a besoin que d’ombre sur la lumière pour comprendre le mode physique. L’artiste nous plonge dans des espaces de songeries en recourant à des mises à nu troublantes, à l’instar d’un labyrinthe de miroirs déformants. Comme pour mieux souligner la vulnérabilité des choses sous des titres évocateurs comme “Ondulation des chromes”, “Flash Mirror”, “Privacy”, “Speedmaster”… Faisant apparaître des personnages de légende comme Jackie Robinson, Rose Roseland ou encore la ténébreuse Madrina !

MarionCHARLET-4553.jpg

A la galerie Paris Beijing au 62, rue du Turbigo 75003 Paris /// Jusqu’au 30 janvier 2021 /// Exposition : … Et l’été reviendra - Marion Charlet

Je travaille à l’acrylique. On dit que cela rend les couleurs plus “crues” . Cependant, ce sont surtout le choix de couleurs acidulées qui rendent ce que tu appelles “éclatant”. Ou peut-être aussi que cela soit le fait qu’il a peu de jeux d’ombres dans les tableaux. Résultat, c’est moi qui choisis d’où vient la lumière. Elle est souvent jaune très clair, presque irradiante….” a-t-elle confié un jour. Et d’ajouter ceci : “Venant d’une famille d’architectes, mon regard a été formé depuis mon enfance à observer le monde via les tangentes, les points de fuites et les couleurs. Le gimmick de la famille c’est « la vie est une perpétuelle observation. De plus, l’eau a toujours été près de moi. Mes grands-parents avaient une maison sur la falaise, juste en face de la mer en Vendée... » Avant de poursuivre ainsi : “J’ai toujours utilisé un bleu turquoise comme référent à chaque toile. C’est vrai qu’on le retrouve partout. Il est à la fois froid et lumineux. Comme toute couleur, je l’ai trouvé il y a déjà plus de dix ans et je m’en sers toujours comme référent quand je commence une toile. D’ailleurs, j’essaye de m’en défaire et de faire bouger les lignes en utilisant des couleurs que j’ai déjà dans ma palette (jaunes par exemple) pour fabriquer des nouveaux fonds. En quelque sorte : faire bouger les lignes avec toujours les couleurs que j’utilise depuis longtemps”. Déjouant les attendus, ses oeuvres placent la couleur avant toute chose en multipliant les jeux d’espaces. En effet la démarche artistique de Marion Charlet (Photo ci-dessus Crédit@EmilieMathéNicolas ) nous parle du déploiement de la peinture dans une construction par plans révélant une imagerie saisissante. Le regardeur appréciera ici ces aplats subtiles et ces mises en scène portées par les notions de doute, de latence et d’absence où la nature se fait passeuse de fantasmes et de réminiscences. On aime tout particulièrement cette gestuelle marquées par des tonalités diaphanes troublantes et aux apparences souvent trompeuses. Qui nous renvoie finalement à cette curieuse expérience : celle qu’on peut faire sur un bateau « quand on passe de la vue qu’on a sur le pont à celle qu’on a par un hublot » !

Andreas-Fogarasi-20.jpg

Andreas Fogarasi

Dans toutes mes oeuvres - aussi bien dans les sculptures que dans les photographies - je suis très précis dans les dimensions et la distribution dans l'espace. Il se passe la même chose dans mes vidéos, elles ont des mesures et des dispositions techniques très précises. C'est pour cela que je ne les envoie jamais à des festivals de cinéma. Pour moi, dans les vidéos, l'important ce n'est pas le facteur temps mais le facteur espace...” a t-il indiqué il y a quelque temps. Et d’ajouter : “D'une certaine façon je suis un artiste formaliste et au fond, je crois que je suis un minimaliste. Par exemple dans les vidéos de Public Brands, dans lesquelles je travaille avec les logos des villes et des régions, une des petites manipulations que je fais - au delà de les sélectionner et les mettre par ordre alphabétique - consiste à les convertir en noir et blanc. L'iconographie du logo m'intéressait beaucoup plus que ses couleurs et de plus je les trouve beaucoup plus esthétiques ainsi. Il me paraît normal de transformer les choses pour me recentrer sur les aspects qui m'intéressent le plus”. Avant de poursuivre ainsi : “Quand je travaille la vidéo, je fais tout moi-même : la recherche, le film, l'édition, etc, et je profite énormément de cette liberté. De plus, je n'ai pas à beaucoup planifier en amont et c'est très émouvant : je prends la caméra et j'observe ce qui se passe devant l'objectif. Par exemple, la vidéo Constructing/Dismantling que j'ai enregistrée à Saint-Jacques-de-Compostelle et qui montre le démontage et la reconversion d'une foire en un parc, a été une expérience magique. Vient ensuite le processus d'édition qui est plus difficile et prend plus de temps”. Prenant racine dans la critique institutionnelle, ses oeuvres cultivent un aspect documentaire se structurant d’une façon très formelle. En effet, la démarche artistique de Andréas Fogarasi (Photo ci-dessus Crédit@DR) étudie les détails fonctionnels, se nourrit de maquettes et de transformations permanentes. Le regardeur appréciera ces travaux qui nous rappellent que notre perception est conditionnée par les clichés visuels et les conventions admises. Mais aussi l’analyse méthodique par l’artiste de la culturalisation de l’économie. On aime tout particulièrement cette gestuelle où demeurent les évocations abstraites et mettant en évidence le rôle croissant, de l’impact visuel sur les stratégies de communication politique et marchande. Mais aussi cette articulation entre surgissements de points de vues, glissements des images et changements d’interprétations. Se libérant des usages culturels et du cadrage imparti du réel !

