YOAN BÉLIARD

Le titre de ma dernière exposition personnelle : 330 dpi avant J.-C., est une bonne entrée en matière pour expliquer ce qui m’anime. Dans ce titre , je fais cohabiter une notion liée à l’image numérique - Le Dpi (Dot Per Inch) - et ce point sur notre échelle chronologique occidentale qu’est la naissance supposée du Christ…” A-t-il confié dernièrement. Et d’ajouter : “Avec cette tournure, il y a une forme d’anachronisme qui s’installe, et en même temps une confrontation de notions n’ayant a priori aucun lien supposé entre elles.” Convoquant plusieurs temporalités en jouant sur l’action du temps qui passe, ses oeuvres puisent leur source dans différentes disciplines telles que les sciences de la terre, l’archéologie et des “pseudo sciences”. Elles proposent à partir de fragments prélevés et juxtaposés une nouvelle lecture en suggérant des usages ainsi que des narrations saisissantes. En effet, la démarche artistique de Yoan Béliard (Photo ci-dessous Crédit@DR) laisse à chacun le soin de deviner la provenance et les rituels associés à ces artefacts non divulgués. Le regardeur appréciera cette matérialité de l’image prise comme point de départ semblant être le résultat d’une lente sédimentation dans une épaisseur renfermant notre histoire. Mais aussi ces expérimentations récentes autour du plâtre et le transfert troublant d’impressions sur ce matériau. L’artiste livre une image numérique pétrifiée via un procédé donnant naissance à des compositions racontant une histoire de la trace. On aime tout particulièrement celles baptisées “Eclipses” et “Tiwanaku” nous renvoyant à une divinité pré colombienne et des assemblages architecturaux aux contre-formes énigmatiques. Et également “Ghost Faces” cet ensemble de visages impassibles aux regards dont les orbites abritent des miroirs qui viennent raviver les fantômes !

LAURENT LE DEUNFF

On peut voir dans mes dessins un aspect très sculptural et dans mes sculptures quelque chose de très dessiné ! D’ailleurs, je dis souvent que je considère le billot de bois comme une feuille de papier. Je suis autant intéressé par les possibilités qu’offre une bûche que par les différentes qualités d’une feuille de papier…” a-t-il confié récemment. Et d’ajouter : “Je n’ai aucun souci à passer de la tronçonneuse au crayon et ressort avec le même épuisement une fois le travail terminé”. Fondées sur des glissements de sens et des déplacements de niveaux d’évidence, dans une économie de moyens, ses oeuvres nous parlent d’une mécanique de l’inversion de l’illusion. Douées d’une existence organique propre, elles expriment des dérapages déployant des fictions saisissantes. En effet, la démarche artistique de Laurent Le Deunff (Photo ci-dessous Crédit@DR) livre une intimité quasi scientifique inattendue dans de légers écarts chevauchant les références. Le regardeur appréciera ces courts-circuits sémantiques douées d’une force visuelle aussi frappante que sincère. Et plongeant l’espace environnant dans une forme d’incertitude. On aime tout particulièrement cette pratique misant sur des décalages vis-à-vis du sujet pour évoquer de multiples lectures. Et ne recourant volontairement à aucun croquis préparatoire !