John_Chiara.jpg

A la Galerie Miranda au 21, rue du Château d’Eau 75010 Paris /// Jusqu’au 6 février 2021 /// Exposition : ‘Angel Dust’ ( La poussière des anges ) - JOHN CHIARA

J'utilise deux caméras différentes dont une caméra obscura, qui m’oblige à entrer physiquement à l'intérieur pour y coller le papier avec du ruban adhésif à l'arrière de la caméra. C’est comme une caméra de terrain. Je dois assembler la caméra sur place lorsque je vais prendre la photo. Je fais la mise au point presque mathématiquement avant d'assembler la caméra….” a-t-il précisé récemment. Et d’ajouter : “J’ai tendance à photographier sur de longues périodes de temps dans des domaines très spécifiques. Je décide dans quelle zone je veux photographier avant de fouiller ces zones. Puis je conduis, me gare, sors de ma voiture et regarde ce que je pourrais prendre en photo, en tenant compte des limites de mon équipement, du stationnement et de toutes autres limitations. Et alors, je photographie ce qui me frappe. Souvent, c'est presque comme voir quelque chose qui sort de rien. Beaucoup de ces choses que je finis par photographier sont des choses devant lesquelles on passe sans faire attention et dont on ne pense pas que cela puisse faire une photographie"”. Avant de poursuivre ainsi : “Je viens de Californie. J'ai photographié la majeure partie de ma vie. J'ai commencé à prendre la chose très au sérieux quand j'étais à l'université en étudiant la photographie avec un appareil photo argentique 4x5 et faire des planches contact. C’est là que j’ai décidé que je voulais commencer à photographier directement sur papier. J'ai fait cette découverte dans les années 90”. Utilisant l’exposition directe de la lumière sur le film et sur le papier par voie d’ inversion, ses clichés livrent des objets singuliers saisissants. En effet, la démarche artistique de John Chiara (Photo ci-dessous Crédit@DR) s’appuie sur la manipulation d’appareils comme de procédés chimiques fastidieux offrant une matérialité des images unique. Le regardeur appréciera ici ses travaux nous disant que la relation entre la photographie et la mémoire est complexe et toujours en mouvement, que les souvenirs sont changeants et sans frontières fixes. Et qu’il faut - selon les mots de l’artiste - les explorer depuis l’intérieur pour y voir plus clair. On aime tout particulièrement cette approche qui clame que c’est le poids spychologique d’un souvenir qui le grave dans le cerveau. Et qu’avec le passage du temps, le lien se desserre avec l’objet original du souvenir mais que la trace visuelle, elle, reste intacte. Mais aussi ces fragments de mémoires furtifs - semblant passer d’un état solide à un état volatile - récoltés à partir de ces appareils géants que l’artiste à fabriqués lui-même - proche du daguerréotype - et transporte à l’aide d’une remorque à plateau à l’arrière de son pick-up sur des lieux de prise de vue comme ce fascinant quartier d’Angyalföld de Budapest en Hongrie !

SYLVAIN- ©Tawni Bannister for The New York Times.jpeg

A la galerie C au 6, rue Chapon 75003 Paris /// Jusqu’au 21 décembre 2020 /// Exposition : Sub Rosa - Sylvain Couzinet-Jacques

J’ai commencé à photographier avec beaucoup de légèreté, il y a un peu plus de 10 ans, essentiellement dans le but de prendre des notes rapides pour l’exécution de peintures que je voulais réaliser à l’époque. Je n’ai jamais peint ces toiles, et je n’ai jamais réussi non plus à ne prendre que des notes rapides. J’ai été happé par le médium, la lenteur paradoxale de son exécution, sa relation au réel…” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ceci : “Je considère aujourd’hui la photographie comme le fait d’une construction complexe, partagée entre faits de conscience et réalités imageantes. A ce titre, la photographie que je pratique appartient à un ensemble plus vaste du travail de l’image, de l’art. Il me semble que dans mes pièces comme « Standards&Poors » autour de la crise immobilière espagnole, la photographie est moins l’illustration documentée d’un état qu’un matériau prélevé sur place et transformé.” Avant de poursuivre ainsi : “Malgré le caractère indiciel de l’image photographique, les transformations que je fais subir aux images les situent en marge des indices, de ce qui est présenté et que l’on croit voir ; en périphérie des faits”. A la frontière entre plusieurs disciplines, ses oeuvres oscillent entre représentations concrètes et perceptions de conscience en rendant impossible toute lecture plane. Elles nous parle d’un monde en crise dans un langage visuel et conceptuel saisissant nous disant qu’il est toujours surprenant de voir comment des univers entiers peuvent se nicher dans les détails et comment des territoires - qui semblent au premier abord limités - s’avèrent être de vastes étendue à explorer. En effet, la démarche artistique de Sylvain Couzinet-Jacques (Photo ci-dessus Crédit @TawniBannisterForTheNewYorkTime) questionne les notions de ré-enchantement, de la circulation immatérielle des données et de l’appropriation collective dans une préocupation pour l’art comme fait esthétique en tension permanente avec les faits sociaux. Le regardeur appréciera ici notamment cette installation video et sonore hypnotique construite autour d’adolescents et d’un monument en ruine du fascisme espagnol. On aime tout particulièrement cette gestuelle montrant ces photographies présentées sous forme de séquences amovibles. Et nous renvoyant étrangement à Walter Evans et aussi à la petite ville d”Eden, en Caroline du Nord où l’artiste avait acheté une maison pour y travailler !

Portrait_Massinissa Selmani_HD ©Massinissa Selmani, Galerie Anne-Sarah Bénichou.jpg

Massinissa Selmani

L’avantage du dessin est qu’il faut peu de choses pour pouvoir travailler. Je passe presque autant de temps à faire qu’à regarder ce que je fais. Ce qui l’intéresse dans le dessin, c’est qu’il donne une certaine autonomie. C’est aussi une autre manière de prélever dans le réel dans ce qui m’entoure.” a-t-il indiqué récemment. Et d’ajouter ceci : “J’aime bien la notion d’échec, tout comme les situations impossibles et absurdes. Mon travail se caractérise par des formes dessinées et donne corps à l’insondable”. Avant de poursuivre ainsi : “Mon père a tenu un commerce de reprographie où je passais beaucoup de temps à dessiner au milieu des imprimantes, des photocopieuses. J’étais fasciné par les détails, par la texture du papier de mauvaise qualité, par l’odeur de l’encre. J’ai eu une enfance très heureuse. On riait tout le temps. On tournait tout à l’absurde. Une expression algéroise résume bien cet esprit : on a rien on ne manque de rien”. Dans un trait net et précautionneux, ses oeuvres engagées exaltent la poésie et désamorce la violence dans une gestuelle porteuse d’énigmes entre transparences et opalescences. En effet, la pratique artistique de Massinissa Selmani (Photo ci-dessus Crédit@DR) nous parle autant d’obstination que de minutie en s’attaquant au caractère souvent fallacieux de la mise en scène et en soulignant l’importance de l’architecture comme élément de pouvoir. Le regardeur appréciera la dimension documentaire à l’oeuvre au coeur de ses travaux où les constructions mentales livrent des espaces dépeuplés de toute présence humaine. On aime tout particulièrement ces mises à l’arrêt du monde témoignant de la légèreté du dessin sans artifice, direct et apte à établir la mise à distance. Mais également ces recompositions rêvées du monde occultant systématiquement le contexte pour mieux rappeler que l’artiste se trouvait en Algérie au moment des attentats et que les ‘Unes’ tragiques qu’il voyait dans la presse lui offraient une lucidité nouvelle. Ne prétendant jamais imposer ni histoire ni intrigue ni scénario !

2.JPG

A la galerie Andréhn-Schiptjenko au 10, rue Sainte-Anastase 75003 Paris ///Jusqu’au 9 janvier 2021 /// Exposition : Shorelines (Rivages) - Ridley Howard

J'aime penser à la scène d'amour en tant que genre. Même dans un film qui n’est pas une romance, vous devez avoir une scène d’amour. Alors, je pense à la peinture qui est la scène d'amour. Elles existent dans un corps plus large que l'œuvre et sont présentées comme une sorte d'ordinaire. Il y a un équilibre chaud / froid qui est important….” a-t-il confié récemment. Et d’ajouter ceci : “J'aime faire des tableaux qui peuvent être lus de multiples façons, le tout dans une seule image synthétisée. Ce concept est le plus actif dans certaines des peintures d'amoureux. D'une certaine manière, ils sont très banals, d'une autre manière ils sont chargés, d'une autre encore ils sont drôles, parfois ils se ressentent comme des images qu’ils s’approprient, et ils sont presque sentimentaux dans leur romantisme. J'espère qu'ils soient difficiles à cerner”. Avant de poursuivre ainsi : “ J'étais un enfant rêveur et je regardais beaucoup par la fenêtre. Mes parents, qui étaient très sportifs, et qui s'inquiétaient de ce fait m'ont inscrit au football, ce qui était inhabituel dans les années 1970 à Atlanta. Le premier jour d’entraînement, je me suis blessé au gymnase et je ne pouvais pas jouer. Après un début difficile, je me suis avéré être un très bon joueur. J'avais beaucoup de cœur et je travaillais dur.” Articulées dans leur propre décor par des objets finement décrits, ses oeuvres explorent la nostalgie et le désir émotionnel dans des espaces délicatement construits presque flottants. En effet, la démarche artistique de Ridley Howard ( Photo ci-dessus Crédit@HollyCoulis) confronte la grandeur de l’espoir et la maladresse de la réalité dans une sensualité poignante révélant l’éphémère de l’existence. Le regardeur appréciera ici - au sein de cette première exposition personnelle de l’artiste en France - ces sublimes toiles où s’expérimente les forces élémentaires de la peinture dans un calme persistant et des relations d’apparent détachements. On aime tout particulièrement cette gestuelle portée par une simplicité trompeuse et qui s’empare des sentiment d’aliénation et de monumentalité dans des instants capturés. Mais aussi cette peinture figurative animée par ce processus de distillation ouvrant sur d’autres réalités. Tout en exprimant régulièrement, par l’amenuisement, la paix du rivage via ces menus indices de bandes côtières !

SHAN COPY PORTRAIT.jpeg

A la galerie Hussenot au 5 bis, rue des Haudriettes 75003 Paris /// Du 4 décembre 2020 au 27 février 2021 /// Exposition : Fooled again - Shannon Cartier Lucy

Parfois, lorsque je regarde d’autres œuvres et que je vois les visages des gens représentés, je me dis : "non, je ne veux vraiment pas avoir cette photo chez moi, pourquoi voudrais-je la regarder tout le temps? C'est en quelque sorte envahissant. Quand j'ai commencé à peindre, j'ai pensé que si je laissais cette partie vague, ce serait un peu plus généreux pour mon public, pour que les gens puissent y entrer plus facilement..” a-t-elle confié un jour. Et d’ajouter ceci : “Pour un tableau, je me suis recouverte un jour de plastique dans ma chambre, et d’un tas d'autres choses en plastique, puis j’ai peint. Je me suis peinte avec une chaise sur le dos, tombant de la table de la salle à manger, et dans ma chambre en train de faire une pose de type yoga avec ma jambe sur une table. Mais est-ce vraiment important que ce soit moi ? Non, j'avais juste besoin d'une bonne référence pour l'éclairage...” Avant de poursuivre ainsi : “Il n’y a pas de communauté visible avec laquelle je suis connecté à Nashville, ma ville natale dans le Tennesse. C’est un peu ‘My own private Idaho’. Il y a quelque chose qui fonctionne pour moi dans le fait d’être vraiment isolé. J'arrive à me concentrer vraiment sur moi-même et à générer des idées à partir d'un endroit aussi intact.” Ses huiles sur toile nettes et imprégnées de tons chauds et sourds nous plongent dans un univers poreux semblant déchargé de toute logique. Les décors étranges qu’elle trempe troublent souvent le sujet tantôt aux portes du malaise tantôt pris aussi dans les jeux de la vie. Car si elle parvient à dresser des spectacles d’une profonde solitude évoquant le délire domestique subsistent toujours des notes optimistes de quiétude et un humour fait d’un second degré jubilatoire et grinçant. En effet, la démarche artistique de Shannon Cartier Lucy (Photo ci-dessus Crédit@CourtesyShannonCartierLucy) nous parle autant d’amour, de désir que d’une confusion sans fin. A travers ses peintures aux allures modestes et loquaces, les réponses restent toujours hors de portée. Le regardeur appréciera ici cette absence troublante d’intrigues et de séquence linéaire le poussant au bord du précipice constamment, là où les inhibitions se terminent. Plongé dans une sorte de rêve lucide, il découvre ces tons feutrés aptes à exprimer le lugubre et des univers parallèles insolubles. On aime tout particulièrement cette douzaine de nouveaux travaux aux couleurs désaturées nous conduisant dans les entrailles d’un labyrinthe figuratif complexe où l’artiste reconfigure le monde à satiété !