MICHAEL ROY

La manipulation de l’image est une question qui traverse toute ma production. Pour moi, il est important de comprendre l’évolution de la création des images dans l’histoire de l’art, et notamment la façon dont les artistes ont su déjouer les impératifs techniques…” a-t-il confié en 2012. Et d’ajouter : “Je m’intéresse beaucoup aux livres d’artistes et aux éditions spécifiques. Je ne collectionne pas au sens propre du terme. Je vis avec des objets choisis pour leur fonctionnalité, ou en conserve d’autres pour leur valeur sentimentale”. Jouant sur l’emprunt systématique d’éléments préexistants, ses oeuvres nous parlent d’un travail d’appropriation de l’image éminemment frictionnelle dans des “fictions arrangées” saisissantes. Faux-semblants et pulsions scoptiques expriment une déperdition inévitable via des paroxysmes s’appuyant sur la simulation du réel. En effet, la démarche artistique de Michael Roy (Photo ci-dessous. Crédit@DR) questionne la transmutation de l’image rendue appropriable délivrant en une tension qui rend indistinctes les sources et leurs temporalités. Le regardeur appréciera ces travaux, comme des beautés volées, prenant leur justification dans une insurrection des corps et où s’engouffre l’imaginaire. On aime tout particulièrement cette pratique pluridisciplinaire à travers laquelle des dessins sont produits à partir de papier carbone ou des tableaux peints au vernis à ongles. Et établissant des passerelles aussi vagues que fulgurantes. A ce propos Michael livrera ceci : “Le travail de Pierre Molinier m’intéresse autant que sa personnalité. Peintre en bâtiment, il a développé en parallèle une oeuvre picturale et plus précisément photographique” !

MUSA MINUIT

A la Verrière - Boulevard de Waterloo 50 - 1000 Bruxelles /// Du 27 juin au 5 septembre 2020 /// Exposition : MUSA MINUIT /// Commissariat : Guillaume Désanges

J’ai souhaité abordé la question de la sexualité, celle des femmes guadeloupéennes et caribéennes d’aujourd’hui, et la manière dont elle reste marquée de façon inconsciente par l’Histoire….” a-t-elle expliqué récemment. Et d’ajouter : “Plutôt que par l’illustration ou la théorie, c’est à travers un parcours sensuel et métaphorique, pensé en cercles concentriques, que se fait cette approche”. Sculpturales, graphiques et filmiques, ses oeuvres abordent les sujets de l’identité, de la standardisation et des stéréotypes questionnant le poids d’un héritage géopolitique éclairé par des points aveugles et marqué par des préoccupations spirituelles dénonçant les non-dits. En effet, la démarche artistique de Minia Biabiany (Photo ci-dessous Crédit@NicolasColón) révèle un métissage esthétique - croisant aussi bien la vidéo, le dessin que l’artisanat - qui vient tresser les signes, les récits et les médiums via un art total hybride et organique. Elle invoque des fantômes pour instruire le réel où opère un travail de mémoire parcouru par des références à la magie émaillée par les formes et l’écriture. Le visiteur appréciera au coeur de ce passionnant quatrième volet du cycle “Matters of Concern” cette gamme hétéroclite de matériaux que convoque l’artiste en recourant à un cheminement où l’inconscient psychanalytique est sans cesse à l’oeuvre via une réappropriation fictionnelle de matières enchevêtrées qui nous parlent de la préservation d’une forme d’invisibilité. On aime tout particulièrement cette nécessité mémorielle - sans effroi ni sidération - que la plasticienne exprime via un ancrage vernaculaire saisissant et sans visée cathartique. Mais aussi cette “culture polytechnique” jalonnée de “constellations familiales” jouant sur des dévoilements progressifs de l’espace tissant, à la manière d’une longue incantation, nos identités collectives !

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ANNE-CHARLOTTE FINEL

J’ai filmé, il y a quelques années, avec l’artiste Marie Sommer une centrale nucléaire inactive, éclairée par le passage des voitures, les faisceaux du phare mitoyen ainsi que des lamparo. L’ironie, c’est qu’elle n’a jamais produit de l’électricité et doit être malgré tout protégée par les rondes de nuit des gardiens. Cela m’évoque le spleen, une mélancolie inquiète, que je n’arrive à mettre à distance qu’à travers la caméra. Je cherche à créer des images s’éloignant d’une réalité qui serait trop crue, trop définie…” a-t-elle confié récemment. Et d’ajouter ceci : “Je réalise mes vidéos la nuit, à l’aube, au crépuscule ou à l’heure bleue. Car l’obscurité permet de mieux voir. Je pars à la chasse de ces moments entre chien et loup avec trois quarts d’heure pour filmer au lever du soleil et à la tombée de la nuit, au-delà même du moment où il n’y a plus de lumière.” Profitant de l’état atténué des choses, ses oeuvres capturent des paysages liquides bleutés ainsi que la trace de constructions dans une expérience autant physique que romantique. En effet, la démarche artistique d”Anne-Charlotte Finel (Photo ci-dessous Crédit@PhoebeMeyer) nous parle d’un monde en péril et de panoramas porteurs de menaces et de traces tangibles d’infrastructures tenues éloignées du regard. Le regardeur appréciera cette pratique célébrant des architectures saisissantes filmées d’un point de vue de la nature n’offrant aucune indication sur le lieu du tournage. On aime tout particulièrement ces travaux de la plasticienne préférant l’anonymat à l’ego-trip et nous rappelant avec clairvoyance que les images sont des endroits différents du monde !