Capture d’écran 2020-11-06 à 10.24.47.png

A la galerie Christophe Gaillard au 5, rue Chapon 75003 Paris /// Initialement jusqu’au 31 décembre 2020 /// Exposition : I HATE MY PAINTINGS (Je déteste mes peintures) - Hélène Delprat

“Peindre, c'est l'inverse de filmer. Quand je me filme, la caméra est finalement à ma place de quand moi je peins. Donc, quand je peins, je regarde, je vois mon support. Et quand je me filme, je suis une peinture…” a-t-elle déclaré il y a quelques années. Et d’ajouter ceci : “J'essaie de transmettre la nécessité de déborder, la nécessité de l'excès, la nécessité de l'échec, la nécessité du risque. Ne pas se répéter ou se répéter, mais la nécessité de ne pas forcément se reconnaître.” Avant de poursuivre ainsi : “J'aime regarder des choses, pas mes peintures”. Se fondant dans différentes formes médiales, ses oeuvres déploient un monde sensible et polymorphe s’exprimant aussi bien dans des décors de théâtre, la peinture que des réalisations radiophoniques. Hors de toute répétition, elles se peuplent de symboles, de silhouettes animales et d’esprits primitifs réduisant constamment la distance entre le tableau et son sujet. En effet, la pratique artistique d’Hélène Délprat ( Photo ci-dessous Crédit@HélèneDelprat, Adagp, Paris, 2020) rejette tout rationalisme en maniant une auto dérision régulièrement nourrie de conversations entre hachures et quadrillages. Le regardeur appréciera ici ces derniers travaux complexes semblant lui dire “qu’importe le sens” et refusant en définitive tout commentaire. A ce sujet l’artiste indique : “C’est le titre de la vérité. Je ne me délecte jamais de ce que j’ai fait, ce que j’aime c’est faire. Je n’aime pas voir mon travail fini et, ce qui est paradoxal, c’est que pour faire il faut voir et, quand on peint, on passe même plus de temps à regarder qu’à peindre. Puisque je ne sais jamais à l’avance ce que je vais peindre, j’attends que mes taches se lèvent et fassent un début de phrase !” On aime tout particulièrement cette gestuelle révélant des “images-énergies” singulières dans des conceptions figuratives conceptuelles où la nature de l’artiste ne se dérobe jamais. Et nous faisant entrevoir de loin - après être sorti du chemin - ces troupeaux venus d’Afrique dans une invitation à se perdre aussi hypnotique que sacrificielle !

Portrait_PhilippeMayaux_(C) TousDroitsReservés_1.jpg

A la galerie Loevenbruck au 6, rue Jacques Callot 75006 Paris /// Jusqu’au 31 décembre 2020 /// Exposition : Butterfly Divinities - Philippe Mayaux

Sans aucune frivolité, je pense être le plus Duchampien des peintres. Toute ma pratique dérive de la sienne, de sa pataphysique, de son érotisme, de ses jeux d’illusions, de ses engrenages…” a-t-il déclaré il y a quelques années déjà. Et d’ajouter : “Je suis dans la continuité de ce quelque chose qui est cet esprit et de cette recherche surréalistes qui mélange l’intérieur et l’extérieur, l’inconscient et la science, la nature et le surnaturel. On a séparé la science de l’imagination. J’aimerais créer un travail qui les réunit à nouveau, qui en fait à nouveau des amis”. Et de poursuivre ainsi : “Je travaille plusieurs tableaux à la fois. C’est plutôt lent. Je prends un temps fou à les regarder longtemps… On dirait que je veux les épuiser à force de les renifler et inspecter. Je modifie, je regarde. Ça avance. Ça échoue beaucoup surtout, puisque je recouvre les deux tiers de mes tableaux. D’une certaine façon, je suis un peintre casanier. Je travaille souvent la nuit, j’allume la télé en même temps, à écouter des séries sur l’Histoire”. Ralentissant le regardeur en le liant par un tête à tête intime, ses oeuvres contestent tout caractère intimidant ou grandiloquent. Elles optent pour la stratégie du réduit en revendiquant le sans spectacle et le sans effet. Ainsi, la pratique artistique de Philippe Mayaux ( Photo ci-dessus Crédit@TousDroitsRéservés) combine l’orde du psychédélique, du gore, de l’humour et de l’hyperréalisme dans un style qu’il qualifie parfois de “minable” ou de “retranché”. Le regardeur appréciera ici ces derniers travaux marqués par le registre constant du paradoxe repoussant la pensée bourgeoise via des duels conceptuels entre l’esprit et la réprésentation. On aime tout particulièrement cette gestuelle tournée vers ces superbes techniques mixtes sur toile - nommées Dagona, Pilia ou encore Poseidona- obligeant le cerveau à circuler dans un multi espace qu’il ne connait forcément pas. Mais aussi ces métamorphoses obsédantes de figures portant la marque d’un artiste athée. Confrontant dans un déroulé de la discontinuité et de l’engendrement le beau, le présage et l’hideux !