DAIGA GRANTINA

Le mot Toll, que j’ai choisi comme titre de cette oeuvre, signifie en allemand plusieurs choses : il veut dire à la fois fou et épatant…” a-t-elle expliqué il y a deux ans. Et d’ajouter : “Cette vaste sculpture est à la fois une atmosphère déchainée et un paysage étrange”. Fulminations de mousses, de métaux, de cordes, de duvet de coton, de câbles et de PVC, ses oeuvres déploient des modules explorant la profondeur de l’image via des matériaux transformés jouant de distorsions dans des mouvements de recomposition saisissants. Répondant à des processus de post-production, elles révèlent des formes enchevêtrées semblant animées d’une énergie vitale trouvant son expression dans des respirations faisant le lien entre le monde de la faune et celui de la flore. En effet, la démarche artistique de Daiga Grantina (Photo ci-dessous Crédit@ToanVuHuu) nous parle de ces états primaires vaporeux qui se laissent aller à des palpitations en surface dans des drapés solides emprunts de fêlures complexes. Le regardeur appréciera ces volumes-assemblages aux allures d’organismes synthétiques poreux entrelacés qui mettent en exergue des attributs spatiaux et physiques. On aime tout particulièrement cette pratique qui ouvre, à l’aurée d’un âge post-plastique, une multitude de perspectives et de chemins se présentant comme la scène d’une aube cosmologique !

FABIEN GRANET

Le dessin comme geste me permet d’exploiter une (re)mise-en-scène comme autant de possibles en devenir. Par la qualité du dessin comme marqueur de pensée, il ne s’agit pas de construire des mondes rêvés mais plutôt de mettre en place un dispositif qui permettrait un dialogue conscient d’une certaine perception du vrai” a-t-il expliqué un jour. Et d’ajouter : “Mon travail tend avant tout vers un questionnement sur le paysage et sur l’énigme qui persiste dans notre perception du visible”. Faites d’hésitations, d’essais et de repentir, ses oeuvres évoquent une dialectique constante entre matière et abstractions et déclenchent une mise en route de la pensée offrant des panoramas mentaux saisissants. Portées par des glissements nourris d’une quête visant à percer l’énigme du réel, elles livrent des suspensions du temps se faisant détonateurs du récit. En effet, la démarche artistique de Fabien Granet (Photo ci-dessous Crédit@DR) nous parle autant de l’érratique que de l’instable résistant à l’unification synthétisante de la perception. Le regardeur appréciera ces utopies et ce rapport prégnant de l’inorganique à la forme géométrique générant des déplacements fertiles de sens et de pensées. On aime tout particulièrement cette porosité de la sublime série “Zones Littorales” mais aussi cette sorte de point zéro émanant de ces travaux baptisés “Bords” réalisés au graphite, fusain et pastel sur papier, de dimensions variables. Nous faisant voir ces objets singuliers posés en marge dans une véracité couronnant la redondance du mystère !

FLORENCE OBRECHT

Je fais les choses que je dois faire, que cela ait l’air féminin ou pas. Mon travail me permet de construire un monde où l’humain et la mémoire sont au centre…” a-t-elle confié dernièrement. Et d’ajouter : “Sans nier ma féminité, je me méfie des cloisonnements qui peuvent mettre en boîte des artistes plutôt que de les mettre en valeur”. Marquées par l’idée de survivance et de réenchantement, ses oeuvres - faisant souvent appel au registre religieux dans des décalages saisissants - nous parlent autant de mutisme que de frontalité. Tournées vers un monde d’innocence et ses méandres, elles font fréquemment acte de parade dans un travestissement émotionnel nourri d’histoires singulières. En effet, la démarche artistique de Florence Obrecht (Photo ci-dessous Crédit@AxelPahlavi) nous renvoie à une “hyperaffectivité” faite de récits incongrus et intrigants dans une absence volontaire de recul et de distance avec la forme inspirée par l’art brut et sa logique d’accumulation. Le regardeur, irrémédiablement submergé par ces narrations, appréciera ce plongeon dans les affects lui montrant que l’artiste n’a pas peur du mauvais goût sans jamais être pour autant à la recherche du kitsch. Mais aussi cette exagération bouleversante constante révélant à la fois le grotesque et la souffrance via une peinture engageant le soleil de minuit de jours polaires marqués par une transparence aux notes angéliques irradiantes. On aime tout particulièrement cette pratique animée par une gestuelle délibérément “borderline” où se déploient des flots de sentiments témoignant d’une horreur du vide. Tel un rideau noir ne demandant qu’à être écarté !

GISÈLE BONIN

Mon travail questionne une tension, un entre-deux qui se déploie dans une sorte d’incomplétude, visant à figurer, à incarner l’Absence et les Absents. A rappeler, donc, une présence et des Présents. La virginité de certaines feuilles me répugne…” a-t-elle un jour prononcé. Avant d’ajouter ceci : “Dessiner, c’est s’affranchir d’une certaine forme de Temps : activité de retrait, d’astreinte, de dégagement. Vers la tranquillité et vers la folie : poser les limites spatiales et le calendrier graphique de son propre désert. Silence”. Nous extirpant inexorablement de l’état confortable de paix en nous obligeant à l’impératif d’une inépuisable confrontation, ses oeuvres s’attaquent aux effacements dans des nervures franches parcourues d’une douceur saisissante. Offrant cette aération d’être et de se faire, elles creusent un réceptacle pictural dissipant toute velléité de distanciation. En effet, la démarche artistique de Gisèle Bonin (Photo ci-dessous Crédit@ArielleMaugin) nous parle de ces éléments constitutifs du corps humain et de ces agrégats d’atomes formant une nébuleuse cosmique conférant aux oeuvres une curieuse aura de radiographie. Le regardeur appréciera ces fragments de peau solitaires et ces légers effleurements de corps soulignant les préoccupations de “semblance” de l’artiste via des peaux visuelles vulnérables aux colorations translucides. On aime tout particulièrement cette pratique où abondent des paradigmes complexes et où le sujet devient en somme relatif. Pour étayer le propos, Gisèle glissera ces derniers mots : “Je n’aime pas les papiers lisses. Je les préfère épais, granuleux : il faut qu’ils accrochent la mine, lui opposent une résistance, imposent leur marque” !

RÉMY HYSBERGUE

Je peins d’abord en blanc ou en noir en épaisseur, et avant que ça ne sèche, avant que la peinture ne s’aplatisse, je peins les tranches de cette peinture, avec des zones claires, des zones foncées et un jeu de lumière avec une cohérence qui donne l’impression que ça vient d’un endroit, comme si c’était éclairé par un spot ou une bougie…” a-t-il expliqué dernièrement. Et d’ajouter songeur : “Il peut y avoir des abstractions compliquées ou lourdes. Kirkeby, par exemple, c’est très lourd. Je ne sais pas si c’est de l’abstraction ou de la figuration. Ce sont des tranches de couleurs, oui ce sont aussi des nivellements de strates.” Fragmentées en ensembles homogènes de séries successives, auxquelles s’ajoutent quelques pièces isolées, ses oeuvres se présentent sous la forme de propositions pragmatiques et d’énoncés périlleux. En effet, la démarche artistique de Rémy Hysbergue (Photo ci-dessous Crédit@DR) nous parle d’une sérialisation synthétique nourrie par un regard distancié et une expérience d’ordre psychique saisissante. Entre déplacements, franchissement et conduite forcée, elle sonde nos accoutumances esthétiques et nos soumissions aux signes et séductions visuelles contemporaines. Le regardeur appréciera cette déprogrammation du regard contrariant les immédiatetés et pensant sa propre différence. On aime tout particulièrement cette pratique combattant, sur fonds de velours, l’idée parfois régressive de l’habitude - dans une traversée oblique des marges d’apparitions - engageant un questionnement sur la présence problématique de la peinture à elle -même et les conséquences toujours improbables du geste !