Agnes Thurnauer_Photo Florian Kleinefenn.JPG

A la galerie Michel Rein au 42, rue de Turenne 75003 Paris /// Jusqu’au 30 janvier 2021 /// La Traverser - Agnes Thurnauer

Les livres sont pour moi une géographie que j’arpente et où je puise des idées, des mots. Dans mon atelier même, à Ivry-sur-Seine, j’aime passer de l’espace horizontal de la page à l’espace vertical du mur de travail. Ils agissent comme des vases communicants…” Et d’ajouter ceci : “J’ai travaillé seule jusqu’à un âge certain, en suivant mon inspiration et en observant les artistes que j’aimais et qui souvent travaillaient dans une grande autonomie par rapport aux modes de l’époque”. Avant de poursuivre ainsi : “Pour ma part, je dialogue avec les artistes du passé comme s’ils étaient présents : ce qui date une oeuvre, c’est le moment où le regard se porte sur elle, plus que l’époque où elle a été produite”. Marquées par l’omniprésence de l’écriture - en confirmant que le langage de la peinture est un rapport du corps au mental et vice versa - ses oeuvres dévoilent des figures anthropomorphes, laissant la question de l’identité ouverte. Elles interrogent le genre et le langage qui s’étayent mutuellement. En effet, la pratique artistique d’Agnès Thurnauer (Photo ci-dessus Crédit@FlorianKleinefenn) se tient sur un seuil, devant la peinture et devant le temps. Elle se place toujours dans la lecture , entre la graphie et le sens, entre le signifiant et le signifié. Le regardeur appréciera ici notamment la sublime série primitive BIG-BIG ET BANG-BANG nous disant que toute oeuvre, comme tout être, comporte sa propre archéologie pas comme un passé mais comme un devenir toujours actif. On aime tout particulièrement cette gestuelle libre et expérentielle conviant les mots à être une traversée d’un format à un autre. Nous renvoyant aux sculpturales matrices chromatiques de l’artiste nous rappelant que quand on apprend une langue, on annone les syllabes, quand on la lit, on effectue un travelling dans l’écriture.

IMG_0960.jpg

Jade Boissin

L’esthétique que je développe au fil de mes toiles n’a pas été choisie par hasard. Si la question du goût y est présente, au-delà de cela il y a le fait qu’elle fasse directement référence à une peinture reconnue par tous les milieux comme étant de l’art. Explorant au sein de mon travail les différents paradigmes de ce qui constitue notre culture, ces références partagées y sont essentielles, car elles ont mis en images au fil des siècles différentes structures sociales…” a-t-elle déclaré dernièrement. Et d’ajouter ceci : “Un des points de départ de cette réflexion a été l’observation de la peinture du XIXème siècle. Le fait d’étudier comment cette peinture s’est développée, quelles en étaient les aspirations, les idéaux, me permet de comprendre ce que je cherche dans cette peinture figurative, que je sens comme essentielle dans une période anomique, comme l’était celle du XIXème et comme l’est la société contemporaine. La répétition du schéma m’attire, alors que la société se crée de nouveaux mythes collectifs, de nouveaux héros, je cherche en même temps à comprendre les enchainements qui ont abouti à nos situations sociales actuelles.” Avant de poursuivre ainsi : “Un des principes de cette peinture pompière était la recherche d’un idéal de beauté, dans une logique universaliste, à l’heure où les ouvriers descendaient à la mine et Haussmann taillait Paris en tranches. La beauté pour échapper à la réalité du monde. Celle du XIXème n’étant plus applicable, les codes ont changé, il nous faut réinventer. Je me permettrais juste un peu plus d’humour que Bouguereau car l’ironie est de mise dans mon univers”. Composant un ensemble narratif complexe exprimant régulièrement la farce du pouvoir dans des détournements subtils où agit la pantomime de personnages questionnant la notion de postérité, ses oeuvres assument délibérément l’utilisation de l’iconographie de l’art ancien. En effet la démarche artistique de Jade Boissin (Photo ci-dessus Crédit@DR) est marquée par le regard des peintres qui illustraient le pouvoir et la puissance d’un commanditaire. Le regardeur appréciera cette gestuelle personnelle attestant que l’artiste peint de manière indirecte par couches successives : dessin, grisaille, demi-teintes, glacis. On aime tout particulièrement ces toiles dévoilant un parcours que l’artiste a voulu initiatique où l’attachement à une certaine Sainte Blandine rappelle un questionnement approfondi sur les incarnations de la femme dans le monde actuel. En soulevant dans un même temps l’idée de parade dans une approche empruntant aux méthodes de la sociologie, de l’anthrorolopologie sur le terrain et d’une observation participante !

photo par Nickolas Lorieux.jpg

A la galerie Pixi au 95, rue de Seine 75006 Paris /// Initialement jusqu’au 30 novembre 202O sur rendez-vous et reprise en décembre /// Exposition : Les voies sauvages - Mary Clerté

J’ai découvert la technique de l’aquarelle en commençant cette série il y a deux ans, cette technique m’a d’abord séduite car elle me permet de retranscrire les images qui me traversent très rapidement, comme un instantané. Puis j’ai aimé son côté vaporeux et liquide, la technique a alors rejoint le sujet s’apparentant au liquide amniotique…” a-t-elle déclaré dernièrement. Et d’ajouter : “Enceinte, J’ai constaté aussi que notre corps ne nous appartient plus vraiment. C’est quelque chose qui m’a marqué et c’est une sensation que j’essaye d’exprimer dans les dessins, notamment avec toutes ces mains invasives..” Avant de poursuivre ainsi : “J’ai commencé cette série peu après avoir eu mon premier enfant, Enceinte je me suis souvent interrogée sur la sensation d’avoir un corps étranger à l’intérieur de soi, je m’imaginais régulièrement accouchant d’une brebis ou d’un lapin.” Se déployant sur un terrain mouvant ses oeuvres nous parlent autant de vision glaçantes - faites de bambins spectraux ou corps mutilés - mais aussi d’antidotes inattendus. En effet, la pratique artistique de Mary Clerté ( Photo ci-dessus Crédit@NickolasLorieux ) livre une animalité enfouie en nous rappelant qu’une bonne image se passe de discours et parle d’elle-même. Elle s’empare du subconscient et de fantasmagories en nous remémorant de temps en temps l’univers d’un certain Yorgos Lanthimos en assumant des notes désuètes ou très enfantines. Le regardeur appréciera ici cette gestuelle personnelle traitant des mystères de l’identité et des différentes formes d’innocences. On aime tout particulièrement cette confrontation visuelle attendue avec le spectateur autour d’une bestiaire insinuant et déconcertant. Sous un registre filmique mettant en vis- à-vis des dentiers carnassiers, des animaux sacrifiés, des postures juvéniles ou encore des scènes gore parcourues d’apparitions aux visages blessés !