EMILIE PIERSON

J’avais besoin de saisir et de déconstruire le fantasme et la nostalgie que je ressens vis-à-vis du passé de ma mère et de la Bulgarie. En entremêlant photographies de famille, recadrements d’éléments visuels du communisme présents dans le paysage urbain, livres, cartes, poèmes patriotiques et voix : un territoire et son héritage rouge se dessinent, une histoire à la fois individuelle et sensiblement collective…” Et d’ajouter : “Paradoxalement, je voulais m’en parer, la vivre et pouvoir revendiquer une appartenance à cette histoire. Je joue avec le vide et la saturation, l’absence et la récurrence ”. Mettant en scène des récits tissés de rares réminiscences autour des signes irrationnels de la passion, ses oeuvres soulignent la permanence cyclique des relations entre désirs inaliénables et peurs écrasantes. En effet, la démarche artistique d’Emilie Pierson (Photo ci-dessous Crédit@RomainGamba) nous parle du mysticisme de la vie mais aussi de l’archivage et de la conservation des mémoires. Elle aborde la question de ces souvenirs ne persistant que par les mots et nous renvoyant sur les notions de répétitions compulsives, de litanies, de rituels comblant les manques. Le regardeur appréciera ses travaux insistant sur les oublis, les lacunes et les faiblesses nécessaires pour construire les récits personnels et historiques. On aime tout particulièrement cette installation - en plaque de Plexiglas, masque en alginate, bandes de gaze et bandes de plâtre, texte en vynile adhésif blanc et pieds en plâtre - baptisée en 2018 “Je me souviens avoir été à la fois optimiste et angoissée” qui se présente comme une projection allégorique du passage de la vie à la mort. Et d’une mémoire exaltée - née d’un amour empressé - qui se serait évaporée, après des échanges épistolaires, autour de la station balnéaire de Slantchev Briag !

LAURA PORTER

Depuis cinq ans je collabore régulièrement avec l’artiste Valentin Lewandowski. Mes installations, sculptures et installations videos expriment mon intérêt pour les modes de production de valeur, la genèse des matériaux ainsi que le rôle du corps dans les économies du mangeable et du jetable…” explique-t-elle. Et d’ajouter : “Ces dernières s’articulent autour de matériaux synthétiques, organiques ou comestibles, sous la forme d’organisations, la plupart faîtes à partir d’éléments discrets, selon la logique du dessin”. Revenant de manière récurrente dans son travail, l’action de transformation subie par les matériaux - sur notamment des coupons, des haricots ou encore des pièces de monnaie - exprime une propagation et une dissémination des éléments via une division du travail se combinant avec des relations mimétiques saisissantes. En effet, la démarche artistique de Laura Porter (Photo ci-dessous Crédit@AntoineMedes) s’empare souvent d’objets industriels inertes révélant des résistances intrinsèques ainsi que la singularité des différents constituants pour mieux mettre en relief la solidarité et l’autonomie de chacun. Le visiteur appréciera ces corps symboliques présents dans ses travaux s’autorisant des rapprochements subtiles échappant à toute logique binaire. Et aussi ses greffes n’hésitant pas à réunir - en l’occurence pour la sublime pièce baptisée “Float” - terre cuite émaillée, camouflage hydrographique, haricots noirs et rouges, mousse, verre en sucres, coton-tiges et lycra. On aime tout particulièrement cette pratique mettant en avant des gestes délibérément pauvres et vaguement accomplis donnant vie à des créations semblant douées d’une troublante “conscience de soi” !

SOPHIE KITCHING

En 2015, j’ai réalisé une grande installation dans un espace en sous-sol à New-York. L’absence de lumière naturelle m’avait alors incitée à transformer de différentes manières des stores suspendus qui se succédaient les uns derrière les autres comme autant de plans ou d’écrans devenus leur propre source de lumière…” expliquait-elle dernièrement. Et d’ajouter : “Dans la lignée des stores, des fenêtres et des flaques, l’élément structurel de la porte m’intéresse de plus en plus”. Entre liberté déconstruite assumée et altération par couches de l’objet en plans successifs, ses oeuvres sont portées par des processus de dénaturation et des récurrences offrant des interprétations conceptuelles composant une poésie visuelle saisissante. Envisagées souvent comme des ensembles, elles s’expriment par le prisme de l’expérience sensible. En effet, la démarche artistique de Sophie Kitching (Photo ci-dessous Crédit@AlexandreKitching) nous parle de situations d’hospitalité, de voyages immobiles mais aussi d’effets vibratiles rejouant la mécanique du souvenir. Le regardeur appréciera ses travaux s’appuyant sur les préceptes d’une phénoménologie de la perception lui faisant voir aussi bien le miroitement de l’onde que le crépitement des frondaisons. Mais aussi cette observation analytique de l'environnement débouchant sur des clairières de nuances et des rêveries translucides. On aime tout particulièrement cette pratique faisant souvent écho à une poétique bachelardienne guidant la rétine vers des profondeurs ambiguës et des ailleurs nous rappelant - selon les mots de Chateaubriand - que chaque homme porte en lui un monde composé de tout ce qu’il a vu et aimé et où il rentre sans cesse, alors même qu’il parcourt et semble habiter un monde étranger !

ANNE BOURSE

Ce sont des affinités électives, avant tout, qui fabriquent la communauté fictive dans laquelle je travaille. Cela peut aussi bien être des références artistiques ou littéraires que ce qui m’entoure et ce qui me plaît, des dédicaces secrètes et sauvages. A travers un journal de neurologie imaginaire, des lettres d’amour de Jack Spicer à un amant qui semble s’être enfui, un livre de Jimmie Durham décoré et réimprimé sur mon imprimante défaillante… ” expliquait-elle dernièrement. Et d’ajouter : “C’est la manière dont les choses s’accouplent et se ramifient. Disons que je suis interspéciste du langage et aussi un peu perverse. Je m’adresse à quelqu’un par le biais de quelque chose, pour en fait, secrètement parler à quelqu’un d’autre”. Ses oeuvres saisissantes et solitaires dans leur construction - nous parlent de la façon dont les choses se connectent et s'étalent,  se contredisent et dissonent dans toutes les contrariétés stylistiques que cela produit. En effet, la démarche artistique d’ Anne Bourse (Photo ci-dessous Crédit@ThierryChassepoux) révèle des avatars fictionnels délaissant une certaine logique et un besoin de théorie dans un plaisir physique et sensuel des appropriations. Le regardeur appréciera ses installations et ses dessins maintenant l’ambiguïté et l’étrangeté de ses objets faits-main faisant figure de reliques. On aime tout particulièrement cette pratique avec force détails et ce dépouillement quasi conceptualiste parfois faisant dire à Anne : “Ne pas être clair est important. J'ai la sensation que le seul endroit où on est libre, c’est un angle mort minuscule, un coin dans le cerveau, et peut-être dans l'art - quand on le décide - et justement pas dans les discours politiques et moraux que certaines œuvres produisent. Alors j'essaie d'être libre dans ma manière d'être là, genre Do your thing et Do it yourself ”.