68CC08A7-C1BE-4927-969C-159432BDBEFD.JPG

Jeanne Révay

J’ai un regard affamé, insatiable, pour les images qui m’entourent au risque d’une saturation qui pourrait parfois m’aveugler. Mais cette orgie visuelle ne me lasse jamais. Voilà pourquoi dans mon travail simplifier l’image permet d’ordonner le flot qui m’assaille. Mon oeil a parfois la sensation de dévorer l’image…” a-t-elle déclaré très récemment. Et de poursuivre ainsi : “Toutes mes photographies sont faites uniquement avec un i phone. La légèreté de cet objet me permet de rester alerte et mobile dans un monde constamment en mouvement et face aux images qui affluent.” Avant d’ajouter cela : “Je dessine depuis l’enfance et après des études de philosophie esthétique et d’art à la Sorbonne, les médiums tels que la photo, la vidéo sont devenus pour moi comme des îlots formant un archipel!”. Parcourues de pulsions impérieuses, de retranchements, de nervures ou de rondeurs atmosphériques, ses oeuvres déploient des vibrations révélant de grands planisphères célestes. Le fusain, le pastel sec poudré, le feu, sont autant de matériaux presque fluides qu’elle essaie de fixer sur la feuille blanche. Au coeur de son travail cohabitent évanescence et apesanteur estompant les frontières d’un pays se situant à l’intérieur d’elle-même et ne choisissant jamais entre abstraction et figuration tels deux mondes inconciliables. En effet la pratique artistique de Jeanne Révay (Photo ci-dessus Crédit@DR) s’entend comme des radiographies de l’âme tournées vers des mythes contemporains nous renvoyant à Kairos, l’Hystérie ou la Chute d’Icare. Le regardeur appréciera ses saisissantes videos en noir et blanc trouvant écho dans des connexions synaptiques et des beautés placides. On aime tout particulièrement la troublante et hypnotique série Phantasia : une série de projections de dessins (détruits par la suite), faisant un peu penser à une étoile mystérieuse dont la lumière nous parviendrait encore sur terre, mais qui est déjà morte en réalité ailleurs. Dans un inconnu que l’artiste souhaite conserver intacte !

Portrait 3.jpg

A la galerie Modulab au 28, rue Mazelle 57000 Metz /// Du 12 novembre au 19 décembre 2020 /// Exposition : Signaux Noirs - Olivier Garraud

Pour moi le langage, qu’il soit dessiné ou écrit, opère comme une sorte de sésame. Il faut le modeler, lui donner les contours les plus à même de toucher aux réels, des affects, de la culture et de l’actualité, selon où on veut aller” a-t-il déclaré dernièrement. Et d’ajouter derechef : “Pour moi le dessin a toujours été un langage à part entière. L’écriture est arrivée pour le compléter, avec des schémas. La contrainte du quadrillage me donne beaucoup de liberté pour développer mes idées. Celles-ci sont tour à tour, grinçantes, frontales, humoristiques, elles tendent à interroger notre époque et notre société.” Avant de poursuivre ainsi : “En 2016 je découvrais le travail de David Shrigley, ça avait été pour moi une révélation.” Abordant les grands enjeux idéologiques contemporains, son travail et ses productions participent du détournement généralisé des signés empruntés au réel ainsi qu’à la sphère médiatique. En effet, la pratique artistique d’Olivier Garraud (Photo ci-dessous Crédit@DR) pose la question de l’instrumentalité du langage dans une gestuelle combinatoire et une économie réticulaire saisissante. Elle met en lumière des sociétés fragmentées dans des messages synthétiques sous une polyphonie dessinée cartographiant l’esprit du temps. Le regardeur appréciera ici ces travaux faisant souvent écho à la pensée becketienne dans des séquences animées faites de solitudes urbaines mais aussi de branding. On aime tout particulièrement ces constructions visuelles antinomiques presque épileptiques qui traitent du statut de l’image et des survivances iconiques. Mais aussi ces sélections d’oeuvres issues de l’Office du dessin : cet exigent protocole de travail dans lequel l’artiste range ses différents travaux réalisés au crayon posca sur papier - ainsi qu’un film d’animation. Développant un potentiel transitif au cœur de l’espace.


MATSUTANI TAKESADA-hires.jpg

A la galerie Hauser&Wirth 16-15/F 80, Queen’s Road Central Central, Hong Kong /// Jusqu’au 11 février 2021 /// Exposition : Takesada Matsutani /// Commissariat : Olivier Renaud-Clément

Je me suis rendu compte très tôt que l’art n’est pas seulement figuratif. Je me suis donc mis à observer les noeuds sur le bois du plafond de ma chambre, puis à les dessiner…” a-t-il expliqué dernièrement. Et d’ajouter : “Le pays, suite à la guerre, a beaucoup emprunté à l’Europe, alors il fallait créer de la nouveauté, surtout ne pas copier. J’ai été très influencé par le groupe Gutaï, je voulais y prendre part”. Avant de poursuivre ainsi après un long silence :”M’installer en France, m’a permis de redécouvrir ma culture japonaise”. Accompagnant la quête de son” image intérieure”, ses oeuvres interrogent l’espace et le temps tout en conjuguant des préoccupations spirituelles questionnant l’immobilité et le mouvement. Les reliefs et les cloques, nés de luttes acharnées avec la colle vinylique trouvent écho dans le rythme austère et répétitif du passage du crayon. En effet, la démarche artistique de Takesada Matsutani (Photo ci-dessous Crédit@CourtesyTheArtistandHauser&Wirth) capte ces moments d’éternité célébrant toute la richesse du noir et exprimant dans un même temps le drame sous-jacent d’un XXème siècle meurtri. Le regardeur appréciera ici ces oeuvres, telles des peaux distendues dramatiques - sans être toutefois sinistres - qui viennent exprimer un long travail de résistance. Il retrouvera au coeur de cette première exposition monographique ce langage visuel éclatant de rigueur à travers des travaux récents sur papier, des assemblages, des peintures monumentales mais aussi une installation emblématique recréée sur place. On aime tout particulièrement cette gestuelle plastique marquée par le désir constant de vivre nous rappelant que l’esprit n’est pas toujours subordonné à la matière et que la matière n’est pas forcément assimilée par l’esprit. Mais aussi ces formes organiques à la fois complètement abstraites et intensément sensuelles se répercutant invariablement en tout. Dans des manifestations de la vie réinventant sans cesse la tradition !