ANTOINE ROEGIERS

Le monde des maîtres flamands est un monde qui est plein de vices et aussi le reflet de notre société. Ce sont surtout des personnes qui ont trouvé leur place, transformé les canons de l’époque, ont amené leur propre monde, leur propre imaginaire, leur liberté. Ce monde se présente comme un mélange entre le Moyen-Age et la Renaissance, une transition. C’est troublant de pouvoir encore communiquer avec ces esprits là, de ressentir leur imaginaire…” expliquait-il dernièrement au Botanique de Bruxelles. Et d’ajouter : “ J’aime entrer dans un tableau. Toute la complexité est de ne pas trahir l’oeuvre originale, de rester dans l’esprit de Jérôme Bosch. Tout le jeu est de dialoguer avec lui sans prendre le pas, ni détériorer son esprit”. Ses videos permettent de montrer toute la modernité des peintures du 15ème siècle avec les moyens actuels. L’artiste exprime toute son admiration en représentant notamment les 7 péchés capitaux dans Babel redessinés à la main, à la plume sur papier via 92 dessins dans une défragmentation saisissante où chaque partie de corps a été morcelée. En effet, la démarche artistique d’Antoine Roegiers (Photo ci-dessous Crédit@VanessaDavid) joue avec le son, le rythme et le temps dans une décontextualisation des personnages et des scènes burlesques plongeant le regardeur dans son ressenti premier et immédiat. Le visiteur appréciera ces parades mystérieuses, ces paysages grouillants et ce cérémoniel se dégageant de travaux pluriels allant de la video, à la peinture à l’huile sur toile et sur bois. On aime tout particulièrement ce flou optique qui est à l’oeuvre dans le magistral triptyque du Baiser. Et ouvrant les champs du possible à plusieurs siècles d’intervalle !

CÉCILE BRIGAND

La main trace des signes, elle montre, probablement parce que l’homme est un monstre. Mais les gestes de la main transparaissent partout dans le langage . Toute l’oeuvre de la main repose dans la pensée…” nous dit-elle en reprenant les mots d’Heidegger. Et d’ajouter : “J’ai aussi parfois en tête un ouvrage du philosophe Henri Maldiney - disparu en 2013 à Montverdun - qui est un recueil dans lequel il se propose de penser ensemble l’énigme de l’humanité et l’énigme de la catastrophe qui survient à certains d’entre nous”. Articulations entre la fragilité de la vie et ce qui la menace, ses oeuvres saisissantes trouvent leur puissance et leur expression troublante dans des outils conceptuels, formels et visuels s’octroyant des détours à la fois sémantiques et plastiques. En effet, la démarche artistique de Cécile Brigand (Photo ci-dessous Crédit@DR) exporte, importe et colporte des opérations, des ordres et des conditions de détermination de la forme dans une main qui trébuche à contrecoeur et provoque l’inconnu. Elle nous parle de segmentations, de plans, de courbes et de droites faisant dialoguer allègrement des éléments hétérogènes se prêtant à de multiples métamorphoses. Le regardeur appréciera ces irrégularités, ces étagements verticaux et ces déplacements circulaires débouchant sur des creusées nées de mouvements célébrant autant la démultiplication que l’expérience temporelle du tracé. On aime tout particulièrement ces pliures côtoyant ces aplats généreux dans un brouillage fougueux et constant de la triade : main, outil, couleur. Dans une pratique de la circularité fascinante - où chute et élévation se neutralisent dans le génie de la technique mixte - faisant finalement dire ceci à Cécile dans un émouvant soupir : “L’expérience m’a montré que lorsque l’esprit est silencieux, parce que le moi est inactif : il y a alors création “.