IMG_6777.jpg

A la galerie Zwirner au 108, rue Vieille du Temple 75003 Paris /// Jusqu'au 19 décembre 2020 /// Exposition : Oscar Murillo 

« La contestation du monde occidental et son effacement sont deux concepts qui habitent mon travail depuis plusieurs années... » a-t-il indiqué dernièrement. Et de poursuivre ainsi par ces mots : « Je mène une réflexion sur la notion de culture et sur la signification que ce terme revêt pour moi aujourd'hui ». Avant d'ajouter ceci : «Ce dernier corpus de peintures - nées durant la période si particulière du confinement - fait allusion à l'agitation politique croissante, tant au niveau local en Colombie, où j'ai été retenu, que dans le monde entier ». Interrogeant les liens interculturels dans une économie globalisée, ses œuvres développent une intensité visuelle et formelle jouant sur les notions de signification et de création de sens. A travers la transformation et l'oblitération du langage, elles suggèrent via son lot de fragments et de matériaux recyclés une résistance aux systèmes d'autorité. En effet, la pratique artistique d'Oscar Murillo (Photo ci-dessous Crédit@CourtesyTheArtistAndDavidZwirnerPhotographByJulianValderrama) puise au creuset que constituent les expériences personnelles dans des ruptures esthétiques captant une expérience transformatrice. Le regardeur appréciera ici, au cœur de cette exposition parisienne magistrale, ces nouvelles peintures saisissantes maintenant le présupposé de l'universalité de l'expérience humaine et démontrant les possibilités d'émergence de nouveaux récits. On aime tout particulièrement la troublante série Manifestation donnant à voir des répétitions de lettres et de mots dans un processus physique de marquage d'une énergie explosive. Et revendiquant, dans une problématique de l'exil les champs de la mixité culturelle et de la communauté. Aux confins d'un expressionnisme abstrait assurément vigoureux et virulent !

GONZALEZ-Terencio-Portrait-760x1024.jpg

A la Galerie Jérôme Pauchant au 61, rue Notre Dame de Nazareth 75003 Paris /// Jusqu’au 4 juillet 2020 /// Exposition : PATIO DE LUZ

Je me dis parfois que la peinture est une toile fixe autour de laquelle on tourne, alors que le cinéma est une toile mobile face à laquelle on reste fixe. Ma manière de travailler est avant tout intuitive. Pour point de départ, je débute avec une piste et je vois ensuite où cela me mène, les résultats pouvant grandement varier….” a-t-il confié récemment. Et d’ajouter ceci : “J’ai découvert ces affiches en me promenant dans les rues de Buenos Aires où j’ai de la famille. C’est un mode de diffusion très bon marché pour annoncer des initiatives alternatives. J’ai tout de suite été très attiré par le mélange de couleur puissant, leur force symbolique et la technique de réalisation rudimentaire et artisanale. ” Et de poursuivre ainsi : “L’utilisation des couleurs primaires n’est pas, consciemment, un parti pris : cet aspect du travail est particulièrement intuitif”. Puisant à la fois dans un art conceptuel et dans une forme d’abstraction, les oeuvres de Terencio Gonzalez (Photo ci-dessus Crédit@DR) révèlent une matérialité picturale engagée dans une logique d’approfondissement saisissante mais également des surfaces de travail venant stimuler des formes et des bleus tenaces venus du ciel ou de l’omniprésence de lumières devoilant les constituants d’histoires personnelles. Le regardeur appréciera ici ces travaux nourris de fonds d’affiches, de scènes urbaines où les aplats de couleurs croisent des traces fantomatiques venus du monde des imprimeurs. On aime particulièrement cette pratique marquée par la compassion et les allers-retours entre deux continents qui délivrent cette sensation puissante d’éblouissement, comme celle qui reste sur la rétine après voir regardé fixement le soleil. Et par ces matériaux accompagnant la simplicité du geste et en gardant en eux la trace !

Chourouk Hriech (France), Galerie Anne Sarah Benichou (Paris), Bawwaba, Art Dubai 2019, Courtesy of Photo Solutions.jpg

Chourouk Hriech

Dans l’élaboration du dessin, la première étape c’est la lecture. C’est un ensemble de regards sur des vieilles images, des contes, de la théorie aussi, le paysages culturel. Une fois cela réalisé, je vais me balader, faire quelques croquis, des photos, écrire, beaucoup discuter. Je reviens à l’atelier et je travaille sur ma table à dessin…” a-t-elle expliqué récemment. Et d’ajouter ceci : “L’écriture va amener les images, un peu comme lorsque l’on écoute une musique. Cette musique nous projette dans plein de paysages.” Avant de poursuivre ainsi : “La verticalité ferme en fait les choses alors que l’horizon les ouvre. Cette question là de la frontière c’est quelque chose où l’on va se dire que la frontière est celle que l’on se met nous-mêmes ou celle que l’on nous impose également. Cela fait partie des choses qui sont encore des questions de vie, des questionnements intimes personnels.” En effet, la démarche artistique de Chourouk Hriech (Photo ci-dessus Crédit : SolutionsPhoto) nous parle de mondes flottants, de lignes d’horizons communes en arrière-plan, de costumes habités de bâtiment ou vice-versa. Le regardeur appréciera ces travaux saisissants où la recherche donne vie et dégage une tension avec moins d’éléments en amenant au premier plan les figures de l’habité et de l’inhabité mais aussi du lieu, du non-lieu et du hors lieu. On aime tout particulièrement cette pratique où le dessin mural se déploie dans une dynamique offrant un effet de zoom rappelant le balayage du regard du paysage par les oiseaux à 360° et donnant l’idée d’une tridimensionnalité qui n’en est pas. Mais aussi cet étirement dans le temps et dans l’espace révélant un rapport au monde de l’artiste à travers lequel le dessin est finalement complètement à contre-courant car très lent et extrêmement long. Apte à exprimer merveilleusement le temps des choses !

Capture d’écran 2020-07-22 à 11.56.06.png

Nathalie Boutté

J’ai trouvé cette femme très belle et son histoire très touchante. Nous avions presque le même âge. J’ai ressenti beaucoup d’empathie pour elle. Ses yeux, son regard étaient le plus intéressants pour moi . Ils sont le reflet de son âme…” a-t-elle déclaré dernièrement au sujet de Kate Spade. Et d’ajouter ceci : “J’ai abordé le travail des collages par le gris typographique, c’est ce que j’ai appris dans ma vie. On ne m’a pas appris à tenir un pinceau on m’a appris à tenir un cutter, un rottring et voilà…. A partir du moment où j’ai appris à maîtriser l’outil informatique, évidemment j’ai travaillé le pixel que l’on retrouve dans mes pièces”. Avant de poursuivre ainsi : “J’ai besoin d’un contact physique avec le papier, d’une création manuelle. Le souvenir est partout. Il est dans ce que j’utilise comme matériel et il est aussi dans les oeuvres que je transcris”. En effet la démarche artistique de Nathalie Boutté (Photo ci-dessus Crédit@TinaMérandon) s’appuie sur des photos anciennes qui ont toutes une histoire et prend forme dans un atelier où l’artiste, seule, préserve ses souvenirs en entrant dans ses histoires et dans son passé. Elle nous dit que l’artiste vit avec sa pièce de manière extrêmement lente et fastidieuse. En apprenant durant des mois à manipuler la matière telle “une vieille histoire de couple”. Le regardeur appréciera ici ces travaux saisissants où les souvenirs sont constamment remis à plat et où l’artiste est enfermé dans son collage, cette bulle à part. On aime tout particulièrement cette pratique de plumage où s’établissent deux niveaux de lecture. Plus précisément cette pièce de cette encyclopédie musicale découpée, petite musique des souvenirs de Nathalie comme une sorte de portrait de famille - montrée à Montrouge - nous emmenant dans un univers parallèle. Disant tantôt la disparition - dans une recomposition de palettes de nuances laissant parfois apparaître des textes graissés - tantôt l’Afrique !

Capture d’écran 2020-07-22 à 12.55.17.png

A la galerie Jousse Entreprise au 6, rue Saint-Claude 75003 Paris /// Jusqu’au 17 juillet 2020 /// Exposition : LE LAISSER-FAIRE

Au moment où les innovations technologiques envahissent le monde de l’art, je pense que le Vivant nous adresse par son langage un message fondamental… Pour ma part, je l’intègre comme processus de création au sein même de mes recherches…” a-t-il confié dernièrement. Et d’ajouter : “Pour ce projet, de l’hiver 2011, j’ai fixé les quatre châssis sous la voûte d’une cave à huit mètres sous terre. En même temps, j’ai accroché la seconde série sur le mur d’un jardin. Dans le premier cas, on était dans un lieu au temps suspendu, sans lumière diurne ni nocturne, ni variation thermique ni hygrométrique”. Avant de poursuivre ainsi : “C’était la première fois que je confrontais l’action de la nature, à celle d’une expérience dans un espace stable. Les toiles de la cave portent des signes sourds, discrets d’une écriture mystérieuse. Celles du dehors sont vivaces, colorées, éclatantes”. Accompagnant un “processus entier”, ses oeuvres s’expriment sur des toiles de coton brut tendues sur des cercles, des tores ou des matrices métalliques et nous parlent d’apparitions ou des incessantes migrations du mystère. En effet, la démarche artistique de Clément Borderie (Photo ci-dessus Crédit@JacquesYvesGucia) évoque des phénomènes révélant une vie avec ses traces propres. Le regardeur appréciera ces travaux saisissants marqués par ces éléments de marquage du temps et l’expression transitoire des saisons. On aime tout particulièrement cette pratique nous faisant voir les ressacs d’allusions, les variations journalières de conglomérats de feuilles automnales et de rouille active. Mais aussi ces givres soudains et ces scories soulignant une logique de formes imprévisibles d’un temps presque inassouvi !

IMG_8441.jpg

A la Galerie Sit Down au 4, rue Sainte-Anastase 75003 Paris /// Jusqu'au 7 novembre 2020 /// Exposition : MILLENOVECENTO

« Je tombe, d'abord, dans les bibliothèques ou dans les archives historiques, sur une image, qui me frappe pour une raison qui m'est inconnue... » explique-t-il, dans un large sourire, pour détailler son travail minutieux sous forme de greffes successives. Et d'ajouter ensuite ceci : « Dans mon installation de 2006 Baptisée Ex Voto, j'étais intervenu avec des formes en couleur sur mes dessins, ainsi que sur des documents originaux trouvés dans des archives et dans les marchés aux puces ». Pour mieux poursuivre ainsi : « Avec cette l'installation Millenovecento, je présente un travail basé cette fois sur la photographie et plus résolument orienté vers l'histoire, notre histoire commune entrelacée avec ma biographie ». Sans hiérarchie des images – ni par leur signification ni par leur qualité, ses œuvres saisissantes font souvent références aux murs des églises italiennes recouverts de tableaux ou de plaques gravées en faisant écho à « une photographie de l'Histoire ». Trouvant à de nombreuses reprises une résonance subtile dans les textes d’un certain Jacques Derrida, elles s'accompagnent de longues investigation sur les sources documentaires des images. En effet, la pratique artistique personnelle de Salvatore Puglia (Photo ci-dessus Crédit@GalerieSitDown) dévoile une myriade de décalages visuels dans des cadres de plomb, sans concession, nés d'intervention de couleur sur une matière qui est toujours à transformer. Le regardeur attentif appréciera ici cette installation exceptionnelle construite sur une structure en mosaïque où le tirage argentique est associé à des coupures de journaux, des photocopies ou encore des documents en papier frappés de balafres de rouge luminescent. On aime particulièrement cette gestuelle dialoguant in situ avec la langue silencieuse de Diego Ballestrasse indiquant que chaque pièce unique est irremplaçable. Et ne peut avoir de sens que dans le contexte de celles qui l'entouraient.