NICOLAS GAILLARDON

Mes paysages sont des déserts. Sur la surface blanche de la feuille ou de l’écran émergent quelques fragments d’asphalte, des lignes de trottoirs, de parkings ou de playgrounds…” explique-t-il. Et d’ajouter : “ Ce sont autant de signes d’une urbanité livrée à elle-même”. Offrant une nouvelle expression au médium du dessin, ses oeuvres - se développant dans une maîtrise bousculée par un certain sentiment de perte et d’abandon - dissèque la nature dans des compositions adoptant des moyens techniques complexes. Elles révèlent de nouveaux contextes - où l’objet à l’aspect fantomal prend un caractère fugitif - se rapportant à une vision archéologique d’un présent en transition. En effet, la démarche artistique de Nicolas Gaillardon (Photo ci-dessous Crédit@DR) résiste à la pesanteur et à l’effacement dans une pression du passé au croisement de ce qui va advenir. Le regardeur appréciera ses travaux investissant des questions essentielles autour de la survivance et où l’instant s’effiloche - sous les auspices d’une délicieuse mélancolie - comme les franges du souvenir. Mais aussi où affleure le sédiment étylmologique nous parlant d’une humanité qui se serait perdue progressivement dans ses artefacts. On aime tout particulièrement cette pratique faite d’agencements parfois improbables où subsistent le bruissement de roseaux balayés par les vents. Et semblant nous convier à chercher des liens cachés entre des mondes apparemment étrangers !

MAUDE MARIS

La peinture devient une entreprise de ré-épaississement de la photographie, particulièrement en ce qui concerne les objets, puisque, si certains ont un traitement tout à fait opaque et crémeux, d’autres se jouent de la transparence et laissent apparaître leurs couches successives…” a-t-elle déclaré récemment lors d’une interview. Et d’ajouter : “Cohabitent ainsi dans la même toile, des objets consistants et d’autres, presque évanescents, et comme j’ai toujours à l’idée la notion de sculpture, cela leur donne des poids différents”. Dans une triangulation entre les médiums, ses oeuvres sensibles génèrent des émulsions rêches dans des truchements saisissants évoquant autant la figure de la vulnérabilité que des statures précaires faits d’intrigants secrets s’inscrivant dans une continuité narrative. Elles révèlent des analogies formelles s’appuyant sur un horizon flottant reliant le geste primitif au champ de l’universel. En effet, la démarche artistique de Maude Maris (Photo ci-dessous Crédit@VincentFerrane) dépasse le périmètre réduit de la toile dans un détachement renforçant la technique picturale. Le regardeur appréciera ces degrés d’abstraction et ces arrières-fonds lissés pour créer un dégradé reconstituant un espace indéfini. On aime tout particulièrement ces décompositions mentales en strates successives de l’image que l’artiste parvient à atteindre avec des moyens volontairement précaires. Mais aussi cette atemporalité permettant des interprétations mouvantes où l’élément architectural croise les idéaux du vestige !

MATHIEU ARFOUILLAUD

J’explore depuis 2015, en peinture, les univers anodins des bords de route et des pavillons de banlieue ou de province…” a-t-il fait remarquer récemment. Et d’ajouter discrètement ceci : “Les paysages que je peins sont en quelque sorte des dialogues ambivalents entre des foyers rassurants et des forêts hostiles, entre des zones péri-urbaines sordides et une nature protectrice”. Nous faisant ressentir ces zones de flottement dans un éternel entre-deux, ses oeuvres saisissantes nous rappellent que traditionnellement le tableau figuratif est conçu comme une fenêtre et que par la suite la télévision a endossé cette fonction. Elles évoquent aussi la nostalgie de ces équipements analogues depuis longtemps dépassés. En effet, la démarche artistique de Mathieu Arfouillaud (Photo cI-dessous Crédit@DR) interroge les liens étroits entre réalité et représentation via des signes visuels permettant d’étalonner les couleurs et exprimer cette lenteur versant dans l’immobilité. Le regardeur appréciera des paysages syncrétiques faits de bas cotés que l’on traverse et au sein desquels des réglages restent encore à faire. On aime tout particulièrement cette pratique nourrie par d’intimes églogues : ces petits poèmes pastoraux ou champêtres. Nous faisant voir des amoncellements de gravats bordant les trottoirs des villes. Et explorant, sans compromission, l’extension de l’espace diégétique !